co DIBLIOTECA FACULTATH DE DREPT DIN DUCUREÇTl Format Ex. nr.MM ■ Jacques FOUQUES DUPARC liOCTEtH EN DROIT uctncii i» LBrriiBn LA PROTECTION DES MINORITES DE RACE, DE LANGUE ET DE RELIGION ÉTUDE DE DROIT DES GENS Préface de M. A. de LAPRADELLE PARIS LIBRAIRIE DALLOZ 1 1, RUE SOUFFLOT 1922 LA PROTECTION DES MIXOUITÉS DE RACE DE LANGUE ET DE RELKrlON (ÉTUDE DE DKOIT DES GENS) "^' B- C. U. DIDLIOTECA FACULTÂTH DE DREPT DIN DUCUREÇTl Format Ex. Nr.. Jacques FOUQUES DUPARC DOCTEUR E!» IiROIT LICENCIÉ KS LETTRES LA PROTECTION DES MINORITÉS DE RAGE, DE LANGUE ET DE RELIGION ÉTUDE DE DROIT DES GENS Préfack de m a. de LAPRADELLE H. m PARIS LIBRAIRIE DALLOZ 1 1, RUE SOUFFLOT 1922 3 K) 1^ PRÉFACE De tous les, problèmes poliiiquei^, issus de In Grande Guerre^ Un en est pas de pins grave que celui des minorités. Dans une Europe nouvelle, constrvite sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, les nations forme/ t, de leur vivante substance, le princiq^e TTtême de V Etat. Mais des nécessités d'ordres divers, écœiotniques ou stratégiques, ne permettent pas toujours aux frontièy^es politiques de suivre, avec exac- titude, celles des « nationalités », c'est-à-dire des groupes liés par l'unité de la race, de la religion ou de la langue, ciment naturel, sinon nécessaiy^e dv sentiment imanvme, base de. là conscience politique commune. A ces fragments de naiionj incorporés à l'Etat, qiCune autre nationalité, celle de la majorité des habitants, soutient et domine, des droits doivent être reconnus : droits tels que ces minorités nationales ne soient, par l'arbitraire des majorités, jamais atteintes dans aucun de leurs sentim,ents nationaux , en tant du moins qu'ils gardent une formée sociale, sans cepe^idant qu'il soit jamais permis à ces minorités de, initier, politiquement, les bases de l'Etat, auquel, pour ne pas perdre leur territoire histo- rique,elles ont dit, loyalement, accepter d'être incorporées. De même qu'en 1189, la Déclaration des Droits de l'Homme a limité les droits de la nation souveraine pjar ceux, im- prescriptibles, de l'individu, les traités constitutifs des fron- tières nouvelles de l'Europe n'ont, dans le Centre et l'Est, sauf en ce qui concerne l'Allemagne, remanié nulle fron- tière, par création d'Etat nouveau ou démembrement d'Etat ancien, sans limiter les droits de souveraineté de l'Etat par ceu.r des minoHtés de race, de langue ou de religion. En droit interne, In soureraineté de la na/ion était, jusqu'à lors, limitée par le droit individuel du citoyen. En droit interna- II LA PROTECTION DES MINORITES tional, elle est désormais limitée par le droit collectif des nationalités. Mais, pas plus que le droit individuel du ci- toyen ne saurait rnenacer, à l'intérieur, le Gouvernement^ d'anarchie , le droit co'lectif de la nation ne saurait mena- cer, à l'eœtérieur, VElat. de 7mine. Pour tnaintenir l'équilibre entre ces droits., un contrôle est nécessaire. La Société des Nations permet aux minorités de trouver, dans le Conseil de la Société des Nations, un protectem\et . dans la Cour permanente de justice internatio- nale, un juge. Ainsi, comme le corollaire et le couronne- ment d'un principe qui, découlant du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le tempère en vue de créer des Etats Viables, apparait, au-dessus des Etats, la Société des Na- tiojis. Qu'est-ce à dire, sinon que le problème de la Protection des Minorités est un problème essentiellement neuf, et, dès lors, un sujet d'étude inexploré ? * * Le grand mérite de V ouvrage de M. J. Fouqiies Duparc qui, pour la première fois, en tente l'examen d'ensemble, c'est que, tout pénétré du sentiment de la continuité de la vie, son a ideur s'attache aux origines, dans le pjassé, de ce p)roblème des Minorités Nationales qui ne prend toute son ampleur que dans le présent, et ne trouvera, sans doute, la, plénitude de ses solutions que dans l'avenir. De la protec- tion des minorités religieuses, seule connue de l'ancie>i droit public européen, du X VlPati XIX^ siècle, à celledes minorités nationales qui forme un important chapitre du nouveau droit public, issu des traités de 1919-1920, consécutifs à rétablis- sement du Pacte de la Société des Nations, M. ./. Fouques Duparc montre les pjrogrès accomplis, par le long effet d'une évolution qui, d abord lente, brusquement s'accélère à la suite de la. Grande (ruerre et finit en Révolution. Ce que, dans un Etat plurinational , comme l Au triclte- Hongrie, le Congrès socialiste de Brûnn tentait vainement d'obtenir par le droit public interne, le droit public international, soudai- PHKFACE tll nement amplifié, le réalise. Limitée autrefois à la garantie des droits religieux^ la protection des m,inorités, non plus seulement confessionnelles, mais tiationales, s'étend mainte- nant à celle des di^oits sociau.r, et notamment^ du droit // la langue avec les multiples cmiséquences que, de l'Ecole au Tribunal et même au Pnrleynent^ il entraîne. Dans le droit des qens, une nouvelle personne juridique, la « minorité nationale », est née. A la genèse de l'idée nouvelle, le livre qui, le premier y depuis 1920, s'attache à ce noble et délicat sujet, nous fait pleinement assister. A Prague, au moment même où l'auteur actievait d'tm- primer son livre, une ardente bataille marquait, sur la ques- tion des droits des îninorités, le Congrès des Associations pour la Société des Nations. Et la grande salle de l'Hôtel de Ville., qui, tant de foù, connut, sotis la domination autri- chienne, de violents débats, parut, en un instant, tout en flammée des mêmes passions qu'autrefois. A Genève, en sep- temhre dernier, les minoiHtés faisaient déjà monter, près de la Société des Nations, le tumulte de plaintes, à travei^s les- quelles, trop souvent, passait le déceptiœi d'anciens oppres- seurs, uiquiets de risquer dêtre opprimés à leur tour. Et déjà, les Etats nouveaux, Tchéeo- Slovaquie, Pologne, dé- clarent que le moment est venu d'aviser aux moyens à prendre, pour éviter que, de la protection des mi^writés, les ennem,is des Indépendances nouvelles ne se servent contre celles-ci, comme d'une machine de guerre. Très sagem^it, la troisième Assemblée de la Société des Nations, tout en recon- naissant le droit fondamental des minorités à être protégées contre toute oppression, a cru ?iécessaire d'insister sur le devoir qui incombe aux personnes appartenant aux minorités de race, de religion ou de langue de coopérer, en citoyens loyauXy avec la nation à laquelle ils appartiennent main- tenant. De Prague à Genève, le conflit éclate et s'apaise. Mais il est trop grave pour ne pas reparaiti^e , de temps en IV LA PROTECTION DES MINORITES temps, en crises aiguës. Bien qu'il évolue vers la détente, i n'en est pas moins de ceux qui demeureront longtem^ps ac tiiels. Le problème dont M. Fouques Duparc a, si judicieuse ment, recherché les antécédents dans le passé, n'est don pas de ceux que l'on puisse considérer comme définitivemen résolu.' C'est, au contraire, un de cetix qui, dès maintenant s inscrivent à Vordredujour de l'histoire comme une des plu délicates questions du plus proche avenir. De nouvelles mono graphies suivront, sans doitte, qui devront prendre ce pro blême de pays en pays. A ces études, spécialisées, le bel essai synthétique, de M. J. Fouques-Duparc ouvre la voie. Il es de ceux qui, suivant le mot de nos vieux auteurs, rompen la glace et fraient le chemin. A. DE Lapradelle (ienève, 23 septembre ; Prague, 26 septembre 1922. LA PKOi un [ON Di:s minokitks DE HACE. HE LAAGUE ET DE RELIGIOiX (ÉTUDE DE DROIT DES GENS) INTRODUCTION Une « clause » concernant la protection des minorités » se trouve insérée dans les Traités de Paix signés avec quatre des anciens Etats ennemis (Autriche. Hongrie, Bulgarie, Tur- quie) et dans des accords particuliers passés avec six des Etats Alliés (Pologne, Tchéco- Slovaquie, Roumanie, Yougo- slavie. Grèce. Arménie). Cette reconnaissance, par un Congrès mondial, de droits appartenant « aux minorités de race, de langue ot de reli- gion ». placés sous le contrôle de la Société des Nations garantis par une procédure internationale, a été considérée comme une des innovations les plus sensationnelles des traités de 1919-1920... Le mot même de « minorité » est. dans ce sens, un mot nouveau. Les dictionnaires ne parlent pas de minorités nationales ou religieuses ; ils se contentent de donner au mot « minorité » son sens arithmétique ; et, s'ils vont plus loin, ils mentionnent les minorités politiques qui, depuis près d'un demi siècle, intéressent l'opinion et son! récemment entrées dans le droit positif... De la nou- veauté du mot à la nouveauté de I idée, il n'y a qu'un pas. qui est vite franchi... Les auteurs des Traités de Paix ont-ils créé une idée neuve ? J. Fouquea-Duparc 1 L.\ PROTECTION DES MINOUITES I « Il n'y a rien de nouveau sous le soleil », a dit l'auteur de l'Ecclésiaste... Avant qu'elles eussent reçu un nom, les minori-tés existaient déjà ; et les unes, les minorités reli- gieuses, avaient leur histoire dans le droit international. Dans les Temps Modernes, où le principe de l'unité de foi dans l'Etat prévalut, fréquemment lorsqu'il se produisait une cession de territoires, l'Etat cessionnaire garantissait dans le Traité à l'Etat cédant «. le maintien et la protection de la religion existante dans les territoires cédés ». C'était alors, non seulement, pour les habitants, le droit de pratiquer leur culte, c'était le respect de leurs écoles et de leur assis- tance, parfois même de leur Etat Civil, la confusion existant entre le culte et ces institutions... La première disposition de cet ordre se trouve dans le traité d'Oliva, signé en 1660 entre, la Suède et la Pologne. Jusqu'en 1815, sept traités la reproduisent ('). Eu 1815, des dispositions de cette nature se trouve en insé- rées dans les protocoles du Congrès de Vienne. En 1878 le traité de Berlin impose à la Turquie, et, comme condition de leur reconnaissance, aux nouvaux Etats Balkaniques, des principes d'une portée beaucoup plus générale : l'égalité de tous les sujets, la liberté pour tous les cultes. Il ne s'agit donc plus ici d'un simple accord contractuel entre deux Etats. En adoptant ces clauses, tous les pays de Chrétienté, repré- sentés au Congrès, leur ont donné une signification euro- péenne. C'est ainsi que le principe d une protection interna- tionale de certaines libertés chemine. Il apparaît nécessaire à l'établissement d'une harmonie générale, qui seule peut garantir la paix du monde ; — pour user du terme d'un des auteurs qui ont le plus développé cette idée, certains droits sont devenus « humains ». Lorsque dans la suite, la Roumanie manque envers les Juifs 1. Traités d Oliva, de IVimègue, de R^swick, de Nystad, de Breslau, de Versailles, de Frederick.shamm. INTRODUCTION aux engagements généraux souscrits à Berlin, les Puis- sances ne se désintéressent pas de la question ; elles mon- trent (ju'il ne leur a pas suffi de poser un principe, mais qu'elles entendent en garantir l'exécution. Chaotiques sans doute sont les mesures qu'elles prennent, car aucune orga- nisation internalionale stable n'existe... Pour qu'une protec- tion des libertés individuelles ou collectives soit assurée, il faut un organe durable, indépendant de la souveraineté des Etats. II Les minorités nationales n'ont point une histoire compa- rable. Si étrange que la chose puisse nous paraître, le principe des nationalités dans sa forme territoriale a semblé à toute une époque être un remède universel et souverain à tous les problèmes nationaux : il a exercé une véritable fascina- tion, peut-être, parce que n'ayant encore été appliqué qu'in- complètement, il restait riche de promesses. Et, de fait, les grandes questions qui se posaient à la fin du xix« siècle, celle de Pologne, celle d'Alsace-Lorraine, celle des chrétiens des Fialkans, ou des irrédentistes italiens, pouvaient trouver en lui leur solution. Néanmoins, l'on est étonné de lire chez M. Carnazza-.\raari que, s'il y a encore des peuples opprimés, c'est parce que le principe des nationalités n'a pas été appliqué au partage des territoires. Il semble que, cette application une fois réalisée, toutes les nations seront satisfaites, et l'Europe connaîtra la paix. « Toute intervention, déclare M. Garnazza-Amari deviendra impossible. » Il n'y aura plus « ces loups ravis- seurs», que sont les grands Etats composés de nations ; les petits Etats nationaux seront agrandis et fortifiés ; et l'Etat no sera plus une simple unité juridique, il représentera une unité morale. Pourtant, de loin en loin, quelques voix s'élevèrent au xiv siècle, pour montrer que le principe des nationalités avait ses limites. « Il faudra donc, disait Thiers, soumettre à un tribu- 8 LA PROTECTION DES MINORITES « nal de révision les nationalités de l'Europe !... Voyez quel « chaos va devenir celte malheureuse Europe ! . . . El cette « race allemande qui occupe cette partie de l'Orient qu'on « appelle l'Autriche, qu'en faudra- t-il faire ? En donnant à la « grande Allemagne, comme on l'appelle, les Allemands de « l'Autriche, on leur donnera aussi quelques millions de « Slaves ; car, en Bohême, il y a, sur cinq millions d'habi- a tants, trois millions de Slaves; et, en donnant les Slaves à « la Russie, on lui donneraquelques millions d'Allemands ('). » * Enfin à voir dans l'application territoriale du principe des nationalités la solution de tous les problèmes nationaux, les hommes du xix' siècle ne s intéressèrent guère à une protection des minorités nationales « On parle souvent des droits natio- ft naux, écrit Bluntschli ;c8pendantilestdifficiledetrouver une « formule juridique qui corresponde au précepte moral... Le (( principe des nationalités n'a encore d'importance capitaleque « dans la politique, non dans le droit public ('). » Les mino- rités nationales n'entrèrent pas dans le droit international, parce qu'elles n'existaient pas d'une existence juridique. « Sans Etat, point de nation » Ç), dit ailleurs le même auteur. Et d'une façon plus positive encore, Lorimer affirmait : « Nous « ne pouvons reconnaître les Slaves, les Celtes ou les Teu- V tons, uniquement parce qu'ils sont des Slaves, des Celtes « ou des Teutons : c'est seulement quand, sous l'influence de « facteurs historiques et géographiques, ces groupes se sont « cristallisés en corps politiques, qu'ils rentrent dans le cadre « d'un traité de droit international {*}. » Cependant, ces droits nationaux naissaient, grandissaient se développaient, prenaient une expressionjuridique, faisaient l'objet de projets et de discussions dans les pays, qui, par leur nature, étaient appelés à les connaître, et à ouvrir la I. Discours de Thiers au Corps'Législalif (t4 mars 1867). 3. Bluutschli. Théorie générale de l'Etal, p. 74. 3. BluDtscbli, Droilinlernational codifié. 4. Lorimer, Instilutns of law oj Nations, t. I, p. 100. INTHODUCTION M voie à une législation internationale : les pays composés de nations, et plus parliculirrement, l'Autriche. Ces pays étaient le préimage d'une Europe organisable. Parmi les multiples ouvrages autrichiens, où il est traité d'une protection des nationalités, il faut mentionner ceux des sociaux-démocrates, (|ui envisagèrent le problème dans toute son ampleur, et ne reculèrent pas devant les solutions les plus osées : Otto Bauer et Karl Renner ('). Cette conception d'une autonomie natio- nale au sein de l'Etat qui était la leur fut reprise par les Israélites/en 1917 ('). Les conférences socialistes interna- tionales de Stockholm et d'AMi>l('i(lara l'adoptèrent et l'insé- rèrent dans leurs programmes comme la seule solution de la question juive. III Les traités de paix de 1919-1920 dissocièrent les deux grands Etats composés de nations, qui subsistaient en Europe : l'Autriche et la Turquie. Dans l'ensemble, sinon dans le détail — car souvent l'exécution trahit l'idée générale — l'application du principe des nationalités, dans sa fornmic territoriale, était acquise. Et cependant, dans tous les Etats nationaux, ou représentés comme tel, subsistaient des mino- rités nationales... Les Auteurs du Traité de Paix pouvaient- ils s'en désintéresser ? Les Etats vaincus, qui se voyaient enlever une partie de leur territoire* se tournaient vers la Conférence, et lui demandaient une protection pour « leurs frères qui leur avaient été arrachés ». Ce sont les termes mêmes dont se servit la délégation hongroise; ils élaboraient un premier programme. Les Juifs, dont les aspirations nationales avaient été réveillées au cours de la guerre par les principes posés I. Ollo Bauer, die Nalionalildtenf rage und die So:ialdemokralie ; dir liedingunqen l'fir nalionalen Assimilation ; Karl Renner, der Kampf dsr œsterreichlschen Natin- nen um den Slaal ; die Nation als Hechtsidec : das Selbstbeslimmungsrecht der Mationen . a. Max Rosenfeld, die polnische Judenfrage. 10 LÀ PROTECTION DBS MINORITES par le président Wilson, réclamaient l'autonomie dans les pays de l'Europe Orientale où ils n'étaient pas la majorité. I..es minorités étaient inquiètes, et cherchaient à faire entendre leur voix. Leurs inquiétudes n'étaient pas sans fondement. Les nations qui entraient à la tribune du monde, après une sujétion de plusieurs siècles, ou qui retrouvaient des terri- toires séparés d'elles depuis longtemps, avaient des ressen- timents profonds et redoutables... D'opprimés, les peuples deviennent facilement oppresseurs, lorsqu'ils ont le pouvoir. La liberté ne s'apprend qu'à une longue école, et les hommes la conçoiA'ent difficilement pour les autres, quand ils ne l'ont point eue pour eux . * * Les Etats alliés pensaient-ils aux minorités nationales lorsqu'ils proclamaient le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » ? Il est probable qu'ils avaient surtout en vue une répartition plus équitable des territoires .. Mais il est des mots, qui ont leur histoire, et qui portent des consé- quences lointaines , insoupçonnées de ceux qui les prononcent. . . Celui-là était du nombre : les minorités se réclamèrent et se réclament encore de ce principe : ont-elles ou n'ont-elles pas le droit de le faire"? C'est une question passionnément débat- tue dans la presse des nouveaux Etats de l'Europe Centrale entre les représentants des deux groupes : nation majoritaire et minorités... Quoi qu'il en soit, à côté de ce principe général, il y avait les déclarations plus précises faites par le président Wilson dans son discours du 22 janvier 1917 : « 11 y a parmi le « nations organisées une chose plus profonde même que « l'égalité de droits. Aucune paix ne peut durer ou ne devrait f( durer, gui ne reconnaît pas, ou n'accepte pas le principe u que les gouvernements reçoivent tous leurs pouvoirs du « consentement des peuples gouvernés... Je pose ce prin- ce cipe, s'il m'est permis de citer cet exemple, que les hommes « d'Etat de tout pays sont d'avis qu'il devrait y avoir une « Pologne unifiée, et par cela même, qu'une sauvegarde INTRODUCTION 11 « inviolnhle rie l'eris/enrcdu rul/eel du développemetit social « et industriel devrait être garantie à tous les peuples qui ont « vécu jusqu'ici sous la domination de gouvernements atta- « chés à une foi et à des buts politiques en opposition aux leurs « propres. » C'était, semble-t-il, l'affirmation des droits des minorités religieuses et nationales ; il ne restait plus qu'à étendre à ces dernières le principe d'une protection internationale que le xix^ siècle avait conçue et développée. Aussi, pour rester fidèles aux principes qu'ils avaient pro- clamés pendant la guerre. les auteurs des Traités ne se désin- téressèrent pas du sort des minorités nationales. Une Com- mission spéciale de la Conférence de la Paix dite « des Nouveaux Etats » fut chargée de l'élaboration d'un projet qui servit de base à la rédaction du texte définitif. M. Benès retraçait dans les termes suivants devant le Par- lement tchécoslovaque, l'historique des négociations qui pré- cédèrent l'établissement du traité concernant son pays : « La seconde fois qu'il s'agit des Allemands en Bohême, « ce fut lorsque la question de la protection des minorités « vint devant la Conférence, et lorsque cette protection dut « être stipulée dans une sorte de traité... Je fus alors expres- « sèment interrogé sur la façon dont nous voulions établir (( une loi des. nationalités en Tchécoslovaquie, et quelles « concessions nous voulions garantir, non seulement aux « Allemands, mais à toutes nos minorités nationales. « Il fut constaté : l'Etat tchécoslovaque est un Etat com- « posé de nations, qui contient dix millions de Tchéco-Slo- « vaques et un peu plus de trois millions d'autres nations « minoritaires. Le territoire ruthènc a un caractère particii- « lier, et doit faire l'objet d'un règlement à part. La délégation « tchécoslovaque fut invitée h présenter un mémoire où « serait indiquée la situation qu'auraient à l'avenir les mino- « rites nationales. Elle fil à La Conférence de la Paix un « exposé qui fut jugé extrêmement libéral. L'on constata qu'on 12 LA PROTECTION DES MINORITÉS (' Qe pouvait exiger davantage, qu'au contraire le cadre du «• programme des minorités qui serait imposé à tous les Etats « issus des territoires de la monarchie austro-hongroise ne a pourrait être qu'un programme minimum, et qu'en consé- « qucnce quelques-unes des déclarations qui avaient été faites « par la délégation tchécoslovaque ne pourraient être com- « prises dans l'arrangement général relatif aux minorités. 't Gela prouve le point de vue équitable, auquel nous nous « sommes placés, dans la question des minorités . . Dans la « question juive également, la Conférence nous témoigna une « confiance absolue, et je suis d'avis que dans toutes les « questions nationales, notre République doit se conduire de 0 façon à mériter cette confiance des grandes Puissances et (I de la Société des Nations. Nous avons signé les traités de « paix concernant la protection des minorités, et je suis cer- M tain que la République Tchécoslovaque tiendra la parole « donnée ('). » * * Telle est, dans sa brièveté, l'histoire des minorités natio- nales... Question essentielle du droit public autrichien avant la guerre, elle est alors à peu près inconnue du droit interna- tional, à peine entrevue sous sa forme européenne par quelques auteurs. Les traités de paix de 1919-1920, en appliquant le principe des nationalités au partage des territoires, la mettent soudain au premier plan. Elle apparaît comme le seul moyen de nature à pallier les injustices inhérentes à ce par- tage, comme à toute répartition territoriale, à serrer de plus presque celui-ci ne le pouvait, les phénomènes nationaux si complexes qui se présentent à fOrient de l'Europe... La protection des minorités répond-elle, dans sa forme actuelle, aux espoirs qu'elle a pu faire naître ? Est-elle sus- ceptible d'évoluer dans l'avenir vers une solution plus par- faite ; ou bien les difficultés, auxquelles se heurte son appli- I. Discours du 3o septembre 1919. Prager Abendblatl, mercredi i^' octo- bre igiQ. INTRODUCTION 13 catioïi, lui imposent olles des limites rigides qu'elle ne pourra franchir ?... Tous ces prol)l«>nies qui tiennent par dos liens si étroits, à la fois à la vie intime et |)rofondc des nationalités et à l'état des rapports iiilernationaux, se posent au seuil de cette étude... C'est à les examiner — et non à les résoudre — que cet ouvrage est consacré. PREMIÈRE PARTIE LES DONNÉES DU PROBLÈME .\ La notion de minorité. — Les revendications minoritaires. — Les précédents autrichiens. — Possibilités et conditions d'dne solution internationale. CHAPITRE PREMIER LA NOTION DE MINORITÉ Minorités de race, de langue, de religion Minorités de sentiment La notion de minorité est particulièrement étrangère aux idées françaises contemporaines. Depuis la Révolution, les esprits se sont facilement accoutumés en France à considé- rer l'égalité juridique de tous les citoyens dans l'unité admi- nistrative de l'Etat, comme une formule définitive, un prin- cipe de droit supérieur et nécessaire.  cette conception simple, qui répond à la situation d'une nation très évoluée, la notion de minorité oppose la conception inverse : celle d'une différenciation de traitement légal entre les sujets d'un même Etat : individus et collectivités. Cette différenciation peut, suivant les cas, être inspirée par des points de vue différents et même contraires. Tantôt, elle apparaît comme une création arbitraire du législateur, tantôt comme une nécessité imposée à lui par une situation de fait, mesure de restriction ici. et là mesure de protection. Il a existé dans l'histoire de certains pays — nous en verrons des exemples — des lois qui n'eurent d'autre objet que de restreindre les droits de certaines classes de la population, d'autres motifs que l'hostilité des autres classes ou leur désir de se conserver intact le monopole des situations dont elles jouissaient Mais, ces cas ne sont pas tous les cas. Parfois aussi, les différences de mœurs et d'activités sociales entre les individus rendraient une assimilation complète, injuste et même impossible. L'exception légale est alors, aux mains du législateur, une méthode de redressement, un moyen de T. A NOTION DES MINORITES 17 réaliser entre tous, en tenant compte de ces différences ini- tiales, une égalité approximative... Ces groupes d'individus qui sont s.uje(s de l'Ktat, au même titre que la généralité de sujets, et qui cependant ne sont pas ou ne peuvent être assi- milés à eux sur tous les points, constituent des « minorités », au sens que la terminologie actuelle donne à ce mol. Ainsi dégagée dans son essence, la notion de minorité se révèle comme une notion abstraite. Elle n'impliijue pas l'exis- tence de traits déterminés, mais celle d'un rapport juridique, dont les termes varient suivant l'importance que les mœurs et les préjugés attachent à tel signe, à tel caractère. 11 s'ensuit que les signes qui peuvent faire une minorité, d'un groupe de sujets, sont en nombre illimité, sans qu'aucun d'eux, pris en particulier, n'ait le privilège d'entraîner cette conséquence en detiors d'un cadre moral et social donné. La distinction entre hommes libres, affranchis et esclaves, par exemple, qui fut à la base de l'organisation des sociétés antiques, est aujourd'hui abolie. L'on trouverait par contre des différences, qui paraissaient négligeables alors, et qui ont pris une impor- tance considérable dans nos sociétés modernes. Pour nous en reporter au texte des traités de 1919-1920, nous nous limiterons dans cet ouvrage aux minorités qui ont pour origine, « la race, la langue et la religion ». (]es trois signes, dont le rapprochement peut paraître surprenant, si l'on ne considère que leur nature intrinsèque, ont cependant, à l'heure actuelle, le caractère commun, d'être ceux qui distinguent et opposent avec le plus de force, dans une grande partie du monde, les populations qu'ils marquent de leur empreinte. L'on ne peut voyager dans lEurope Centrale et Orientale, de la mer Egée à la Baltique et de l'Adriatique à la mer Noire, non plus que dans les pays du Proche-Orient, sans être frappé des barrières infranchissables qu'ils élèvent entre les habitants d'un môme territoire, barrière? dont l'Eu- rope Occidentale, plus stable dans son organisation politique, a perdu jusqu'au souvenir. La race, la langue et la religion ne sauraient toute fois être plei- nement assimilées pour l'influence qu'elles ont exercée sur la formation des populations, ni pour les conséquences d'ordre lé- 18 LA PROTECTION DES MINORITÉS gislatif qu'elles comportent. Leur signification respective, au point de vue social, a suivi une courbe différente dans le temps et diffère actuellement d'une région à l'autre. Avant d'aborder létude du problème dans son ensemble, il est donc nécessaire d'examiner séparément ces trois signes, qui en forment les élé- ments, dans leurs répercussions actuelles. A. — La Race Il est des minorités de race, et de race uniquement .. L'exemple classique est celui des nègres aux Etats Unis. Gomme le blanc, le nègre est, en ces régions, de culture anglo-saxonne et de religion anglicane. La différence qui les sépare tient donc essentiellement à la race. Telle quelle, elle a suffi à empêcher pendant longtemps entre eux toute assimi- lation légale, et aujourd'hui encore, elle maintient à l'encontre du nègre des préjugés et des restrictions de droits. Mais, dans l'Europe Centrale et Orientale, les races en con tact sont, le plus souvent, d'origine voisine ; et, le plus souvent aussi, les contrastes primitifs qui existaient entre elles, ont été atténués, au cours du' temps, par suite des mélanges qui se sont produits à leurs points de souture, créant des types de transition. Pour toutes ces raisons, le critérium ethnique est en général difficile à saisir : « Ira-t-on, dit ironiquement M. Renner, pour (( savoir dans quelles localités doivent s'ouvrir des écoles « minoritaires, réunir une commission médicale, chargée de « mesurer la forme du crâne des enfants ?... » M. Renner conclut ici au paradoxe. Il est clair en effet que, lorsqu'une race cesse de se distinguer des races voisines par un signe sensible, manifeste de prime abord, les différences entre elles cessent également d avoir des répercussions sociales ; elles peuvent intéresser l'ethnologie ; elles n'intéressent plus le droit... Les nations les plus homogènes, comme la France, sont formées de l'apport d'éléments ethniques divers. . . Le problème ne peut donc se présenter sous la forme d'un problème de race, que dans le cas où la race envisagée a con- LA NOTION DK? MINOMITÉ"* 19 serve, dans leur pureté, ses caractères originaux. La résis- tance à l'assimilation, condition nécessaire ici, lorsqu'elle n'est pas due, comme dans l'exemple du nègre au Etats Unis, à une opposition physique fondamentale, tient généralement, en fait, à ce que des facteurs intellectuels et moraux sont venus renforcer la différence initiale, entretenant ainsi, de part et d'autre, la conscience ethnique : différences de traditions et de coutumes, groupées autour d'une idée religieuse ; différences de langue. .. C'est ainsi que se présente la situation dans l'Eu- rope Centrale et Orientale. La race est bien à l'origine de la distinction ; mais, elle n'apparaît plus qu'au travers d'influences diverses, qui l'ont transformée, en ont fait la nationalité... B. — La langue En elle-même, indépendamment de toute autre considéra- tion, la différence de langue suffirait dans tous les cas à ren- dre impossible une assimilation complète. L'égalité entre les individus n'existe de fait que s'ils ont tous les mêmes facilités à faire valoir les droits que la loi leur reconnaît... Et tout aussitôt, se présente la question de langue dans les rapports de l'individu avec l'administrateur et le juge. Ne point tenir compte au minoritaire de son ignorance de la langue officielle, serait établir à son préjudice une iné- galité flagrante. Ainsi posé, le problème peut paraître transitoire. Sous l'ac- tion du temps et l'influence du milieu, l'on peut supposer le minoritaire apprenant la langue de la majorité, l'assimi- lation seulement retardée. Il en serait ainsi, si la langue n'était que la forme maté- rielle d'une pensée identique. Mais, à ce signe, s'attache un patrimoine de traditions, de souvenirs et d'idées, qui, en lui donnant une signification morale, modifie les données du problème. 20 L\ PROTECTIOM DES MINORITES Dans une page de large synthèse ('), M. Renner a retracé le rôle joué par la langue populaire dans la formation du sentiment national. Il l'a montrée, d'abord uniquement par- lée, naissant au Moyen Age à la littérature avec le « Lied », se substituant peu à peu au latin, par une lutte opiniâtre, dans tous les domaines de la pensée, créant une « culture nationale » ; et cette culture nationale, née d'une langue commune, façonnant à son tour, chez les hommes qui y par- ticipent, une manière commune de penser et de sentir, pre- mière étape du concept de nation. La nation, qui maintenant a pris conscience d'elle-même et est née à la vie politique reste pour lui, dans son essence, une « communauté de culture » (Eine Kulturgemeinschaft) ('). Dans lEurope Centrale en effet, c'est bien la langue qui apparaît comme le signe le plus certain de l'existence natio- nale. C'est par une renaissance linguistique que s'est annoncé au xix*" siècle le réveil de plusieurs nationalités, notamment de la nationalité tchèque. C'est suivant la carte des langues, que le principe des nationalités a été appliqué au partage des ter- ritoires. C'est d'après la langue — langue maternelle ou lan- gue parlée — que sont établies les statistiques nationales dans les Etats composés de nations. Etre Tchèque et parler tchèque, être Allemand et parler allemand apparaissent dans l'ancienne Autriche comme une même chose. Aussi, les questions de langue ont-elles pris dans ces pays une importance primordiale. « Elles sont, dit M Renner, le (( champ de bataille (Tummelplatz) de lamonarchie desHabs- «( bourg. ) Chaque nationalité entend conserver sa langue et n'être point contraint d'en acquérir une autre, qui risquerait de l'éliminer. De là, la permanence du problème dans Tadmi- nistration et la justice,. de là son apparition dans l'école ('). 1 . Karl Renner, « das Selbslbestimmungsrecht der Nationen », p 5, et suiv. a. L'influence du facteur « langue » sur la formation du concept de nation est très discutée. De façon générale, les écrivains germaniques voient dans la langue un facteur prépondérant. Certains Français ont mis en doute son impor- tance ; c'est le cas par exemple de Funk-Brentano et Sorel (Précis du Droit des Gens, p. i8). 3. Voir ch. II, droit au maintien du caractère distinctit. L\ NOTION DE MINCRITP: 21 C. — La religion Entre la langue et la religion, l'on a souvent lente d'établir une parallMe. Gomme la langue tend à le devenir depuis l'application du principe des nationalités, la Religion fut dans les Temps Modernes, le fondement de l'unité morale de l'Etat ('). (^omme la langue encore et pour les mêmes raisons, la religion a joué un rôle prépondérant dans la formation de la conscience collective de certaines nationalités. Cependant, le parallèle n'est point parfait. La différence de religion peut, dans certains cas, ne pas avoir d'influence sur le régime juridique des individus, de mrme qu'elle peut, dans d'autres, nécessiter une différenciation beaucoup plus profonde que la différence de langue. Ses conséquences ont varié suivant les époques, et varient suivant les religions envisagées. Pour les saisir, il est nécessaire de distinguer suivant qu'il s'agit des religions chrétiennes entre elles, delà religion juive ou de la religion musulmane. I, — Les religicns chrétiennes Dansl'époquequi vadela Réformeà la Révolution Française, et que l'on est convenu d'appeler « Les Temps Modernes » a religion fut le caractère essentiel, on pourrait dire unique, qui distingua les uns des autres les sujets d'un même Etat. En verlu du principe, unanimement admis alors, « Cujus « regio, ejus religio », un seul culte était officiellement reconnu par l'Etat. Les cultes dissidents n'avaientqu'unesilua- lion légale incertaine, tantôt tolérés, tantùtpcrsécutés. L'arbi- traire s'étendait aux personnes et aux biens des fidèles de ces cultes. Pour les ramener à la religion d'Etat, tousles moyens furent à peu près employés. L'unité religieuse dans l'Etat apparaisï-ait aux contemporains comme un bien supérieur 1. L'on a même oppose les formules calquées sur le même l)pc : « Cujus regio, ejus religio », <( Cujus regio, ejus natio » (formule de l'Etat national). J. Fouques-Duparc 2 22 LA PROTECTION DES MINORITES à la liberté individuelle. « Elleélait au xyii% écrit Oechsli, la « condition absolue de la prospérité d'un Etat. » Les dissidents religieux constituaient des minorités du fait de l'exclusive prononcée contre eux. Ils en constituaient en second lieu par suite de la confusion existant entre les attri- butions de l'Etal, et celles de l'Eglise d'Etat. Des fonctions intéressant tous les habitauts du territoire étaient dévolues au Clergé. Lors donc que, renonçant à appliquer les prin- cipes dans leur rigueur, l'Etat reconnaissait aux dissidents le droit de vivre et d'exercer leur culte, il devait aussi instituer en leur faveur, dans tout le domaine où la confusion d'attri- butions s'était produite, un régime d'exception. Ainsi. l'Edit de Nantes en France prévoit pour les protestants un état-civil, des écoles et une assistance. . . Les principes de liberté de conscience, proclamés à la fin du xvin*' siècle par la Constitution américaine et la Révolution Française se sont étendus au début du xix" à toute l'Europe Occidentale. Sous leur influence, tous les cultes ont été autorisés dans la mesure où ils ne sont pas contraires à l'ordre public ; les restrictions légales, qui pesaient sur les adhérents des cultes dissidents, ont peu à peu disparu ; enfin l'Etat, de plus en plus, assure par ses propres organes les fonctions qui intéressent également tous ses sujets. A mesure qu'il a évolué vers la laïcité, la notion de mino- rité graduellement s'est effacée. En France, l'on peut dire qu'il n'y a plus, au sens juridique du terme, de minorités reli- gieuses. Cette notion subsiste encore, atténuée, dans certains pays, soit que des privilèges demeurent attachés à une église (reli- gion d'Etat), soit que l'enseignement public ait gardé un carac- Cère confessionnel. * L\ NOTION DE MINOniTK 23 Au point de vue do la formation des nationalités, la religion a joué le plus grand rôle dans l'Europe Orientale. I/église bulgare, l'église russe, les différentes églises chrétiennes de Turquie sont des églises nationales. Sans parler même d'églises nationales la religion dans ccrlaines régions revêt un caractère national ; on Transylvanie, par exemple, la délimitation se fait do mémo entre confessions religieuses et nationalités ; les Sa.xons sont évangéliques, les Szeck 1er uni- taires, les Roumains orthodoxes. C'est la religion qui a empêché la fusion de ces races, et permis à chacune d'elles de ' et plus tard celui de « Rayahs », à conserver leur vie, leurs biens et leur religion ; et dans la religion, il faut, par analogie, faire entrer le statut personnel. Ces principes furent appliqués, point par point, par Mahom- mct II lors de la conquête de Constantinople. Le surlende- i.Voir II* partie, chapitre 1. L\ NOTION DE MINOUITÉ 29 main de son entrée dans la ville, le le' juin i^■o^, il reroit en grande pompe Gennadios, Patriarche fll']cuméni(iue ; il fait venir de Brousse, Joachim, Patriarche Arménien; et mande le grand Rabbin Moché Gapsali. Aux chefs des « Trois nations » conquises, il accorde un diplôme d'investiture ou bérat, leur déléguant le pouvoir d'administrer, de légiférer, de taxer et de juger les « rayahs » de la môme religion. Ces Bérats, renouvelés et modifiés par les successeurs de Mahommet, restent la base du droit public ottoman, en ce qui concerne les rapports du gouvernement avec les populations chétienncs {'). Dans la conception primitive, l'idée même dune assimila- tion possible entre Infidèles et Croyants doit être éliminée. Les « Rayahs » sont des étrangers, comme les Juifs en pays chrétiens ; (]e sont des populations inférieures soumises, qui témoignent par le paiement d'un tribut annuel de leur sujé- tion aux Musulmans (-). Dans les constitutions ottomanes du xix« siècle, l'on trouve l'idée, parfois même le mot d'égalité : la première fois, dans le Hutti-humayoum de 185G, rendu à l'instigation de la France et de la Grande-Bretagne, puis dans la constitution de 1876, enfin dans la constitution jeune-turque de 1908. Ces textes, inspirés des constitutions occidentales, semblent inaugurer un régime nouveau, analogue à celui qui est en vigueur en France, en Angleterre ou aux Etats-Unis. Pourtant, il ne faut point s'abuser sur le mot d'égalité. Entre sujets de religions différentes, une assimilation com- plète n'est possible que dans un Etat laïc. Le droit ottoman 1. Arminjon, E/rangiers et ftrotdgi's dans rEmpire Ottoman (Paris, 190 '■)(Inlro- duclion), voir plus loin 111' partie, chapitre VI (Autonomie, communautés chré- tiennes en Turquie). 2. Art. VllI du Ilulli-humajoiim du 18 février i85*» : « Tout mot et toute « expression ou appellation tendant à rendre une classe de mes sujets inférieure « à l'autre, à raison du culte de la langue ou de la race, sont à jamais abolis du « protocole administratif». (V. H' partie, ch. I, les Pays hors-chrétienté et les Congrès de Paris el de Berlin.) 30 LA PKOTEGTION DES MlXOlUïÉS malgré l'effort accompli par les Turcs à la fin du xixe siècle pour le laïciser, reste un droit religieux ('). Les questions de statut personnel font partie intégrante de la loi du Prophète. Sans renoncer à cette loi elle-même, les Turcs ne pouvaient les en dissocier. L'égalité ne doit donc point être comprise dans le seus d'as- similation, mais d'égalité par transposition. Sur le même plan, l'école musulmane et l'école chrétienne peuvent fonc- tionner; sur le même plan, les tribunaux du « Chéri » et les. tribunaux patriarcaux. C'est ce qu'établissait le Hutti- humayoum de I80G ; c'est ce qu'après lui ont décidé les trai- tés actuels ('). D. — Les minorités de sektimekt En étudiant l'influence respective de la race, de la langue- et de la religion, nous avons vu, derrière ces signes divers, apparaître un élément de synthèse, le sentiment, qui donne à la minorité une unité morale, et l'oppose au reste de la population de l'Etat. Né ici d'une différence de race, de langue ou de religion, le sentiment peut exister en l'absence de ces signes. L'on cite le plus souvent l'exemple de l'Alsace-Lorraine, qui, voisine de l'Allemagne par la race et la langue, a toujours, par le senti- ment, été dans l'Empiraaine « étrangère ». La notion de minorité n'apparaît pas, dans ce cas, aussi complète que dans les précédents. Individuellement les membres des minorités de cette sorte peuvent être pleinement assimilés aux autres sujets de l'Etat sans être lésés dans leurs droits... C'est en tant que collectivité qu'ils présentent un caractère propre et réclament une organisation particulière sur ce point, leurs aspirations se confondent avec celles des minorités nationales ('). I . Sur les réformes du droit public oUoman au six': Van deii Berg,Lc« Ré/ormes législalives en Turquie (^Revue du Droit inlprnaliona!, 1897); Sawas Pacha: Elude sur la Théorie du droit musnlinan, (I^*" partie, p. aG et suiv.) Ces deux auteurs ool critiqué la méthode de réforme du droit ottoman, par voie de placage el grellage. a. Voir plus loin 111*^ partie, ch. VI. , 3. Voir au chapitre suivant, le droit à Vautonoiide. CHAPITIIE H LE PROBLÈME DES MINORITÉS (Revendications minoritaires ; objections de 1 Etat) Toutes les minorités ne sont point parfaitement compa- rables. Elles diffèrent les unes des autres par leur nature, et, dans chacun des grands cadres qu'ont traces ces traités, par les conditions particulières de leur vie. Une multitude d'élé- ments concourent ù les différencier : l'ancienneté de leur ins- tallation dans le pays, la forme de cette installation (groupes denses ou diaspora) ; leur importance numérique ; leur culture intellectuelle; leur situation économique et sociale; la proxi- mité enfin de la nation originaire, dont parfois elles reçoivent le mot d'ordre, qui parfois aussi les abandonne. En dépit do ces divergences, les minorités ont cependant toutes entre elles des traits communs; et ces traits qui ont permis, au-dessus des cas particuliers, d'établir la notion de minorité, en imprimant également de leur marque toutes les revendications minoritaires, posent, au-dessus des problèmes d'espèces, un problème général. Ce problème découle logi(iuement de la définition même de la minorité. Une minorité, nous l'avons vu, est un groupe formé de certains sujets de l'Etat, qui se distinguent des autres sujets par un signe caractérisli(iue : langue ou religion. Ce signe qui risque de porter préjudice aux sujets minoritaires, en servant de prétexte à l'Etat pour les exclure de certains droits, constitue, considéré d'un autre point de vue, leur patrimoine intellectuel et moral le plus sacré. De là, les deux aspects de leurs revendications : ils entendent n'être point lésés dans leurs droits d'hommes et de citoyens de l'Etat à l'occasion de ce caractère, et, en même temps, conserver celui- ci et le transmettre à leurs enfants : être égaux aux au lus sujets, et rester différents d'eux. 32 TA PROTECTION DES MINORITES Il y a plus : en les séparant des populations près desquelles ils vivent, ce signe les a groupés entre eux ; il les a unis par un faisceau de mêmes habitudes et d'intérêts communs : il a développé en eux une conscience collective... De celte solida- rité, ils veulent obtenir la reconnaissance légale. « Droits de l'homme » ou droits individuels : droit au maintien du caractère dislinctif ; droit à l'autonomie : telles sont les étapes par lesquelles s'élèvent toutes les revendica- tions minoritaires, étapes au cours desquelles elles se heurtent à une objection croissante de la part de l'Etat. I. — Droits de l'homme De tous, les droits individuels sont les moins contestés. C'est en effet une idée admise de tout temps que certains droits appartiennent à l'homme, en tant qu'homme, et ne sauraient lui être refusés sans injustice. Les Théologiens et r « Ecole du Droit de la Nature et des Gens » nommaient ces droits : droits naturels ; l'Ecole du xix« siècle les a nommés « droits humains ». Ces droits, dont le contenu a varié suivant l'époque et les auteurs ('), ont été définis et précisés dans la Constitution Française de 1791, qui, ayant à établir la situation légale des Français, ne limita point là son objet, et proclama de façon absolue « les droits de l'homme et du citoyen ». Les droits individuels que réclament les membres des I. M. Rougier, dans une étude qu'il a consacrée à ce sujet (Intervention d'humanité, R. D. 1. P., t. XVII, i9io)a énuméré, coname incontestables à son avis, « Le droit à la vie, à la liberté, à la légalité^ à la propriété ». La question de savoir si le droit à l'égalité devait être rangé parmi eux a fait en 1902, l'ob- jet d'une controverse célèbre, au sujet de la note envoyée par le Gouverne- naent des Etats-Unis au Gouvernement Roumain pour protester contre le trai- tement dont les Juifs étaient victimes dans cet Etat. Entre autre griefs, le Gouvernement des Etats-Unis invoquait: « Les incapacités politiques et civiles des Juifs roumains et l'imposition sur eux de taxes extraordinaires. » Certains auteurs ont critiqué celte Note, en arguant que les droits énumérésici ne fai- saient pas partie des « droits humains », et qu'en conséquence le Gouvernement des Etats-Unis, qui ne pouvait se réclamer que des principes généraux n'ayant pas été signataire des traités de Paris et de Berlin, n'était pas fondé à en faire état. Sur les Juifs Roumains, voir 2* partie, ch. II, p. 89. LE PROBLKME DES MINORITES 33 minorités se ramènent aux grandes idres exprimées dans cette déclaration. Ils peuvent se résumer dans les deux mots de « Liberté » et d' « Egalité » : Etre libres de pratiquer leur culte et de parler leur langue ; être égaux aux autres sujets : avoir la jouissance des mêmes droits civils, des mômes droits politiques, des mêmes libertés publiques. * Dans un Etat laïc et homogène, l'égalité de droits entre les sujets est résolue par la formule simple de l'égalité arithmé- tique. Elle résulte naturellement de l'absence de mesures res- trictives à rencontre d'une classe quelconque de la nation... Entre sujets de langues différentes, ou, dans un Etat non laï- cisé, de religions différentes, l'absence de mesures restrictives est sans doute nécessaire aussi pour réaliser l'égalité ('), mais elle n'est plus suffisante. Il faut encore que l'Etat prenne en considération le caractère distinctif de la population mino- ritaire, adapte à la situation particulière de cette population ses principes législatifs et môme ses services publics. Cette nécessité apjKiraît avec évidence, lorsque Ton passe du domaine des droits individuels proprement dits au domaine des libertés publi(iues. La liberté de parole, la liberté de presse, la liberté de réunion, reconnues également à tous les sujets, ne mettent le minoritaire de langue sur le môme plan que les autres^ (juc s il a le droit de prendre la parole et de rédiger dans sa langue comme eux dans la langue officielle. La question do ludaplalion se pose également pour les services publics, avec lcs(iuels les minoritaires, comme tous les sujets, sont, parles conditions mômes de la vie, appelés à entrer en rapports (adminisiration, justice). L'Etat a à tenir compte de leur ignorance de la langue officielle, à organiser I. C'est surtout à l'égard des Juifs que subsistaient on 1919 des restrictions de droits. En Roumanie, les Juifs ne jouissaient pas du statut légal des natio- naux. Ils étaient en conséquence prives de l'intcgralilé des droits politiques et d'une partie des droits civils. Dans d'autres pays (Pologne russe, Russie) des limitations leur étaient imposées, touchant les droits de propriété, de circulation et d'établissement. 34 L\ PROTECTION DES MINORITES en conséquence ses tribunaux, à choisir en conséquence ses fonctionnaires. C'est là une revendication si légitime, que toutes les légis- lations, qui se sont trouvées en présence d'une situation semblable, ont pris les mesures de cet ordre, mais elles l'ont fait dans un esprit différent. La loi prussienne d'organisation administrative du 28 août 1876 par exemple, liéclare, dans son article l^"" : « La langue allemande est la langue officielle unique de toutes les autori- tés, fonctionnaires, organes politiques de l'Etat. » Cependant, prenant en considération les minorités de langue polonaise, elle ajoute dans son article 3, qu'une autre langue que l'alle- mand peut, par ordonnance royale, dans certaines fron- tières, « et pour une durée de vingt ans au maximum », être admise dans les rapports avec l'administration ('). Cette loi respecte les o droits de l'homme » du minoritaire. Elle tient compte de sa situation actuelle, c'est-à-dire de son ignorance de la langue officielle. Mais elle considère cette situation comme temporaire, et accorde au Polonais un délai pour apprendre l'allemand. Or, les minorités entendent non seulement ne pas être lésées par suite de leur langue, mais conserver celle-ci de façon définitive. C'est ainsi que s'annonce la seconde série de leurs reven- dications, celles qui visent le maintien de leur caractère dis- tinctif. II. — Droit au maintien du caractère distinctif (langue ou religion) Entre la religion et la langue, il faut ici distinguer : La liberté de conscience entraîne nécessairement pour la minorité le droit de pratiquer son culte, d'entretenir les édi- 1. La loi d'organisation judi«naire du 37 janvier 1877 reconnaît le même principe dans son article 186 : « La langue judiciaire est Tailemand ; cepen ' dant, si des personnes sont partie à un procès, qui ne connaissent pas parfaite-? ment (beherrschen) l'allemand, elles seront assistées d'un interprèle ». LE PHOBLKME DES MINORITES 35 fices qui lui sont consacrés, et, dans le cas on l'enseignement de IFtat serait confessionnel ou imprégné d'esprit reli;.'ieux (écoles musulmanes par exemple), d'avoir ses écoles h elle. Ce droit a été [)roclamé,au cours du xix* siècle, par la plu- part des constitutions; il a pris la plarc dans les décisions d'un Congrès International (•) ; il ne p-iut sérieusement ôlre mis «n cause. Le droit de la minorité à conserver sa langue est loin d'être ^ussi bien établi. Pour le reventli(]ucr, les minorités se fon- dent sur un principe, ou mieux, sur un sentiment déiiuité, dont plusieurs Auteurs du Droit des Gens ont reconnu la valeur. Blunlschli, dans sa Théorie générale de i Klal, après avoir noté qu'eu matière de droits nationaux, « il est difficile de « trouver une formule juridique qui corresponde au précepte "<( moral », ajoute : « Sont cependant susceptibles d'être invoqués : 1" Le droit à la langue nationale. « La langue est le droit le plus essentiellement [)ioprc du « peuple, la manifestation la plus nette de son caractère, le « lien le plus fort de sa culture commune. Aussi C Etat nat-il « pus le droit d'arracher à un peuple son idiome, ni d'en « interdire les progrès et la littératui'e. Il doit au contraire « l'encourager avec bienveillance, en tant que les intérêts « généraux de la civilisation le permettent... Proscrire de « l'Eglise et de l'Ecole la langue d'une nation civilisée serait « une amère injustice (')• » Ce sentiment d'équité a pris forme juridique dans une cons- titution, la Constitution autrichienne de 18<>7. L'article 29 de celte conslituUon proclame : « Tous les peuples (Volksstàmme de l'Etat sont égaux en « droits. Chaque peuple a un droit inviolable à la conserva- I. Le Congrès de Berlin. Voir II' partie, ch. 1. a. Blunlschli, Théorie Générale de T/ir/rt^ Traduction Armand de Riedmatten, p. 77. Blunlschli ajoute dans son paragraphe 4 : « Lne nationalité allaqnce par « PElal dans son existence morale et intellectuelle est naturellement poussée à « une résistance énergique : c'est la plus juste cause de révolte contre la Ty- « rannie. » 36 LA PROTECTION DES MINORITES V tion et à l'oitrelien de sa Jiationalité et de sa langue ('). » La constitution de 18G7 ne concerne que les nationalités d'Autriche. Mais, en mettant sur le même plan que les droits individuels les plus reconnus, les droits de la nationalité elle a donné à ceux-ci une valeur objective. Dans cet article 19, les nationalités de l'Europe Centrale et Orientale ont vu une déclaration de leurs Droits, analogue à ce qu'avait été pour l'Homme, « la déclaration des Droits » annexée à la Consti- tution française de 4791. * De toutes les institutions qui assurent la conservation de la langue, l'école est la principale. Suivant la direction qui lui est imprimée, elle peut consolider ou au contraire détruire dans l'esprit des enfants les influences familiales, devenir l'instrument le plus puissant d'assimilation ou de résistance à l'assimilation. « Qui tient l'école, tient l'avenir », dit-on. Il suffirait, pour illustrer ce mot, de rappeler le rôle joué par elle dans les campagnes méthodiques de nationalisation pour- suivies par la Prusse en Pologne ou par la Hongrie dans les pays slovaques et roumains. A l'inverse, aussitôt après avoir proclamé le droit des nationalités à conserver leur langue, la 1. Article 19 de la Conslilution de 1867 (R. G. Bl., n° i43). L'article 19 ajoute : « L'égalité en droits de toutes langues en usage dans la province à l'école, « dans l'administration et la vie publique, est reconnue par l'Etat, « Dans les provinces où résident plusieurs peuples (Volksslâmme) les établis- « sements d'enseignement public doivent être organisés de telle façon que, sans « qu'il y ait de pression exercée pour l'enseignement d'une deuxième langue de « la province, chaque peuple ait à sa disposition les moyens nécessaires pour être « instruit dans sa langue ». (A.lle Volksstamme des Staates sind gleichberechtigt, und jeder Volksstâmm hat ein unverletzliches Recht auf Wahrung und PHege seiner Nationalitat und seiner Sprache. Die GÏeicbberechtigung aller landesûblichen Sprachen in Scbule, Anit und ôffentlichem Leben vvird vom Staale anerkannt. In den Liindern, in welcben mehrere Volksstamme wohnen, sollen die ôf- fentlichen Unterrichtsanslalten derart eingerichtet sein, dass ohne Anwendung eines Zwanges zur Erlernung einer zweiten Landessprache, jeder dieser Volkss» tiimme die erforderlichen Miltel zur Ausbildung in seiner Sprache erhdlt). LE PllOBI.KME DES WINOHITÉS 37 Constitution autrichienne de 1807, comme la première consé- quence de ce droit, garantit que l'instruction sera donnée dans leur langue aux enfants ('). Ce but peut ôtre atteint de différentes fa«;ons. Le procédé adopté parles traités de minorités est, nous le verrons, l'in- troduction de la langue minoritaire dans l'enseignement public de l'Etat, comme dans son administration et ses tribunaux (*). C'était déjà celui qui était employé dans l'ancienne Autriche. L'instruction y était donnée, en règle générale, dans la langue de la nationalité en majorité dans la commune envisagée. Pour assouplir ce critère un peu rigide, plusieurs propositions furent faites: la Diète de Bohème avait décidé en 1*J0(J que la minorité communale aurait une école dans sa langue, si elle composait au moins le quart de la population de la commune. M. llcnner émettait 1 idée au Parlement de V^ienne (jue ce droit fût reconnu aux nationalités dans toutes les localités où elles comptaient un nombre d'écoliers suffisant. Les modalités d'application peuvent varier ; l'idée direc- trice reste la même. C'est l Etat, qui, centraliste et libéral, assure, dans le cadre d'un enseignement public dont il garde le monopole, la conservation de la langue minoritaire. Cette idée va à l'enconlre des aspirations des minorités (jui consi- dèrent leur langue, bien moins comme le patrimoine de la personne, que comme le signe d'une vie collective qu'elles veulent pouvoir organiser et développer elles-mêmes. III. Le droit a LAUTOiNOMIE Ce serait en effet ne pas comprendre le problème, (jue réduire la (jueslion nationale à une (juestion de « langue par- lée ». Si la nationalité a pu n'être dans un temps qu'une com- munauté sentimentale et vague, elle est actuellement iiuehjue chose de plus : « L'n vouloir conscient » (ein bewusstes Willcn), dit M. Ilenner dans un langage un peuabslrait : les hommes 1. Voir la Dule [irccLilerilf-. •j. Voir 3' partie, ch. V, les Dniits cuUuuls. J. Fouques-Du[»arc 36 LA PH0IEC1I0N DES MINORITÉS qu'ont rapprochés des afl'inilés ethniques et des influences intelleclue'lles «t morales veulent s'associer et s'unir. Celte volonté d'union, les nalioTîs "massées sur des terri- toires définis ont pu la s-atisfaire selon le principe des natio- nalités ; les minorités, fractions nationales, entendentla réa- liser sous la îorme qui leur paraît 'conciliable avec leur existence dans un Etat étranger, sous forme d'aulonomi'e, antonouiie qui varie dans son étendue suivant la nature de leur 'caractère distinclif, dans sa forme, suivant les "modali- tés de la répartition géographique auxquelles elle a à s'adap- ter, mais qui, dans son principe, figure dans tous les pro- grammes ('). En ce point de leurs revendications^, les minorités n'ont de précédents à invoquer,- ni dans le droit international, ni même dans le droit constitutionnel L'autonomie accordée par les Etats à certaines populations, a toujours revêtu le caractère d'une mesure locale et exceptionnelle. Aussi, n'est-CB pas d'an droit positif qu'elles se réclament mais d'un principe général et abstrait qui, reconnu depuis longtemps de certains auteurs et du Parti socialiste ('), a été proclamé pendant la guerre par le Président Wilson, avec une force toute particulière « le droit au Self-gorernment », « le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ». Sans doute, pourrait-on leur objecter que ce droit a été proclamé comme im principe de répartition territoriale, et non de droit public ('). Mais, pour elles, entre les deux ordres 1. Dans les programmes des Allemands en Tchécoslovaquie (dcclaralioji de rUoion parlemenlaire allemande el des Sociaux-démocrates à la première séance du Parlement de Prague, /J juin 1920) des Juifs en Pologne (Livres de M. Ro- senfeld ; discours de .M. Holenderski au Landrat de Locz en mai 1917); des Hongrois eu Slovaquie, Roumanie, Yougo-Slavie (Programme de la délégation hongroise à la Conférence de la Paix, résumé par M. Horvarlh Peirichevitch da^ns VOEslerreichische Rundschau du 1 5 avril i9io);des Musulmansen pays chré- tiens (^Introduction à C élude des revendications islamiques, par M, Massignon, Revue, du Monde Musulman, vol. 89) etc.. Sur les moyens de réaliser celte autonomie voir le chapitre suivant: m les difficultés du problème ». 2. Voir ?.^ partie, Gh. V, la Genèse d'une idée nouvelle, le socialisme. 3. C'est ce qui semble ressortir des déclarations faites à ce sujet parle Prési- LE PROBLÈME DES MINORITÉS 39 d'idées ri n'y a pas de cloison étanclie, mais sen'lcment diffé- rence de modalités. « Le droit au Self-Governmcnt », dit en .substance >h Max Rosenfcld, interprète de la pensée nationale juive en Polof^e, ne peut se réduire à celte forme rigide qu'est l'organisation ■de la nation en un Etat. Cette application convient aux nations qui sont groupées sur des territoires délimités. Mais, pour celles qui, comme la nôtre, sont disséminées en « dis- pora » sur de vastes territoires, le droit des peuples à dispo- ser d'eux-mêmes conduit à l'autonomie « avec une logique de fer» (mit eiserner Konsequenz) ('). Nous sommes obliges de constater, disent les Allemands de Tchécoslovaquie, que « le droit des peuples à disposer d'eux- mêmes » a été violé à notre détriment, puisque nous avons ^té incorporés, sans notre consentement, à la République tchécoslo\^que... Ce droit que nous n'avons pu obtenir sous sa forme territoriale, nous le réclamons dans l'I^^lat nouveau, auquel nous sommes rattachés, sous forme d'autonomie natio- nale (*). « « Les minorités veulent ôtre autonomes, en premier lieu et ■dent des Etals-Unis : a Nous combattons de nouveau, écrit-il dans son Message « au Gou\erneiiietit provisoire russe le lojuin 1917, pour le self-government, a et le développement sans contrainte de tous les peuples, et toute disposition « de l'arrangement qui mettra un terme à cette guerre doit être conçue ^et exé- « culée à cet elTet... Maib il ajoute au.ssilùl, précisant «a poasée : « Les remaniements eiFeclils y pourvoiront, et tous les remaniements eflecLifs « doivent être fait». Mais ces remaniements doivent se baser sur un principe, et « ce principe est clair: aucun peuple ne doit (Ure contraint de vivre sous une « souveraineté qui lui répugne. Aucun territoire ne doit changer de œaios, si « ce n'est dans le but d'assurer à ceux qui l'habitent des chances cquitaLles de « vie et cem[)le... Mais, en marge du droit positif, la théorie s'empare de la question. Sous des formes diverses, fédéralistes, néo-fédéralisles, sociaux-démocrates tentent de la résoudre. C'est de leurs sysièmes. el on particu- lier de ceux des sociaux démocrates, Icls qu'ils ont été mis au point par M. Renner, que les minorités se sont surtout inspi- rées dans leur œuvre construclive. I. TeRRITORIALISME et PERSONNALIS.ME Ce fut, nous l'avons dit, le Parlement de Kremsicrcpii posa le problème ; mais le temps de conclure ne lui fut [n\s donné. Jusqu'à ce que le Congrès Socialiste de Briinn reprit la dis- cussion théorique, où le parlement l'avait laissée, deux sys- tèmes se disputèrent l'opinion : « le système territorial » (das territorial System), le système personnel ou « système de l'association » (das personal oder Genossenschafts- System). Le premier établissait une relation constante entre la loi, l'administration et le territoire, et voyait la solution dans une décentralisation provinciale : « Autonomie territoriale », tel était le mot d'ordre do ses partisans. Mais ceux-ci se divi- saient sur l'unité territoriale à prendre comme base : les uns — en 1848, c'étaient les Allemands — proposaient que ce fiit lunité « historico-politi(jue » (historisch-polilisoh) ; les « Pays de la Couronne » et les anciens Royaumes. Les autres — en 1848, c'étaient les Tchètjues, et Palacki — que ce fût l'unité s ne s'oppose qu'h des Allemands, se Toit.au Reiclisrat, en présence de sept nations ; il a à compter avec sept, et reconnaît, dison.'^-lc, la position relative de sa nalioa. Le voilà revenu chez lui dans la salle historique de son Landtag. Ici, en Bohînie, îl y a 63,8 0/0 de sos compatriotes pour 3j,2 00 d'Allemands. Ici, il se sent le maitrc absolu. Cette division de 1 lîtat, il l'aime ; c'est compréhensible. Eh ! quoi 1 II faudrait f'pargner les minorités ? Mais, que lui importe, quand il csl chez lui. qu'il y ail ailleurs, dans d'antres petits pays, des Tchèques qui soient Ta minorité. Ici, il est le maître ; il \cul le rester... A Sleierm.itk, en Carin- Ihie, au Tyrol, l'Allemand joue le même rôle que le Tchèipie en l< lu" me » (Karl Renner, Das Selbslbesliminungfrechlder ISalMnen, p. So). 48 LA PROTECTION DES MINORITÉS de la couronne en cercles homogènes comme le demandent les partisans du système ethnico-politique ? Il y a là une idée heureuse, qu'ils exploiteront. Mais, la nation dans l'Etat, autant que la liberté, veut l'unité ; et, tel qu'il est présenté, ce système ne satisfait pas à cette aspiration. De plus, il laisse sans défense les minorités du cercle, plus mena- cées, parce que plus affaiblies, si l'on n'y pourvoit pas. Ils approuvent le « système personnel » dans son prin- cipe, mais critiquent sa forme actuelle ; une organisation nationale qui ne se rattache, ni à l'Etat, ni au territoire, « repose dans l'air » (in der Luft) ; elle est construite sur le vide... « Le système de l'association est un principe de droit « formel, écrit Karl Renner, et, comme tel, il partage le « sort de tous les principes formels : c'est qu'ils ne sont pas « applicables jusqu'en leurs dernières conséquences. Ils sont « seulement une ligne directrice de la pensée, un fil conduc* « teur de l'action , La signification essentielle du concept de « l'association réside dans la négation du territoire. Mais « l'Etat et son administration sont enracinés au territoire. « Toute la complexité des questions nationales vient de la « divergence de ces deux éléments : la « territorialisation » « (Territorialisierung) nécessaire de l'administration de l'Etat. « la « personnalisation » (Personalisierung) tout aussi uéces- « saire de l'administration nationale » ('). • • « De leurs critiques, ils tirèrent cette conclusion, qu'il fallait reprendre le système personnel, mais en lui donnant une base solide, en le <« territorialisant », suivant le système ethnico-politique ; c'est elle qu'ils firent prévaloir dans la résolution du Congrès deliriinn : « A la place des pays historiques, seront constituées des « unités administratives autonomes, délimitées suivant le « principe des nationalités, à la législation et à l'administra' I. Arbeiter-7,eilung, aa février 1916. LES DIFFICULTÉS I>U l'HOBLKME 49 « tion desquelles pourvoiront des chambres nationales, élues « sur la base du droit de suffrage universel. « L'ensemble des territoires autonomes d'une seule et même K nation formera une union qui pourvoira elle-même à ses « affaires nationales. « Le droit des minorités nationales est (jarantie par une a loi spéciale à établir par le Parlement du lieicli. » La nation, ainsi rallachée au territoire, est aussi, comme 1 a cxplicjué M. llenner, incorporée (eingegliedert) à l'Elat, elle lest d'un double point de vue : Le cercle homogène, eu même temps qu'unité nationale, est unité polili(iuc. Ses organes exercent les attributions de la puissance publique, et, dans ce domaine, relèvent direc- tement de l'Etat. La nation, dans son ensemble, représentée par l'unioa nationale^ prend part au gouvernement du Reich, en colla- boration avec les autres nations. C'est ce que M . Renner appelle « les droits de citoyen » de la nation. L'Etat composé de nations, tel ([uil le conçoit, Etat « surnational » (uberna- tional). est forme du faisceau des diverses « unions natio- nales ». C'est une « Société des Nations » (N'olkerbund). m. — La « DoLBLii Commune » Du Rcicli, le Congrès de RriUm a ramené le problème au cercle, lia même élé [)lusloin, en prévoyant qu'une solution devrait intervenir crnccrnaut ics minorités du cercle. Mais, cette solution, il l'a ri.•mi^e à l'avenir. C'est à la préciser qu'Otto Rauer et Kurl Renner devaient dans la su. te em- ployer leurs efforts. Dans ce dernier retranchement du problème des nationali- tés, (ju'est le cercle hétérogène, les deux systèmes o[)posés : lerrilorialisme et personnalisnie, devaient s'affronter à nou- veau. Olto Bauer propose d'organiser les minorités du cercle sui- vant le système personnel : « Les miuoiilés nationales à lin- (( térieur de chacjue territoire autonome, écrit-il, devront être r 50 LA PKOTECriON DES MINORITÉS « constituées en corps de droit public (als ôffentlich-recTit- « liche Kôrperschaflen) s'occupant de façon autonome de « l'école de la minorité nationale, et prêtant aide à leurs nalio- « naux devant l'administration et les tribunaux ('). » Au contraire, Karl Renner, à l'organisation des minorités dans le cercle, applique les mêmes principes qu'à celle des nationalités dans le Heich. Il cherche une unité territoriale qui puisse lui servir de base ; il descend jusqu^à la cellule de la vie sociale, à la commune... Et comme la commune elle- même peut être mixte, il crée sa formule de la double com- mune. "Cette formule, il ne l'a pas inventée de toutes pièces ; il l'a trouvée dans lEurope Centrale. Pendant des siècles, en Pologne, le « Kahal » ou commune juive a fonctionné à côté de. la municipalité chrétienne ('). La commune juive, bien que réduite dans ses attributions, subsiste aujourd'^hui en Pologne Russe sous le nom de « commune juive », en Gàli- cie et dans d'autres parties de l'Autriche (en Moravie par exemple) sous le nom de « Commune Cultuelle » (^). Chaque commune mixte, d'après M. Renner, doit être ainsi divisée : 1° Une commune nationale de la Nation A. ; 2° Une commune nationale de la nation B. ; 3° Une commune politique, commune aux deux précé- dentes. Aux deux communes nationales, une compétence exclusive dans les questions nationales ; à la commune politique, la compétence dans les matières qui intéressent également tous les babitants. Elle sera, vis-à-vis des précédentes dans la même situation que l'Etat « Surnational » vis-à-vis des unions nationales, une société des nations. A la compétence des com- I. Olto Bauer, Nationalitœlenfrage und So:ialdeinol (suit le projet). 52 LA PROTECTION DES MINORITES « régime cantonal sera établi sur la base du droit de leurs « populations à disposer librement de leur sol national. Le « domaine de chacune des nationalités habitant l'Etat tchéco- « slovaque sera subdivisé en cantons. Les habitants de tous « les cantons, formant le domaine de la même nationalité, « pourront se constituer en corporations appelées à les repré- « senter dans toutes les questions ayant trait à leurs intérêts « nationaux. » Ce projet n'est que la reproduction des deux premiers paragraphes de la résolution que M. Renner avait fait adop- ter au Congrès de Brûnn. * * Voici, en second lieu, la confetitution élaborée par M. Max Rosenfeld pour les Juifs de Pologne (') : J° Les Juifs, établis dans un pays, se constituent comme ressortissants delà communauté nationale juive, en corps de droit public, avec représentation propre et droit de perce- voir l'impôt ; 2" Sont membres de la Communauté juive tous les citoyens des deux sexes, qui étaient auparavant, d'après leur confes- sion, ressortissants des « communautés cultuelles » (Kultus- gemeinschaften) existant dans le cadre des lois de l'Etat... Les Ustes des « Communautés cultuelles » existant four- nissent les éléments de la « Malrice nationale juive » qui est à la base du statut particulier des Juifs. 3' La communauté nationale se divise en Communes natio- nales et en cercles nationaux. Les communes juives existant auparavant sont reconnues communes nationales et les droits et les devoirs qui doivent appartenir aux communes minori- taires, en tant qu'organes locaux de self-government national, leur sont reconnues; 4° Les communes avec leur propre conseil communal (Gemeinderat) sont compétentes dans toutes les affaires nationales (culturelles et économiques) ; 5° Le Conseil du cercle (Krcisrat), organe du cercle, défend I . Max Roscufeld, Die polnisclie Judcnfrage, p. 224, 225, 228. LES DIFI ICLLTKS DU l'KOIU.KMK 53 la cause de la communauté; il s'occupe des affaires com- munes à la communauté du cercle; 6° A la t(He de la comniunaiili' nationale est la " riiamhre nationale » élue sur la base du dioit de suffrage universel, avec représentation proportionnelle. La Chambre nationale défend la cause de la communauté nationale par l'intermé- diaire de son organe exécutif, le Conseil national Natio- nalral)... («) La formule de « la double commune » mise en honneur par M. Renner a permis aux juifs de Pologne de rajeunir le principe d'une organisation qui, sous les noms de « Kahal > et (( Waad » avait existé dans ce pays du xvi» siècle jusqu'à l'époque du partage... Il est vrai que dans ce temps, les Juifs ne jouissaient pas de l'égalité des droits civils qu'ils récla- ment aujourd'hui. I. Suit la liste des altribiitions : <( La Cliambre nationale arrête les bases de l'impôt et de l'éducation ; elle fixe les lignes directrices de l'enseignement et de l'action économique. Elle administre et surveille en dernière instance tous les établissements scolaires, les associations et les institutions de bienfaisance. Elle remplit les devoirs de prévoyance sociale, qui ne l'ont pas été ou l'ont été insulTisamment par la législation et l'administration de l'Etal à l'égard des res- sortissants de la communauté (Par exemple, le règlement de la question de l'émigration juive). J. Fouques-Duparc CHAPITRE IV LA SOLUTION INTERNATIONALE La protection des minorités est, au premier chef, une ques- tion de droit interne, de droit constitutiounel, puisqu'elle^ vise les rapports de l'Etat et de certains de ses sujets. Gom- ment, franchissant ce stade, peut-elle faire l'objet d'un règle- ment international? Pour les disciples de H^gol, la question ne se pose pas. L'individu, recevant tous ses droits de l'Etat, ne saurait être lésé par lui. Mais, si l'on cesse de considérer l'Etat comme le dispensateur suprèm* des droits de ses sujets, l'on peut admettre que ceux-ci ont des droits, même en dehors de lui. La question qui apparaît alors est de savoir comment ils seront garantis. Cette garantie, les minorités ne la trouvent pas toujours dans l'Etat. L'évolution démocratique, loin de les protéger, ne fait qu" accuser leur faiblesse, et confondre davantage l'Etat avec la majorité. Des droits sans sanctions peuvent se concevoir dans un système à base théologique ou morale. Dans un système positif, ils ne sont pas des droits. La sanction, que l'Etat ne fournit pas aux minorités, ne peut donc se trouver qu'hors de l'Etat... elle ne peut être qu "internationale. Ainsi, derrière le problème de philosophie du droit, et de droit public, que pose l'existence des minorités, un autre se lève: un problème international. Pour arriver aie résoudre, il faut ébranler de vieux dogmes du droit des gens : le prin- cipe do non intervenlion, le droit de souveraineté; il faut aussi (]ue des conditions soient remplies, sans lesquelles uno L\ S0r.LTIO> INTEIINAIIONALE 55 protection inlcrualionale des minorités sérail ou illusoire, ou dangereuse. A. — Les principes I. — Le principe de non- i nier tention Le principe de non-iiilcrvention découle logiquement du droit de souveraineté de t'Elnt. L'Etat est souverain ; il a donc.dans les limites de son ter- ritoire, le pouvoir d'établir à son gré sa logislation et sa juri- diction ; relatif seulement en ce (jui concerne ses rapports avec les sujets des autres Etats, ce pouvoir est absolu dans la sphère des relations de droits qui s'établissent entre lui et ses propres sujets. Permettre aux Etats étrangers de s'immiscer dans cette affaire, c'est nier la souveraineté de l'Etat... Cette théorie de la non-intervention a été soutenue avec des arguments divers ; elle a été admise par la grande géné- ralité des auteurs qui se sont occupés des droits de l'Etat, mais presque toujours avec des exceptions. Les uns ont cher- ché à définir ces exceptions, et à les légitimer par des raisons de droit particulières ; d'autres, comme Sorel, ont renoncé à les classer, et laissé aux faits le soin de les déterminer, imitant ce ministre de Graade- Bretagne qui déclarait que la non-iutervention était un devoir, mais que parfois aussi c'était un devoir d'intervenir (). Dans son caractère de dogme positif, le principe de non-in- tervention a été exposé avec une rigueur toute particulière par l'école italienne du xix*^ siècie, eu tête de laquelle, il faut citer les noms de Mamiani etde Carnazza-Amari {'). Ile[)renant I. « On doit reconnaître, disait Clarendon au Congres de Paris, à propos des arrestations politiques opérées par le roi des Deux Siciles qui donnèrent Heu ù une intervention du Congrès, qu'aucun gouvernement n'a le droit d'intervenir dans lesaU'aires intérieures des autres Etats ; mais il est des cas où l'exception à cette règle devient également un droit et un devoir. » a. Mamiani, D\in nuovo drilto j)ubUio puro/^e-o, Carnazza-Amari, .Nouiv/ exposé Ou principe de non intervention (/^ D. I. P., t. 1. p. 557). Cette théorie a été soutenue en France par Despagnet, Cours de droil interna- lional public, Pradier I-'odéré, TraiW de droil inlernalional public européen et amà- rïcain, Piédelièvre ; en Allemagne, par Jellinck. ri6 lA l'UOTKC'IlO.N I>KS ^IINOHIIKS une à mie loules les exceptions faites par les autoui's précé- dents, ils les ont toutes rcjelées, et ont conclu que, dans au- cun cas, rinlervention dans les affaires inférieures d'un Etat nétait légitime ('). Pourquoi? Raisons de fait et de droit déjà exprimées par leurs prédécesseurs : la difficulté d'un critérium, l'absence d'un code international, et d'une souveraineté supérieure aux Etats.... Mais, la raison déterminante est la raison de droit suivante : Ce qui se passe dans un Etat, n'intéresse pas les autres ; pasd intérêt, pas d action; à quel titre seraient ils fon- dés à intervenir ? « Les actions et les crimes d'un peuple dans les limites de son territoire, dit Mamiani, ne lèsent pas les droits d'autrui, et ne donnent pas matière à une intervention légitime. En vérité, à quel droit positif des autres peuples porte-ton at- teinte C) ? En d'autres termes, Hegel avait dit que l'Etat formant un tout parfait et achevé, les relations entre Etats ne pouvaient être qu'extérieures, et, pour départager entre eux, Hegel fai- sait intervenir un troisième terme : a l'Esprit », qui se pro- nonce par la guerre dans l'histoire du monde... La doctrine de Mamiani ressemble à celle-ci, et pèche par le même point : elle suppose que l'Etat est un tout parfait et achevé . Qu'il n'en est pas toujours ainsi, c'est ce que démontre l'existence même des minorités.. . Et, si l'on ne veut pas voir dans l'Etat la limite et la fin de tout effort et de toute pensée individuels, l'on est obligé de reconnaître l'existence de com- munautés, d'un ordre plus ou moins élevé, mais qui toutes, dépassent ses frontières. Communauté religieuse, liant lescor- I. Mamiani écrit : u En étudiant loules les exceptions, qui ont été faites par les auteurs précédents au principe de non-intervention, nous n'avons retenu qu'une seule intervention légitime, celle qui a pour but de s'opposera l'inter- vention indue d'autrui et de détruire les effets immédiats et certains de celle-ci Or, c'est bien le cas oij l'on peut affirmer avec exactitude que l'exception con- firme et renforce la règle » (D un nuovo drillo publico europeo, p. 1 1^). 3. Mamiani, ici. I v s \ I MIN Ai.i. r»7 réligionrifiircs, coin;miiiaul('' irilionalo. liniil les conia'iotj/iiix. communauté humaine même, a tondit, liant tous les hommes dans la mesure où l'on peut supposer leurs inténMs commnn«. Les communautés créent des solidarités, il n'a jamais élé indifférent h l'Anj^lelerre ou à la lldllande prolcslanlcs de savoir comment les proleslanls élaicnt lriiil<'s ni France les juifs (i'Anf^jIeterre et des Elats-l'nis oui défendu comme leur cause, la cause des Juifs llouiiia'ns. Aujourlliui les lIon^Tois de Hongrie ne se désintéressent [)as du sort de leurs frères rjc Roumanie et de Ycugo Slavic... Aussi, de proche en proche «la polili(pie intérieure d'un Etat, à l'égard de certains de ses sujets, a ses réactions sur la sitnalion intérieure des autres Rlal'^. Entre les Etals, Hegel et Mamiani ne voient fju un rapport : « Etat-Etal * il en est un autre (pic leur doctrine leur iiitei'dis.-iit de reconnaître : « Elal-sujets-sujels-Etal ». Le traitement infligé par un Etat à ses minorités, lorscju'il excède un certain degré de rigueur, af- fecte les relations de cet Etat et de l'Etat connalional ou corré- ligionnaire des persécutés. Celte tension peut aller jus(ni à ébranler l'ordre inlcnial'onal lui même. L Orient en a fourni des e.xemp'es : il suffit cle citer les « atrocités huignres » ou les « histoires de Crète ». Ce sont a'ors tous 1rs Etals intéressés au maialien de cet ordre, c'esl-à dire tous les Etats du monde, (jui se trouveiii directement atteints. « Dans le monde nouveau, où nous vivons, disait, dans son discours du 11 février 1918, l; -président Wilson, la jus- tice et les droits des peuples affectent tout lechani[) des rela- tions internationales au môme litre f|ue l'ohlenlion des matières premières et de justes et équitables conditions commer- ' ciales. » Dès lors, peut-on dire avec la môme assurance « que les actions et les crimes d'un peuple dans les liniitcsde son terri- toire ne lèsent pas les droits d'autrui f » II. — fii!crccntio)i religieusi,' cl /nfcrrcit/if>n ii/ilionn/e La communauté religieuse, la seule vivante dans un temps où la foi était ardente et l'unité de foi un princiiio polilicpie. ^S LA PROTECTION DES MirfORIlÉS avait engendré un droit contractuel que nous étudierons, et une théorie de l'intervention « pour cause de religion » qui fut presque unanimement admise ])ar les auteurs des Temps Modernes. Après avoir affirmé « qu'un peuple indépendant n'a de « comptes à rendre qu'à Dieu au sujet de sa religion, et est « en droit de se conduire à cet égard suivant les lumières de « sa conscience et de ne point souffrir qu'aucun étranger ne «s'ingère dans une affaire si délicate » ('), Valtel ajoutait: « Lorsqu'une religion est persécutée dans un pays, les Nations «étrangères qui la professent, peuventintercéder pour leurs « frères ; mais, c'est là tout ce qu'elles peuvent faire, à moins « que la persécution nu soit portée à des excès intolérables ; <( alors elle tombe dans le cas de tyrannie manifeste, contre « laquelle il est permise toutes les nations de secourir un « peuple malheureux (') ». .. A cette première raison d'intervenir en faveur de corréli- gionnaires, Vattel en joignait une secoade, celle-là d'ordre politique : « L'intérêt de leur propre sûreté peut encore les (les Etats) <( autoriser à prendre la défense des persécutés. Un Roi de « France répondit aux Ambassadeurs qui le sollicitaient de « laisser en paix les sujets réformés, qu'il était le maitredans « son royaume. Mais, les souverains protestants, qui voyaient « une conjuration de tous les catholiques acharnés à leur « perle, pouvaient fortifier leurs partis et les aider à se « garantir de la ruine, dont ils étaient menacés ('). » Le second argument est beaucoup moins légitime que le premier. Défendre ses corréligionnaires dans les Etats étrangers pour y entretenir des intelligences, c'est introduire la politique dans^ua domaine ofi elle n'a que faire, et se ser- vir de la religion dans un but qui n'est pas le sien. C'est jus- tement parce que rintervenlion pour cause de religion a souvent caché de semblables desseins, qu'elle a pu être con- damnée par la suite, et souvent sans indulgence. 1. Vallel, art, 58. 2. Valtel. art. Ga. 3. Id. LA SOLUTION INTERff ATIONALE 59 La communauté nationale n'apparaît guère qu'au xix^siôcle ; •sentiment inconscient jusqu'alors, elle s'est, vers celte époque, découverte à elle-même. Comme la communauté reli- gieuse, elle donna naissance à une forme particulière de l'in- tervention, « l'intervention nationale ». Mais, cette intervention, qui a eu sa théorie, principalement en Italie, se présente toujours sous une apparence révolution- naire. Le principe des nationalités, tel que l'a formulé Man- zini, l'inspire. Intervenir [)0ur ses connationaux, ce n'est pas intercéder en leur faveur près de l'Etat, sous la domination duquel ils se trouvent, c'est les aider à conquérir leur indé- pendance, à se libérer du joug étranger. Dans toute sa rigueur, cette théorie fut défendue par Gio- berli dans le R'niuovament civile de Italia : La vraie unité n'est pas l'Etat, c'est la nation : « La division politique des « divers Etats n'est pas supérieure à cette union, mais lui est « subordonnée, parce que Tune est l'œuvre arbitraire des « hommes, tandis que l'autre est une loi immuable de la « nature (') ». Cette union nationale entraîne l'existence d'un « droit national qui est suoérieurà tout autre droit et qui en «est le fondement »... Devant ce droit national, les droits des Etats doivent s'incliner. L'Etat national sera fondé à intervenir dans les affaires intérieures d'un Etat de même nationalité, lorsque l'existence de « l'union nationale w, sera intéressée ('). A plus forte raison, lorsqu'il s'agit de conna- tionaux, soumis à des Etats étrangers : « L'intervention natio- « nale sera non seulement licite, mais obligatoire, si elle est « re(]uise pour éliminer l'étranger et pour empêcher que tous 1. Gioberti, liinuovuineiUo civile de lLaUu,]>. 2ilx. 2. Gioberti avait déjà soutenu cette tbèse cd 18^9 devant le cabinet larde qu'il présidait, puis devant le Parlement Subalpin, au sujet des é\cneincnls de Toscane. Un mouvement démocratique s'était produit on Toscane. Le duc effrayé avait d'abord fait appel au Piémont, puis s'était raxisé, et Hmilement s'était réfugie à (iaèlo, le centre aulricliicn do la [uiuinsule. Gioberti eût voulu que le Piéniont iiilcrvînl, pour provenir une inlcrvculion aulricbionnc ; son avis ne prévalut pas. 60 LA PHOTECTION DES MINOHITÉS « les étrangers fondent en maîlres sur notre propre terri- « toire». Plus mesurée dans sa forme, à peu près semblable dans son fond est la thèse soutenue par M. Carnazza-Amari ; l'on peut s'étonner de trouver ici un nom si étroitement lié à la défense du principe de non intervention. Mais, pour M. Carnazza- Amari « il ne faut pas considérer comme une intervention c( l'assistance accordée à un peuple qui, par lui-même, ne peut « s'émanciper de la domination étrangère «.C'est une « aide», un « secours », une « protection ». « C'est un droit naturel « pour un Etat connational, dit-il, de venir en aide à un peuple « soumis à la domination étrangère, qui appelle de ses vœux « ce secours et ne peut, par ses seules forces, .secouer le joug « dont il est opprimé. » M. Carnazza-Amari exige donc que le peuple a appelle de « ses vœux le secours », tandis queGioberti accordait l'initia- tive à l'Etat intervenant, au nom du droit national ; par là^ l'une des doctrines est plus humaine, et l'autre plus nationale. Mais ni l'uncni l'autre, ne contiennent le principe d'une inter- vention .pacifique, analogue à l'intervention « pour cause de religion... » C'est qu'en matière nationale, la réalisation de la nation dans l'Etat est le but ; tout moyen terme est inadmissible : « Gomment donc pourrions-nous souffrir, écrit Gioberti, « qu'un seul pouce de terre en Italie soit soumis à l'Au- ff triche ?... Pense-t on que les droits de la nationalité soient « moins lésés, si celle ci est entamée par un seul point, que oc si elle l'était sur toute l'étendue de son territoire ? » III. — V intervention d'humanité La théorie de l'intervention dans les affaires d'un Etat, qui A'iolerait les « droits naturels » de ses sujets, pour le con- traindre au respect de ces droits, avait déjà été soutenue au xvne siècle par Grotius et Puffendorf. Au XIX*, cette intervention prit un développement sans rapports avec celui qu'elle avait eu dans le passé, parlicu- .LA SOLUTION INTEHNA'IIO.NAI.E Gl lièremenl en Orient : inlervcnlion des Puissances en 1S27, après les massacres de Cliio ; inlervcnlion de la France en 1800, lors des massacres des Maronites par les Driises ; inler- vealion en 1800 au sujet de la Crète, en 1877 après les « atrocités bulgares » ; en 18*J<î. en faveur de TArméDie. Celte inlervcnlion cul encore dnulres IhéAlres cjne la Tur- quie : c'est en iSliO l'injonclion ailresï^ée par le Congrès do Paris au roi des Deux- Siciles, pour protester contre les arres- tations politi(|ues,(iu'il vient de l'aire dans son Etat.co sont les nombreuses notes envoyées au gouvernemenl roumain, pour le rappeler au respect des droit-; tJes Juifs. (\m habitent la Roumanie ; c'est lademaiide collective (pii fut faite en 1ÎX)9 au sultan du Maroc, pour lu: demander l'abolition des tortures, jugées inhumaines... 11 fallait (]ue la théoriL* séant en a cord avec les progrès de la i)ralique ; et c'est ainsi (ju'esl née, dans la seconde moi- tié du xix" siècle, une doctrine d' « iiitervenlioir d'humanité », renouvelée des principes de Grolius et de Puffendorf, mais plus précise, et plus conforme aux idées de notre temps. Sous sa forme nouvelle, 1' « inlervcnlion d'humanité » a été établie, pour la première fois, par Arniz en 187G. Dans une lettre à Rolin Jacquenyns, Arnlz reconnaissait la légiti- mité de l'intervention dans deu.x cas : .. . « 11" Lorsqu'un gouvernement, tout en agissant dans la li- ft mite de ses droits de souveraineté, viole les droitsde Ihuma- « nité, soit par des mesures contraires à linlérèt des autres « Etats, soit par desexcès d'injustice et de cruaulé (jui blessent « profondément nos mœurs et notre civilisation. (') » Cette théorie fut développée dans la suite par Rolin Jacquemyns, M. Pillet et M. Hougier C). Elle suppose essenliellement (juc certains droits font par- I. Arnl/, Lettre à M. Rolin- Jacqueinyns (Revue de ilroil inlernalional cl de législation comfiari-e, l. VIII, 1876-1870, p. 673). 3. lioliii-Jacquemojns. le Droit internutional et la question d'Orient (môme revue, l. VIII, p. 2q'S. i\ole sur le droit d intervention, p. 698) ; Pillet, le Droit international public {R. D.l. I'., l. I. iSq'i, p. i) : /.« droits fondamentaux des Etais (/d., t. V, 1898, p. 60 el a63 et "l. VF, 1899. p. 5o3) : Rougier : ilnter^ venlion d'humanité (nièmere%ue, t. Wll, 1910, p. 98 et 468), va LÀ PROTECTION DES MINORITES tre du patrimoine commun de lhumamté,el que celte-ci tout «Dtière a le droit et le devoir de les protéger et de les dé- fendre contre les atteintes d'une souveraineté quelconque, de même que, dan« les théories précédentes, les corréligion- naires ou les connationaux avaient ceux de protéger et de défendre le patrimoine que constituent une religion ou une nation commune. cf II existe un droit véritable, écrit M. Pillet, en dehors « des sociétés nationg,les, et de leurs institutions juridiques, « en dehors et au-dessus de la Société internationale et du droit « qui loi correspond, droit inséparable de l'homme et qui « mérite le nom de droit commun de l'humanité (i). Dans ïe « domaine des relations internationales, cette même idée de « respect se fait jour invinciblement, dût-elle, pour cela, « écarter violemment les principes les plus certains du droit « des gens ('). » Ainsi, à côté del'ancien droit des gens, qui ne comprend que les Etats, un nouveau droit international se dessinait, ayant pour objet l'homme : c un droit international humain (*). » Dans son droit international codifié (art. 25) Bluntschi étendait le principe de la protection des (« droits humains » aux nationalités qui n'ont pas été organisées en Etats, c'est-à- dire aux minorités nationales : ft On pourra cependant, écrit-il, intervenir, au nom du AL£ 67 Il ne sauraU donc roitR humains * Xixcs dû c4ïtteftt<;ou. le seraient loutarbilraireracnl. Pour arnver à cette notion do «i)roils liumains », il faut que toutes les conceptions particulières, »e corri;,'ea»t et se compJélaot les unes les aulres, vioanonl se fondre en une conception unique, qui les résume tontes en ce quelles ont do commun. Celte œuvre de synthèse ne peut être que èe lui de la collectivité. Arntz le proclamait ro- testanto, intervint en faveur des dissidents. La Hollande tenta en plusieurs occasions d'intervenir en faveur des calvinistes français. La Suède et la Prusse obli- gèrent la Pologne à concéder des droits aux Protestants, la Russie des droits aux orthodoxes ('). L'intervention religieuse a parfois son expression dans les traités : c'est ainsi que la convention dUtrecht, signée en ITLi par la France et l'Angleterre, stipule la liberté des protestants français mis en chaînes pour cause de religion. En opposition avec l'intervention de religion, dont l'objet s'étend à tous les coreligionnaires de l'Etat intervenant, les garanties qui se trouvent dans les traités de cession ne con- cernent que les habitants des territoires cédés. Elles ont un caractère strictement territorial, et peuvent se résumer dans la formule : statu quoanle belhun en ce qui concerne les droits religieux de ces sujets. La première clause de cet ordre se trouve dans le traité d'Oliva du 3 mai IGliO.cjui mit fin à la guerre entre Charles XI de Suède d'une part, Jean Casimir de Pologne et le Grand Electeur de l'autre. Ce traité garantit à la Suède la possession de la Poméranie prussienne, et de la Livonie, précédemment polonaise. Bien que la Suède et la Prusse fussent également luthé- riennes, une clause se trouve insérée, concernant la Poméra- 1. Voir de Riddier : La Libertéde conscience dans le droit internalional {H. D. /.). 76 L\ PROTECTION DES MINORITES nie qui jouissait sous la souveraineté Prussienne d'une cer- taine liberté religieuse (article 2, §3). « Givilatibus Prussiae regalis, quae in possessione suae « Regiae Majestatis Regnique Sueciaeque hoc bello fuerunt, « manebunt itidem omnia jura, libertates ac privilégia, quibus « sive in ecclesiasticis, sivo in profanis politae sunt ante hoc « bello (salvo libero, uti ante bellum viguit, in praedictis civi- « tatibus catholicae et evangelicae religionis exercitio) ('). » Une disposition du môme ordre concerne la Livonie, cédée par la Pologne catholique (article 4, § 2). « Quod religionem caUiolicam, ejusque exercitium iu Li vo- te nia suecicae possessionis attinet, omnes incolae Livoniae « subdditique ilJi regioni addicti, omni securitate gaudeant, « ac conscientia libéra, Religione devotioneque sua dorai sine « inquisitione vel animadversioneprivatira utantur ('). » Le traité de Nimègue, du 10 août 1678, par lequel Louis XIV restituait à la Hollande la ville de Maestricht, sti- pule, dans son article 2, des droits en faveur des catholiques de cette ville. « Lcsdits Seigneurs Etats-Généraux promettent que toutes « choses qui concernent l'exercice de la Religion catholique « romaine et la jouissance des biens de ceux qui en font pro- « fession, seront rétablies et maintenues sans aucune excep- « tion dans ladite ville de Maestrick et ses dépendances, en « lestât et comm'elles étoient réglées par la Capitulation de I. Les Cités de la Prusse Royale, qui, du fait de cette guerre, sont devenues la propriété de Sa Majesté Royale et du royaume de Suède, conserveront tous les droits, libertés, et privilèges dont elles avaient la jouissance avant celte guerre, soit dans le domaine ecclésiastique, soit dans le domaine profane (L'exercice do la religion catholique et évangéliquc demeurant libre, comme il était avant la guerre dan? les cités menlionnées ci-dcssuj). a. En ce qui concerne la religion catholique, et son exercice dans la Livonie cédée à la Suède, que tous les habitants de la Livonie. et les sujets annexés à C';tte région se réjouissent en toute sécurité, et qu'ils pratiquent individuelle- ment chez eux leur religion ol dévotion, d'une conscience libre, sans inquisi- tion, ni animosilé. ■ LA PHOTECTION DES MINOHITKS RELIGIEUSES 77 ■ce 1G32 ('), et que ceux qui auront esté pourveuz de quelques « biens ecclésiasli(]ues, (ianonicals, Prévostcz et autres béné- « fiées, y demeureront establis et en jouiront sans aucune « contradiction. » Même clause dans le traité de Ryswick (1()07) signé entre les mêmes parties. Cotte clause, célèbre sous le nom de « Clause de llyswick », fut fort mal accueillie parles protes- tants, car il s'agissait de populations, converties pendant l'occupation française. L'on peut encore citer les traités de Iireslau(l742) (cession de la Silésic par l'Autriche à la Prusse), de Varsovie (1773) (premier partage de la Pologne, traités entre la llépul)li(|ue de Pologne et les trois partageants) de Frederikshamm (i7'J0) (cession de la Finlande à la Russie). Voici, à titre d'exemple, le traité de Varsovie entre la Pologne et l'Autriche du 18 septembre 1773. Article 'ô : « Les dissidents et les Grecs non unis (dans le traité avec la « Russie : les catholiques romains ulriuscjue ritus », dans le « traité avec la Prusse : « les catholiques romains ») jouiront «. dans les Provinces cédées par le présent traité de toutes « leurs possessions et propriétés quant au civil ; et, par rap- « port à la religion, ils seront entièrement conservés in statu (( quo, c'est-à-dire, dans le môme libre exercice de leur culte « et discipline avec toutes et telles églises, et biens ecclésias- « tiques (ju'ils possédaient au moment de leur passage sous « la domination de Sa Majesté Impériale, Royale et Aposto- alicpieau mois de septembre 1772, et Sa Majesté Impériale « Royale Apostolique ne se servira jamais des droits du « souverain au préjudice du sinlu ([uo de la Religion des Dis- « sidents et Non-Unis dans lesdits pays ». R. — Les Pays liors' chrétienté. La protection des minorités religieuses devait, dans les temps modernes, trouver un autre champ d'ap[)licalion : les pays hors chrétienté. I. Capilulalion (le Si. l'rcst. 78 LA PROTECTION DES MINOniTÉS Nous avons déjà dit comment les Turcs s'étaient installés sur les terres habitées par les populations chrétiennes, sans imposer à leurs sujets chrétiens leur foi ni leurs institutions. Ils les massacrèrent parfois ; ils cherchèrent rarement à les convertir, jamais à se les assimiler. Dans cette époque d'intransigeance, leur libéralisme est surprenant, et ne peut s'expliquer que parle profond mépris,dans lequel ils tenaient les « rayahs -» {'). L'Europe chrétienne, de bonne heure, s'intéressa à ses corré- ligionnaires d'Orient, soumis à la domination des infidèles. Elle devait, par des traités, leur assurer une protection inspirée d'ailleurs plus souvent par l'appât de conquêtes, que par un sentiment d'humanité. La voie fut ouverte par les capitulations signées de 1535 à 1740 par les rois de France et les sultans. Ces capitulations n'étaient pourtant point des traités de protection en faveur des minorités chrétiennes de Turquie. Elles visaient les Européens d'Occident installés dans l'Empire ottoman, qui « devaient cheminer sous la bannière de la France », non les sujets de cet Empire. Notre ambassadeur au début du xvni%le marquis de Bonnac,le déclare dans ses mémoires: « Jamais les sultans n'ont eu l'idée que les monarques « français se crussent autorisés à s'immiscer dans la religion « des sujets de la Porte, étant aisé de comprendre que la (i France n'ayant jamais traité avec la Porte qu'à titre d'ami- « tié.n'a pu lui imposer d'obligations odieuses de leur nature.. . « Nous ne pouvons, en aucun cas, l'étendre (la protection) « aux gens du pays, qui par leur naissance, et par leur étatj « sont sous la dépendance immédiate du grand Seigneur » f). La France fut la grande protectrice des ordres religieux catholiques romains, venus d'Occident, et installés dans le territoire de l'Empire Ottoman. Mais, dans les rapports entre le sultan et ses sujets, elle n'intervint pas directement, en règle générale, jusqu'au xix°. Son rôle fut celui de pacifica- teur, de médiateur et d'arbitre. 11 existe cependant des excep- I. Voir i" partie, ch. I, Musulmans et chrétiens. a. Mémoires du marquis de Bonnac, p. i5o ; Bonaeville de Marsaogy, le Chevalier de Vergennes, t. II, p. 179. LA PHOTECTION ItKS MINOMITÉS RKI.Kil EUSES 70 tions, notamment en faveur des Mui-oniles, qui, dès le xiir, furent considérés par la France, comme ses protégés. Dans une lettre adressée à l'émir, au patriarche et aux évèques, datée du 21 mai 1250, ?aint Louis leur promettait protection comme aux Français eux-mêmes. La promesse était renouve- lée par Louis XIV, dans sa lettre du "IS avril 1G49 au patriarche maronite d'Antioche et à la Nation maronite, par Louis XV le 12 août 17;{7 ('). On trouve aussi des lettres.patentcs par lesquelles, le (> novembre 1675, Louis XIV se déclare le pro- tecteur des habitants catholiques romains de l'Archipel. Mais, ce ne sont là (jue des actes unilatéraux. La prudente réserve dans laquelle s'était tenue !a France ne fut observée ni par Venise, ni par la Pologne, ni par FAutriche. Les termes du traité austro-ottoman de 1015 sont déjà autrement compréhensifs que nos ca[)itulations. On lit dans l'arlicle 7 : « Ceux (jui professent être le peuple a de Jésus-Christ et qui obéissent au Pape, de quehiuc déno- « mination que ce soit, ecclésiastiques, moines, ou Jésuites, « auront le droit de construire les églises dans les Etals du « sérénissime Empire des Turcs où ils pourront d'après leur « usage, conformément au statut de leur ordre et d'après « l'antique rite^ lire l'évangile, se réunir en Assemblées et « vaquer au service divin ; ils seront traités avec bienveil- « lance par le sérénissime empereur des Turcs et par ceux « qui dépendent de lui... » Et, si (juclque doute pouvait encore être émis sur la géné- ralité des termes, le traité de Carlowitz du 26 janvier 1691) n'en laisse subsister aucun. Il stipule dans son article 7 : « Les religieux catholi(iues romains, partout où ils ont « leurs églises, pourront, sans empêchement, exercer leurs « fonctions et vivre en toute sécurité, conformément aux « ordres émanés de la Sublime Porte, et il sera permis à « l'ambassadeur de Pologne près de la sublime Porte d'expo- a ser devant le trône impérial toutes les demandes qu'il aura « ordre de faire au sujet de la religion » I. Testa, /ftfcuf i7 dti Irtiit.'t et aclet diplomatiques de la Porte, i'* partie, t. III, p. i.'io-i4i, note. 80 LA PROTECTION DES MINORITES C'était bieQ cette fois une protection des minorités établie et assurée par la Pologne en faveur de tous les Chrétiens catholiques romains de l'Empire Ottoman. Le même traité de Carlowitz stipulait également un droit de remontrance de la part de l'Autriche (article 14) ; le traité de Passarowitz du 27 juillet 1718 (article 5) en renouvelait l'expression ; il était confirmé de nouveau par les traités de Belgrade (18 septembre 1739, article 19) et de Sistow (4 août 1791, article 12) bien que ceux-ci missent fin à des campagnes dans lesquelles cette puissance avait été malheu- reuse. La Russie aux traités de Koutchouk-Kaïnardji (2 juillet 1774) et d'Andrinople (14 septembre 1829) obtint le même droit relativement aux Chrétiens orthodoxes. « La Sublime Porte promet de protéger constamment la religion chrétienne et ses églises », déclare l'article 7 du traité de Koutchouk- Kaïnardji. Et les droits religieux des Chrétiens sont plus précis et plus étendus encore en ce qui concerne les Moldo- vaques, qui reçoivent une sorte d'autonomie (article 16) et les populations des îles de l'Archipel rendus au sultan par le czar (article 17) ('). Sur la gravité de ces clauses l'Europe ne se trompa pas. « Titre bien explicite, écrivait le comte de Saint-Priest, « dont la Russie pourrait un jour faire usage au dépens de « la catholicité du Levant ». L'agent autrichien, le baron Thugut, déclarait qu'elles faisaient de la Turquie « une sorte de province russe «. Lorsqu'en 1852, à la veille de la guerre de Grimée, l'amiral Menchikoff réclamait la confirmation « du droit de surveillance et remontrance impliqué dans les traités de Kaïnardji et d'Andrinople », Ali Pacha, dans le mémoire adressé à Lord Clarendon, pouvait dire que « c'était un véri- table démembrement moral... plus redoutable que la perte de territoires importants » ('). I. Voici les termes de rarticle 17 (paragr. a). « La religion chrélicnne ne « sera point eiposée à la moindre oppression, non plus que les Eglises, cl il ne « sera mis aucun empêchement à leur construction ou réparaliou; pareillement « que ceux qui les desservent no seront ni opprimés ni outragés. » a. Mémoire à Lord Clarendon, ambassadeur à Conslantinople, i3 mai i855. Testa, Recueil des traités et actes diplomatiques de la Por/e, append. , p. iG. LA l'HOTECTION DES MINOIUTÉs HEI.I(;i KL'SES 81 II. — Li;s ïrtAiTÉs de lHi« Bien que les principes du congrès de Westphalie fussent restés officiellement en vigueur pendant (ouïe l'époque des Temps modernes, les traités et les interventions mentionnés plus haut, en avaient tempéré l'application. Obscurément l'idée de la liberté de conscience cheminait et devait finir par s'imposer. Dès iG30, elle était affirmée dans les lois de deux colonies anglaises : le Marilacd et le Uhode-lsland. « Personne, disaient ces lois, ne peut être inquiété, au sujet de « sa confession religieuse. » Au xviire siècle, elle était admise par Frédéric H, qui donnait hospitalité aux Jésuites, chassés des royaumes des Bourbons et condamnés parle Pape, comme son père avait accueilli les protestants français à la suite de la révocation de l'Edit de Nantes. Joseph II. prince réforma- teur, tentait de l'imposer en Autriche. La Constitution amé- ricaine la proclamait ; la Constituante, en France, la -mettait au nombre des « droits de l'homme et du citoyen » ; les armées de la République et de l'Empire la répandirent dans le monde. Lorsqu'après la grande épopée révolutionnaire et napo- léonienne les plénipotentiaires se réunirent au Congrès de Vienne en 1814, la liberté de conscience était généralement admise dans les pays de l'Europe occidentale. Cependant, des garanties spéciales pour l'exercice des dioits religieux se trouvent insérées dans les actes de Vienne en faveur des habitants de deux territoires, dont la nouvelle répartition fai- sait des « minorités religieuses > : les Belges réunis aux Hollandais, dans l'Etal des Pays-Bas, les sujets du duc de Savoie cédés à la Hépubliciue de Genève. De ces textes, il est intéressant de rapprocher, bien qu'elle n'ait pas, au même titre que les [)réi;édenti's, un caractère international, une application des mêmes principes, visant les juifs, qui figure dans la Constitution de la (Confédération germanique. 82 LA PROTECTION DES MINORITES a) Les Catholiques belges Une des grandes idées du Congrès de Vienne fut de former un rempart d'Etats puissants, à l'est de la France, destiné à défendre l'Europe contre le péril d'une nouvelle invasion. A ce système général se rattache la création du royaume des Pays-Bas. La Belgique, autrefois espagnole, puis autri- chienne, devenue française en 1794, fut réunie à l'ancienne république des Etats généraux sous la couronne d'un Nassau. La Hollande, dans les Temps modernes, s'était fait con- naître pour l'ardeur de sa foi protestante ; la Belgique était catholique ; il pouvait y avoir là un danger pour les Belges. Aussi l'accord du 21 juillet 1814, qui fixe cette réunion, prévoit-il dans son article 2 : « Il ne sera rien innové aux articles de cette constitution « (la constitution hollandaise), qui assurent à tous les cultes « une protection et une faveur égales et garantissent l'admis- c( sion de tous les citoyens quelle que soit leur croyance « religieuse, aux emplois et offices publics. « b) Les Catholiques de Savoie réunis à la République de Genève Les traités de Vienne reconnurent à la République de Genève deux territoires appartenant au duc de Savoie : la partie de la Savoie comprise entre la rivière d'Arve, le Rhône, les limites de la Savoie occupée par la France et la montagne de Salive, jusqu'à Veiry inclusivement, celle com- prise entre la route du Simplon, le lac de Genève, le terri- toire actuel du canton de Genève, et Hermance. Cette cession territoriale, de peu d'importance au point de vue de la super- ficie, suffisait à « désenclaver » la République de^ Genève et à lui permettre de communiquer directement avec la Répu- blique helvétique. La question religieuse se posait ici dans des conditions par- ticulières; Genève avait conservé ses traditions, et les souve- LA PROTECTION DES .MINOIUTKS ItKLIGIEl. SKS 83 nirs du temps de Calvin, les sujets du duc de Savoie étaient catholiques. Le Congrès de Vienne ne se contenta point, comme pour la Belgique, de poser des pi-iacipes; il établit les droits des catho- liques d'une façon précise, presque minutieuse; et dans le môme traité, prévit une sanction : par là, le protocole du 29 mars 1811), marque un progrès considérable sur tous les traités que nous avons précédemment rencontrés. II établit véritablement la protection rationnelle et complète d'une minorité religieuse. Nous citerons donc, presque in extenso l'article 3 où est contenu cette clause : « D'autre part, Sa Majesté ne pouvant se résoudre à con- « sentir à ce qu'une partis de son territoire soit réunie à un « Etat, où la religion différente est dominante, sans procurer « aux habitants du pays qu'elle cède, la certitude qu'ils joui- '< ront du libre exercice de leur religion, qu'ils continueront « à avoir les moyens de fournir aux frais de leur culte, et à « jouir eux-mêmes de la plénitude des droits des citoyens, « Il est convenu que : 1«* La religion catholique sera maintenue et protégée de la même manière qu'elle Test maintenant dans toutes les com- munes cédées par Sa Majesté le Roi de Sardaigne, et qui seront réunies au canton de Genève. 2" Les provinces actuelles qui ne se trouveront, ni démem- brée^ni séparées par les délimitations des nouvelles frontières, conserveront leurs circonscriptions actuelles, et seront desser- vies par le même nombre d'ecclésiastiques; et, quant aux {)or- tions démembrées qui seraient trop faibles pour constituer une paroisse, on s'adressera à l'archevêque diocésain pour obtenir qu'elles soient annexées à (juelque autre paroisse du canton de Genève. 3° Dans les mômes communes cédées par Sa Majesté, si les habitants n'égalent point en nombre les habitants catholiques, les maîtres d'école seront toujours calholicjues. Il ne sera éta- bli aucun temple protestant, à l'exception de la villo de Car- rouge, qui pourra en avoir un. Les officiers municipaux seront toujours, au moins pour les deu.x tiers catholiques, et 84 LA PKOTLCTION DES MINORITES spécialement sur les trois individus qui occuperont les places- de niaircs et deux adjoints, il y en aura toujours deux catho- liques. 4'' En cas que le nombre des protestants vînt dans quelques communes à égaler celui des catholiques, l'égalité et l'alterna- tive seront établies, tant pour la formation du Conseil muni- cipal que pour celle de la jNIairie. En ce cas cependant, il y aura toujours un maître d'école catholique, quand même on en étabhrait un protestant. On n'entend pas par cet article empêcher que des individus protestants, habitant une commune catholique, ne puissent, s'ils le jugent à propos, y avoir une chapelle particulière pour l'exercice de leur culte, établie à leur frais, et y avoir également à leurs frais un maître d'école protestant pour l'instruction de leurs enfants. Il ne sera point touché, soit pour les fonds et revenus, soit pour l'administration, aux donations et fondations pieuses existantes, et on n'empêchera point les particuliers d'en faire de nouvelles. 5" Le Gouvernement des territoires fournira aux mêmes frais que le gouvernement actuel, pour l'entretien des ecclé- siasiiques et du culte. 9° Les habitants des territoires cédés sont pleinement assi- milés pour les droits civils et politiques aux genevois de la ville. 10° Les enfants catholiques seront admis dans les maisons d'éducation publique ; l'enseignement de la religion n'y aura pas lieu en commun, mais séparément, et on emploiera à cet effet, pour les catholiques, des ecclésiastiques de leur com- munion. 13° Sa Majesté le roi de Sardaigne se réserve de porter à la connaissance de la diète helvétique et d'appuyer par le canal de ses agents diplomatiques auprès d'elle, toute récla-' mation à lacjuelle l'inexécution des articles ci-dessus pourra donner lieu ('). I, Le roi do Sardaigne devait en iSaa, usant du droit qui lui était reconnu^ intervenir au sujet des lois sur le mariage promulguées par le gouvernement LA PMOTECTION DES MINORITKS RELIGIEUSES 85 c) Les Juifs Allemands La queslion des Israélites allemands fut débattue et réglée par les pléMi[)otenliaires allemands réunis au ('ongrès do Vienne. La solution qu'ils adoptèrent, inscrite ainsi que tous les articles constitutionnels de la Confédération (lermanique dans l'acte du 8 juin 1815, ne fut pas reproduite, comme cer- tains d'entre eux, dans l'acte du 9, seul soumis k la signature do tous les participants au Congrès. Les droits reconnus aux juifs allemands ne furent donc pas placés sous garantie européenne, mais seulement sous garantie allemande. Cependant, vu la nature des liens (ju'é- tablissait entre les différents ':]tats, membres de la Confédéra- tion, la constitution de 1815, il est permis de considérer cette garantie allemande comme garantie internationale restreinte. La situation des juifs en Allemagne jusqu'aux dernièros an- nées du xviiic siècle n'était pas uniforme dans tous les Liais ; mais elle était généralement très dure. Celle qu'ils avaient à Francfort d'après l'ordonnance de 161G, peut en élre consi- dérée comme le type ('). Pendant la Révolution et l'Empire, le régime auquel sont soumis les juifs évolue différemment suivant les Etats. Dans les pays occupés par elles, les troupes françaises a[)portent les principes du Code civil et de l'égalité. C'est l'émancipation complète des juifs sur la rive gauche du Rhin et dans tous les pays faisant partie de la Confédération du Rhin : Westphalie (27 janvier 1800), Mecklembourg-Schwerin (22 févrio- 1S12). Ce mouvement d'émancipation subit un temps d'arrèl,daiis les pays directement soumis à la France, par suite du décret napoléonien du 17 mars 1808. Le péril juif s'est présenté à Napoléon sous la forme d'un [)éril national, et il a pris des mesures pour l'endiguer : interdiction de faire le commerce, sans une autorisation spéciale du préfet (art. 7), restriction du commerce de banque, et notamment du droit de prêter à in- /Jc Genève, lois qui furent cITcclivement Irouvccs conlrairos à la religion caliio- Jicjue. I. Voir i'^ partie, chapitre I, la notion de minorités, les juif». J. Kouques-Duparc «J 86 LA. PROTECTION DES MINORITES térêt (art. 14 et 15), interdiction de changer de domicile dans les départements allemands (art. 16). A l'autre extrémité de l'Allemagne, la Prusse s'était aussi engagée résolument dans la voie du libéralisme. L'édit du il mars 1812, reconnaissait les juifs domiciliés en Prusse, comme des nationaux, et leur accordait « les mêmes droits et liberté civils qu'aux nationaux ». L'Autriche et le Grand-Duché de Bade avaient aussi con- senti à des mesures conciliatrices. Dans le Wurtemberg et en Bavière, la situation des juifs restait assez dure. La constitution bavaroise de 1809, décla- rait que " la religion ne doit exclure personne des droits privés, ni des droits politiques ». Mais, celle de 1813 revenait ^ur les promesses faites, établissait des restrictions, et conte- nait dans ses articles 12 et 13 des déclarations inquiétantes : « L'immigration et l'installation des juifs étrangers dans la < monarchie sont interdites. Le nombre des familles juives, aux « lieux où elles se trouvent actuellement, ne doit pas augmen- « ter, mais plutôt diminuer, petit à petit, quand il est trop « grand. » Enfin, les lois de la Hesse-Darmstadt et du royaume de Saxe conservaient, à peu de chose près, la rigueur des lois antérieures à la Révolution ; le roi de Saxe, qui avait été libéral en Pologne, s'était sans doute jugé quitte envers l'humanité, et avait maintenu dans son Etat la limitation des professions commerciales, l'interdiction d'édifier des syna- gogues, et le tribut corporel, qui ne fut supprimé que lors du passage des armées de la coalition. Mais, où les lois atteignaient leur maximum de rigueur, c'était à Francfort, et dans les villes hanséatiques. L'on peut juger, dès lors, avec quelle angoisse les Juifs allemands suivirent les négociations du Congrès : le Congrès de Vienne n'allait-il pas anéantir leurs libertés, comm3 une conséquence des principes de la Révolution française? Ne fallait-il pas au contraire profiter de cette occasion, pour unifier une législation incerlainc et inégale'? Tel fut le sens général de leurs doléances, et de leurs requêtes ; pour les faire triompher, ils usèrent de tous les LA PHOTECTION DES MINOUITÉS HELIGIEUSES 87 moyens; ils essayèrent, un à un, de gagner les plénipoten- tiaires allemands, tantôt par la persuasion, tantôt par la prière, tantôt aussi i)ar des arguments plus personnels encore, si l'on en croit la correspondance do leur défenseur prin- cipal, un des |»iénipolentiaires prussiens, le baron de lluni- boldt ('). H faudrait un livre entier pour décrire la pression exercée parla haute banque juive, les intrigues, qui se nouè- rent autour du Congrès dans les salons de Vienne, parti- culièrement dans celui de iMme Arnstein, qui s'était accjuis l'estime générale par sa haine tumultueuse contre iNapoléon, et chez laciuelle fréquentèrent les plénipotentiaires allemands et étrangers, Nesselrode, Gastelreagh, Talloyrand et, dit-on, l'empereur Alexandre lui-même (■). I. « J'ai repoussé hier un présent 1res considérable, éerit le i juin i8i,"i « Humboldt à sa fcmnie. Depuis le début du Congrès, les Juifs cbercliaient à '( obtenir des droits civils détermines en Allemagne. J'en ai toujours été parti- el san. Je sais bien, chère amie, que vous ne pensez pas comme moi ; mais j'ai « beaucoup, à diverses époques, réllécbi à la question, et je reste fidèle ii ma « première idée. C'est une idée de jeunesse pour moi : quand Alexandre et moi « n'étions que des enfants, je tenais déjà à la protection des Juifs. Depuis « quelques semaines, je remarquais que le nombre des défenseurs des Juifs au « Congrès allait croissant et, quand j'ai vu Genlz à leur tcle, la cause m'en a « paru claire, Ilardenberg m'a appris avec certitude qu'il avait passe un contrat a par écrit. Pour ma part, je n'ai pas reçu de propositions, mais un vieux mon- « sieur de Prague, qui m'a plu, parce qu'il n'est pas un de ces Juifs à la nou- « velle mode, est venu plusieurs fois me voir, et m'a recommandé l'occasion... > (Humboldt raconte ensuite c|u il a fait passer son projet), k Hier, le vieux mon- « sieur est revenu, il m'a remercié sans fin, et m'a offert en présent trois « bagues, dos émeraudes avec trois gros diamants, en ajoutant ijuc s^i je ne les « voulais pis, je pouvais disposer de 4-000 ducats sur sa caisse. .Naturellement «j'ai refusé l'argent aussi, et vous i;c. pouvez pas vous imaginer l'élonncmcnt « admiralif de cet homme quand je lui ai dit, sans allcclation ni jactance, q'ie « ce que j'ai fait, je l'avais fait seulement par sympathie pour les Juifs, que je < n'y avait rien d'iliégitiiiic ou d'indélicat à recevoir des cadeaux des Juifs », « qu'il y avait do l'ostentation à les refuser»... « 11 m'a dit cela très sérieusement, ajoute Hum- boldt, et au fond ce sont les maximes généralement admises parmi les gens qui trailcnl les afl'aires « (Wilholin uuù Caroliuc von HumbolJl m iUren Uriejen, t, IV, p. 3G5j. a. Sur la question des Juifs ati Congrès de Vienne, voir lo livre do M. b*ij Baron, Die Judenfrmje mf dem Wiener Kongress. Vienne et IJcrlin, i«)2o. 88 LA PROTECTION DKS MINORITES Le comité, chargé de préparer la conslilution allemande, s'était réuni à Vienne le 14 octobre ; on l'appela le comité des Cinq, car cinq Etats allemands étaient représentés : l'Autriche (Metternich et Wessenberg), la Prusse (Hardenberg et Hum- boldt), le Hanovre (comte Munster et comte Hardenberg), la Bavière (prince Wrede) et le Wurtemberg (baron Linden). Sur ces cinq Etats, deux, la Bavière et le Wurtemberg, étaient hostiles à toute déclaration de droits, tant pour les Juifs que . pour .les autres sujets, un, le Hanovre eût voulu une décla- ration des droits des sujets dont les Juifs seraient exclus ; deux, l'Autriche et la Prusse, voulaient que l'on reconi^ût des droits aux Juifs, et leur point de vue élait autant inspiré par l'humanité que par une considération de sagesse poli- tique. « J'ai défendu cette idée, écrivait Humboldt, avec « d'autant plus d'ardeur, que, puisque les Juifs ont presque « tous- les droits en Prusse, il est préférable que cette loi soit (( générale, car autrement ils accourraient tous chez nous. » Comment la majorité changea-t-elle de camp, et le Hano- vre revint-il sur sa décision première? Etaient-ce les pétitions des Juifs de Francfort et de Vienne (jui avaient agi sur l'opi- nion des plénipotentiaires ? Etait-ce l'influence personnelle de Humboldt? Toujours est-il qu'au mois d'avril I8I0, la délégation prussienne présentait à ÏSIetternlch un projet d'article, qui fut accepté dans son principe par le comité, le 4 juin, et arrêté dans sa forme définitive, le 10 du même mois dans la onzième séance. C'est l'article 16 de la Constitution allemande : « La différence des confessions chrétiennes dans les pays « et territoires de la Confédération... n'en entraînera aucune « dans la jouissance des droits civils et politiques. « La Diète prendra en considération les moyens d'opérer « de la manière la plus uniforme, l'amélioration de l'état civil ft de ceux (jui professent la religion juive en Allemagne, et (( s'occupera particulièrement des mesures par lesquelles on (( pourra leur assurer et leur garantir dans les Etats de la « Confédération, la jouissance des droits civils, à condition lu qu'ils se soumettant à toutes les obligations des autres « citoyens. En attendant, les droits accordés déjà aux mem- LA l'n01ECTI0>- DKS MINCHIIKS ^EMGIKL^ES K) « bres de celle reliV'ion i)ar Ici ou Ici Klut en parliculier « leur seront conservés. » L'article 10 contient donc trois parties bien distinctes. L'égalité pour tous les sujets chrétiens : ce (jui ninr(|UQit à jamais la fin en Allemagne des principes du liaitéde West- phalie. Pour les Juifs, la promesse de l'unification des légis- lations particulières des Elals, dans le sens dune accession générale aux droits civils; en second lieu, la gaianlie des droits qu'ils avaient déjà obtenus dans les législations parti- culières. Les [)romesses que laissait entrevoir aux Juifs le second ali- néa de l'article IG, ne se réalisèrent i)as, au moins immédia- tement. Ce ne fut la faute, ni de la Prusse, ni de Metternicli. Une première fois, au Congrès d'Aix-la-Chapelle, la ([uestion fut posée, mais elle rencontra de la part des Etats, et en i)ar- liculier du Hanovre, une telle opposition, ([uc Metternich dut y renoncer. Une seconde fois, en 1820, le Chancelier rassem- bla à Vienne une commission de la Confédération lUindes- tags-Kommission), chargée d'unifier la législation juive, mais elle n'aboutit pas. Le paragraphe concernant le maintien des droits déjà accor- dés ne fut pas non plus exactement observé por le Hanovre et des villes hanséatiques. Le Hanovre, avant même la clôture du Congrès de Vienne, revint à sa législation ancienne. Cette attitude peu correcte occasionna eu 1817 une intervention de la Prusse, qui, d'ailleurs, fut sans effet. Mais, dans la [)luparl des autres Etats, la législation évolua dans le sens libéral ; les droits acquis furent conservés et accrus : évolution rapide en Weslphalic, dans la Hesse, et à Francfort, [)lus lente en Saxe et en Bavière. IH. — Les Pays IIghs-CiirétieiNTi'; et lks Congiiès de Pauis ET DE Berlin Au Congres de \icnnc, l'Empereur .Vlexandre avait pro[iosé de placer les [)opulations chrétiennes do Tunjuie sous la pro- tection collective de toutes les nations européennes. Mais, soit • 90 LA PROTECTION DES MINORITES que les autres Etals eussent alors des préoccupations plus immédiates, soit qu'une protection collective des Chrétiens d'Orient, dont l'initiative émanait du Tzar, leur parût inquié tante, ils n'adhérèrent point à ce projet. La situation des Chré- tiens de Turquie resta jusqu'au traité de Paris, telle qu'elle avait été fixée par les traités de Carlowitz, Belgrade, Kout- chouk-Kaïnardji et Andrinople. a) Conférence de Londres L'état de choses ne fut modifié que relativement au Grecs, qui, après s'êtie soulevés en 1821, au nom du « droit de la nationalité », obtinrent la reconnaissance de leur indépen- dance, à la Conférence de Londres en 1830. Cette Conférence, qui admit la Grèce dans le Concert Européen sur un pied d'égalité et supprima à son égard le régime des Capitulations, eut à fixer les règles, qui devaient s'imposer à son organisa- tion interne. Dans le protocole no 3 du 3 février elle établit que tous les habitants devraient jouir d'une liberté religieuse complète, et seraient également aptes à occuper toutes les fonctions publiques. Les Plénipotentiaires ('), est-il dit dans les lignes finales de ce protocole, « désireux de donner à la « Grèce une nouvelle preuve des bienveillantes préoccupa- « lions de leurs souverains à son égard et de préserver ce (( pays des calamités que la rivalité des religions confessées « pourrait y susciter, ont convenu que tous les sujets de ce « nouvel Etat, quelle que soit leur religion, pourront être « admis à tous les emplois publics, fonctions et honneurs et « devront être traités sur le pied d'une parfaite égalité^ indé- « pendamment de leur foi, dans toutes leurs relations reli- « gieuses civiles et politiques ». b) Traité de Paris Ce ne fut qu'au traité de Paris qu'une modilication fut introduite, concernant tous les Chrétiens de Turquie ; nous 1. FjCs plénipotentiaires étaient : pour l'Angleterre, lord Aberdeen ; pour la France, le duc de Montmorency-Laval; pour la Russie, Lieven. LA PnOTECTION DES MINORITÉS RELIGIEUSES 01 avons déjù rappelé comment, en l8o2, l'Amiral Mencliikoff réclama, sous forme d'ultimalum, la confirmation du droit de surveillance et do protection reconnu à la Ilussie, sur les Chrétiens Orthodoxes ('). Ces prétentions abusives grou|)r*rent autour de la Turquie, la France et rAngletcrre. La guerre de Crimée s'engagea entre les deux parties. Sur l'initiative de l'Autriche, un premier Memorcndum avait été élaboré à Vienne le 28 décembre 1854, contenant les propositions de paix des alliés. Il portait sur quatre points dont le dernier était la renonciation de la Russie « à la prétention de couvrir « d'une protectorat officiel les sujets chrétiens du Sultan de c< rite Oriental, et ù refaire aucun des articles de ses traités ~ « antérieurs, notamment du traité de Kaïnardji {'). » Le quatrième point, accepté après bien des hésitations par l'Empereur Alexandre, devint le protocole du l*"^ février 1850. En môme temps, les puissances pour enlever tout pré- texte à la protection russe, usaient de leur influence près du Sultan, afin d'obtenir de lui un acte reconnaissant l'égalité des Chrétiens et des Musulmans, et garantissant à tous ses sujets une entière liberté de conscience. Le 18 février 18o(», le Sul- tan publiait un «Halti-Humayôum » ou'Constilulion, qui intro- duisait en Turquie les principes répandus en Europe dans la première moitié du xix*. Art. 7. — « Le gouvernement prendra les mesures éner- « gi(jues et nécessaires pour assurer à clia(|ue culte, quel que « soit le nombre de ses adhérents, la pleine liberté de son (c exercice ». Art. 8. — « Tout mot et toute expression ou appellation ft tendant à rendre une classe de mes sujets inférieure à « l'autre, à raison du culte, de la langue, ou de la race, sont « à jamais abolis du protocole administratif ». Art. 10. — « Le culte de toutes les croyances et religions « existant dans mes Etats, y étant pratiqué en toute liberté, « aucun de mes sujets ne sera empoché d'exercer la religion « qu'il professe ». 1. Trailc do Koulcliouk-Kaïnardji (177^) et d'Andrinoplc (1829). 2, Testa, IV, app. II, p. 176. 92 LA PROTECTION DES MliNQRITÉS Art. 13. — « Les agents et employés de l'Etat sont choisis « par nous, ils sont nommés par décret impérial ; et, comme « tous nos sujets, sans distinction de nationalité, seront admis- « sibles aux emplois et services publics, il seront aptes à les (( occuper selon leur capacité, et conformément à des règles « dont l'application sera générale. » Au Congrès de Paris, qui s'ouvrit peu après, les Représen- tants des Puissances, auxquels la Constitution turque fut soumise, « constatèrent ia haute valeur de la communication qui leur était faite » : c'était dire qu'ils en prenaient note. Mais, en même temps, ils affirmaient — ce qui paraît quelque peu contradictoire — le principe de non-intervention, à l'égard de la Turquie. « Ladite communication, dirent-ils. ne saurait, « en aucun cas, donner le droit auxdites Puissances de s'im- « raiscer, soit collectivement, soit séparément, dans les rap- « ports de Sa Majesté le Sultan avec ses sujets, ni dans « l'administrationintérieure de l'Empire. » Déclaration impru- dente, qui parait être démentie par les faits : l'histoire des rap- ports de la Turquie et de l'Europe, de I808 à 1878, est une ( suite presque ininterrompue d'interventions. c) Le Traité de Berlin L'on connaît les événements qui motivèrent la guerre russo- turque de 1877 : la révolte des Bosniaques et des Herzégovi- niens, gagnant peu à peu les populations de toute la pénin- sule des Balkans, et les « atrocités bulgares », qui rendirent inévitable l'entrée en marche des troupes russes. Entre la Porte et ses sujets révoltés, les Puissances, dès 1870, s'étaient interposées, cherchant à trouver une formule de conciliation. Ce fut tout d'abord la Note des Consuls en 1876, puis la Note-Circulaire du Comte Andrassy, le 30 décem- bre de la même année, enfin les tentatives vaines d'une Con- férence internationale à Constantinople. Dans sa note, Andrassy avait demandé une pleine et entière iberté religieuse, Waddington en reprit l'idée dans sa demande l.A PHOTECTION DES Ml.NOHITKS H K I K ; I K USES 03 du 28 juin 1878: a 11 croyait im[)Oitaiil de saisir celle occasion « pour faire affirmer les [)rinci[)cs de liberté religieuse. » Cette idée devait l'emporter et inspirer rarticle (52 du traité de Berlin : « La Sublime Porte, y est-il dit. ayant exprimé la volonté « de maintenir le principe de la liberté religieuse en y don- , « nant l'extension la plus large, les Parties Contraclatites « prennent acte de celte déclaration spontanée... Dans aucune « partie de l'Empire Ottoman, la religion ne pourra ôtrc opjK)- « sée à personne comme un motif d'exclusion ou d'incapacité, j « en ce qui concerne l'usage des droits civils et i)oliliques, « l'admission aux emplois publics, fonctions et honneurs, ou « l'exercice des différentes piofessions et industries. Tous « seront admis, sans distinction de religion, à témoigner « devant les tribunaux. La liberté et la pratique extérieure de « tous les cultes sont assurées à tous, et aucune entrave ne « pourra être apportée soit à l'organisation hiérarchique des « différentes confessions, soit à leurs rapports avec leurs chefs « spirituels. » Le traité de Berlin marque une date dans Ihisloire des { n rapports de l'Europe et des chrétiens de Turquie : la protec lion collective des Puissances est substituée à la protection individuelle de tel ou tel Etat: de la Russie, pour les Chré- tiens orthodoxes ; de Venise, delà Pologne, de l'Autriche ou delà France, pour les Chrétiens ratlachés au Pape. C'est ce \ (jue Bismarck, président du Congrès, fit ol)server, en soumet- tant le projet au vote des Plénipotentiaires : « La portée de « la proposition anglaise, dit-il (l'article G2 était de rédaction « anglaise) est la substitution de la Chrétienté tout entière « à une seule nationalité. » M. Waddinglon fit déclarer (jue « les droils acquis par la France étaient expressément réser- vés ));il s'agissait ici delà protection traditioimellementexercée par la France sur les Lieux Sainls. L'article 02 fut voté. 11 est permis, au point d(; vue politicpie, de criti(iuer celle transformalion, qui, mettant toutes les Puissances de plain- pied, méconnaissait les droits acquis, nolammoiil par la 94 LA. PROTECTION DES MINORITES France. Dans le domaine des idées, il y a là une évolution intéressante. Les Temps Modernes n'avaient connu qu'une communauté religieuse: celle delà secte. L'idée d'une com- munauté liant tous les membres de la Grande Famille Chré- tienne était apparue à Alexandre I", en 1815 ; mais l'Europe ne l'avait pas suivi dans cette voie. La généralité des termes de l'article 02 permet de parler, non seulement de commu- nauté chrétienne, mais bien de communauté humaine. Il est remarquable en effet, que, bien que les Chrétiens fus- sent spécialement visés, le mot même de a Chrétiens » n'est point prononcé dans l'article qui les concerne; )1 est parlé de « religion », de « liberté religieuse ». C'est au nom de la liberté religieuse, obligation de tout Etat civilisé, patrimoine commun à l'humanité, que l'Europe se reconnaît le droit d'in- tervenir. Ainsi, l'interventiond'humanité succède, en Turquie, à l'intervention pour cause de religion. La généralité des termes de l'article 62 va permettre aux Puissances de le reproduire, presque identiquement, dans les articles visant les anciennes provinces de l'Empire Ottoman, auxquelles le traité reconnaît soit l'autonomie, soit l'indépen- dance : la Bulgarie (art. 5), le Monténégro (art. 7), la Serbie (art. 35), la Roumanie (art. 44). L'article 5 par exemple visant la Bulgarie, s'exprimera dans les termes suivants : « La distinction des croyances religieuses et des confessions « ne pourra être opposée à personne comme un motif d'inca- « pacité, en ce qui concerne la jouissance des droits civils et « politiques, l'admission aux emplois publics, fonctions et « honneurs, ou l'exercice des différentes professions et indus- « tries, dans quelque localité que ce soit. La liberté et la pra- « tique extérieure de tous les cultes sont assurées à tous les « ressortissants de la Bulgarie, aussi bien qu'aux étrangers, « et aucune entrave ne pourra être apportée, soit à l'organi- « sation hiérarchique des différentes communions, soit à leurs « rapports avec leurs chefs spirituels. » L.\ PROTECTION DES MINOniTÉS REI-IGIia SES 95 Ces termes sont, on le voit, très voisins de ceux de l'nrli- cle 02. Seulement, la liberté religieuse, imposée ù la Turquie en faveur des Chrétiens, l'élait, dans ces différents Ktats chré- tiens, en faveur des minorités non chrétiennes : des Musul- mans en Bulgarie, au Monténégro, des Juifs en Serbie et en Roumanie. d) La Convention internationale de Constantinople (24 mai 1881) L'occasion allait être bientôt offerte aux Grandes Puissances de préciser à l'égard des Musulmans, les principes généraux d'égalité et de liberté religieuse inscrits dans le traité de Berlin. Ce traité avait admis le principe d'une rectification de frontières en faveur de la Grèce en Thessalie et en Epire, laissant à cet Etat le soin de régler la question avec la Porte par entente directe ('). L'entente n'ayant pu se réaliser, les Grandes Puissances furent amenées, en janvier 1881, à impo- ser leur arbitrage aux deux parties. Leurs représentants réu- nis en Conférence à Constantinople prirent une décision, qui devint le 24 mai 1881, la Convention internationale de Cons- tantinople. La Grèce se voyait attribuer Larissa avec la majeure partie de la Thessalie, ainsi qu'une faible portion de l'Epire. Dès la première Conférence, les plénipotentiaires ottomans avaient attiré l'attention des ambassadeurs sur la situation des Musulmans qui seraient rattachés à la Grèce. Sans adop- ter intégralement le programme de revendications qui leur était soumis ('), ceux-ci tinrent compte des observations qui s'y trouvaient formulées. I. Prolocolo i3 du ('ongrès, et art. a4 d» Irailé du i3 juillet. a. Voici les articles présentes par les plciilpotciiliaircs ottomans a la première Conférence de Constantinople (i'' annexe au protocole général). 11 est curieux de les comparer au texte do la Convention, pour voir dans quelle mesure ils l'ont inspiré. L'article 4 place sons la garantie des Puissances la vie. les biens, l'honneur, la religion et les m< DKS MINOHITKS RKl-KM ELSKS 07 «Les litres dcpropri»Hc de biens dits vakoufs, qui servent Cette disposilion ([uc complète le deuxième paragraphe de l'article 4, cité plus haut, relatif à la reconnaissance des bicns- vakoufs, donne aux Communautés musulmanes, moins sans doute que le programme des plénipotentiaires ottomans, des garanties d'autonomie. Nous verrons dans (pielle mesure les traitésde l'Jl'.)-l!)2) s'en sont inspirés «juand ils ont eu à régler la (lucstiondesminoritésmusulmanesdansl'Ltat serbe croate- slovène, en Grèce et en Arménie ('). I. Voir 3' partie, chapitre VI (\utonomie. Les Musulaiaos dans les Etats chrétiens). CHAPITRE II LA PROTECTION DES MINORITÉS RELIGIEUSES (suite) Les Juifs Roumains De ces clauses, doat oii vient de voir l'origine, l'une mérite d'être détachée, car elle a son histoire : c'est celle qui concerne les juifs roumains. La question juive est en Roumanie une très vieille ques- tion. Elle s'est posée, du jour oii, par le traité de Kaïnardji, les Principautés ont été dotées d'une certaine autonomie. Elle revêt un aspect différent en Moldavie et en Valachie;en Moldavie, le nombre des Juifs est beaucoup plus considé- rable, et sans cesse accru par l'apport des Juifs de Pologne ; ce n'est que, lorsqu'en 1858 les deux Principautés ont été réunies que la question juive s'est uniîiée, et que les mesures dexception les plus rigoureuses prises en Moldavie ont été étendues à tout le territoire roumain. La nature de la question, nous avons tenté de la définir dans le premier chapitre : question nationale, aux yeux des Roumains. Cependant les Plénipotentiaires du Congrès de Berlin, Gortchakoff excepté, y ont voulu voir une question religieuse, et l'ont traitée comme telle. « Question nationale et aussi économique », voilà la forme sous laquelle elle se présente dans les faits : le juif est un étranger, différent de la population indigène par la langue, les mœurs et le sentiment ; mais, c'est aussi un étranger qui a drainé une partie de la fortune du pays : il a une richesse hypothécaire considérable ; le jour où les restrictions "lomberont, il sera le plus gros propriétaire foncier; dans un pays et dans un temps où le suffrage est censitaire, il sera aussi le plus gros électeur : or, il y a danger à laisser une telle importance à venir aux mains de ceux qui, par le sen- timent, sont restés des étrangers. . . Il faut donc écarter le LES JLIFS ROUMAINS 90 juif de la propriété foncière, el le maintenir privé de droits politiques : ce sera le constant souci du gouvernement H des Chambres. La chose est assez simple : les droits politiques en Roumanie n'appartiennent qu'aux nationaux ; le droit j\ la propriété foncière, comme dans tous les pays issus des démem- brements de l'Empire ottoman, n'appartient aussi qu'aux nationaux : il faut donc éviter à tout prix que le Juif ac(juière le statut légal Roumain ; toute la question des Israélites en Roumanie se concentre dans le problème de rac(iuisition delà nationalité ; le jour où celui-ci serait tranché en faveur des Juifs, les autorités roumaines seraient désarmées. -' • I. — Le Traité du Paris et son application Le problème, au point de vue international, se posa pour la première fois, aux Conférences deConstantinoplc en 18jti, puis à la Conférence de Paris en 4858. A. ce moment, la question juive était réglée en Moldavie et en V^alachie parles règlements organiques de ces provinces élaborés pendant l'occupation russe en 1823, ratifiés par les assemblées des Boyars en 1831. Les Juifs étaient des étrangers privés des droits politi(|ucs, du droit d'avoir des immeubles, de prendre à ferme des terres. Le règlement de Moldavie, plus rigoureux, prenait des mesures (art. 94) pour l'expulsion de ceux (|ui a vivraient de ressources irrégulières », Au contraire, en Valachie, des lois partielles permettaient aux Juifs, dans certaine localités, d'acfjuérir des immeubles (p. ex. à Braïla. loi du l*^*" mai 1830). L'assemblée révolutionnaire de 1848 en Valachie avait proclamé « rémancipalion des Israélites et l'octroi de droits civils et politiques » (art. 21). Mais la constitution n'avait pas vécu, et le régime de 1831 était rentré en vigueur. Aux Conférences de Constanlinoplo, l'on s'occupa de la situation des Juifs dans les Principautés (]ui allaient être émancipées et réunies. Le protocole du 11 février 18.'>() reconnaissait certains principes : « la liberté du culte », « le droit de propriété applicpié aux étrangers », « l'égalité des 100 LA PROTECTION DES MINOIUTÉS « droits civils, consacrée en faveur de toutes les classes de « la nation sans distinction de naissance et de culte ». Mais la convention de Paris du 19 août 1858 n'alla pas aussi loin ; elle déclara seulement dans son article 46 : « Les « Moldaves et les Valaques seront tous égaux devant limpôt « et également admissibles aux emplois publics dans l'une et « l'autre Principauté... Les jNIoldaves et les Valaques de « rites chrétiens jouiront également des droits politiques; la « jouissance de ces droits pourra être étendue aux autres « cultes par dès dispositions législatives. » Parlant des Moldaves et des Valaques, les Puissances entendaient comprendre dans ce terme les Juifs établis dans le pays; pour({uoi autrement auraient-elles, à propos des droits polititiues, spécifié a les Moldaves et les Valaques de rites chrétiens », attendu qu'à part les Juifs, il n'existait aucun Moldave ou Valaque, qui ne fût de rites chrétiens? Gela semble fort net... Mais il ne faut pas oublier que les Juifs établis dans les Principautés sont en 18o8 des étran- gers. C'est grâce à cette imprécision des textes, que les Rou- mains prétendirent les exclure des dispositions libérales que les puissances avaient cru établir en leur faveur. Les débuts furent pourtant encourageants. Le Code Civil de 1865 reconnaissait aux individus nés et élevés en Roumanie le droit de réclamer la (Qualité de Rou- mains (art. 8). Ceux qui n'étaient pas de rites chrétiens étaient soumis à une enquête : ils devaient indiquer leur profession et les capitaux dont ils disposaient, et accomplir un stage de dix ans depuis cette demande, pour que la natu- ralisation leur fut accordée par l'Assemblée Législative, après avis du Conseil d'Etat (art. 16). Enfin, c'est là le point impor- tant, la naturalisation n'était plus nécessaire pour l'acquisi- tion des droits civils (art. 6). Mais le Code civil de 186o n'eut qu'une application éphé- mère. Entré en vigueur le 1" décembre 1865, il était abrogé dans ces dispositions le 1"' juillet 1866 par la Constitution, LES JUIFS luil MAINS 101 qui réservait aux Chrétiens seuls le droit de solliciter la natu- raliï^ation. Les auteurs de la Constitution avaient pourtant été animés un instant de sentiments de tolérance à l'égard des Juifs. Le projet de larlicle 7. qu'ils avaient déposé, prévoyait une loi spéciale « réglant 1 admission graduelle des Juifs à l'indigé- nat ». Mais, ce projet fut abandonné devant l'hostilité générale de la population, et le nouvel article portait simplement : « La (jualité de Roumain s'acquiert, se conserve et se perd « d après les règles déterminées par le droit civil. Les élran- V gers de rites chrétiens peuvent seuls obtenir la naturalisa- « tion. ») * » C'en était dès lors fini du libéralismedcs premières heures. La situation des Juifs en Roumanie de 1866 à 187S ne devait aller qu'en empirant malgré les interventions de plus en plus fréquentes des Puissanc-es. En avril-mai 1867. Bralian> remet en vi^'ueur. [tardes cir- culaires, les anciennes lois d'exception. Il est interdit aux Juifs (Tèlrc propriétaires de lerrcs^, do prendre des terres à ferme, d'exercer la profession de cabareliers et d'aubergistes dans les communes rurales. Puis, à propos de troubles, des arrestations en masses furent faites contre les Juifs. L'Europe s'émut. A la Chambre des lords, Slralford de Redcliffc dénonça les circulaires de Braliano : Napoléon lll intervint ; une partie des Juifs arrêtés furent remis en liberté. Mais, peu après, c'étaient les incidents de fîal.dz (30 juin 1867) : les Juifs repoussés à la frontière lurco-roumaine par les autorités roumaines ; plusieurs d'entre eux se noyèrent. Il y eut alors une protestation des consuls. Bratiano y répon- dit par une note, où il rejetait toute la responsabilité sur les Turcs ; les Turcs réclamèrent une enquête mixte, qui conclut à la faute de la Rouuianie. Ces événements regrettables, qui se répétaient fré«iucm- ment et occasionnaient sans cesse 1 immi.xtion des Puis- sances dans des affaires qu ils considéraient comme les leurs, J. fouques-Duparc 7 lOi LA PROTECTION DES MINORITES irritaient les Roumaiiis, et ne faisaient qu'aviver en eux les sentiments antisémites. Le 24 mars 1867, trente et un dépu- tés radicaux déposaient au Parlement une proposition, aux termes de laquelle les Juifs étaient mis hors du droit commun: dissolution des comités israélites, interdiction pour les Juifs de résider hors des villes... Le gouvernement repoussa ce projet qui n'aboutit pas ; mais, l'état d'esprit que révélait la proposition des trente et un, avait attiré l'attention de l'Europe. Le gouvernement français demanda des renseignements sur l'accueil que lui avait fait le ministère. A la Chambre des Communes, lord Goldsmid prenait la défense de ses corréligionnaires, et inter- pellait le cabinet britannique. Et lord Stanley, dans sa réponse, généralisant la question juive en Roumanie, en fai- sait une question humaine : (.< Je crois que c'est là une affaire « qui touche les Chrétiens plus au vif que les Juifs eux- « mêmes, car, si la souffrance tombe sur les Juifs, c'est la « honte qui tombe sur les Chrétiens. » Pris entre le mouvement national et l'Europe, le Gouver- nement roumain avait à faire face à la fois aux accusations de tiédeur, qui lui venaient du dedans, et à celles de persé- cution qui lui venaient du dehors. Tandis qu'il essayait de modérer l'ardeur antisémitique du Parlement, il défendait vis-à-vis des Puissances le principe de non-intervention. Lorsque de nouveaux troubles en 1868 eurent encore occa- sionné une enquête des consuls, le ministre de l'Intérieur répondit à son collègue des Affaires étrangères, >qui lui en transmettait les termes, « qu'il réprimerait les persécutions, « mais qu'il était résolu à ne tolérer aucune immixtion étran- « gère dans les affaires intérieures de la Roumanie, et prin- « cipalement dans l'administration chargée de l'ordre pu- « blic 0 ('). En 1869, le Gouvernement roumain eut l'occasion de pré- ciser au point de vue juridique la thèse qu'il avait soutenue. La mise en vigueur de nouvelles circulaires contre les Juifs avait donné lieu à une protestation de la part de la France. I. Mémorial diplomatique des 7 et i4 mai i868. LES JUIFS HOUMAIN8 103 Dans sa noie, le consul de Franco, M. Mellinct, exprimait de la part de la Valette a le sentinoent pénible avec lequel on a « vu en France l'exécution dune mesure qui remet en ([ues- « tion les principes de droit et justice que l'on se plaisait à « considérer comme définitivement assurée dans les Provinces « Unies » ('). Le Gouvernement roumain répondit : les Juifs sont des étrangers ; la question juive est une question d'ordre intérieur; la convention do 18.')S a placé sous la garantie des puissances l'aulononiie des Principautés, non [)as leur législa- tion, ni leur administration. Et cependant, les Puissances pouvaient-elles tolérer que les Juifs fussent ainsi persécutés en Roumanie ? pouvaient- elles accepter une interprétation des textes, qui semblait au moins contestable t.. L'Angleterre ne le pensa pas. Lord Glarendon rédigea le lîi février 1870 une note collec- tive, qui devait être remise au gouvernement roumain par les consuls des Etats, signataires de la Convention de Paris. Cette tentative n'aboutit pas, par la faute de l'Allemairne, qui se retrancha derrière le principe de non-intervention. La note cependant fut remise individuellement par les consuls des Etats, qui en acceptèrent le principe ; elle reste un document intéressant, car elle est l'exposé en cette matière de la thèse anglaise : « Le Gouvernement roumain et les Chambres « feront bien de se rappeler que, non seulement ils sont res- « ponsables devant l'opinion publique de lEurope, des mau- a vais traitements subis par les Juifs des Principautés, mais « que les Puissances européennes ont le droit, en vertu de la « Convention de Paris de 1858 qui a réglé l'organisation des « Principautés de Moldavie et de Valachie, de demander « l'exécution de l'article 46 de cette Convention. (|ui i)rescrit « pour les Juifs comme pour les Chrétiens, une égalité com- « plète pour les droits légaux et fiscaux, aussi bien que pour « la liberté des personnes et la sécurité des biens ; et, (jUGi- '.( que la Convention n'ait accordé les droits politiiiucs ({uaux « seuls Chrétiens, elle a laissé la porte ouverte pour (jue les 1. Loeb, La situation dfs Israélites en Turquie, en Serbie cl en lioumanie. Paris, 1877, iii-8*, p. 302. 104 LA f'HOTECTION DES MINOBITÉS « Principaulés étendent spontanément ces droits aux adhé- « renls de toutes autres religions, ce qui implique de la part « des Puissances le vo^u de les voir aussi étendus.. .. » Jusqu'ici, seules, les Puissances garantes de la Roumanie avaient réclamé en faveur des Juifs roumains. En 1872, alors que la persécution allait toujours croissant, un fait nouveau devait se produire : l'entrée en scène des Etals-Unis; nous avons déjà mentionné la lettre par laquelle M. Vashburne annonçait à M. de Rémusat que la Grande République amé- ricaine était prête à se ranger aux côtés des signataires de la Convention de Paris, et les motifs qui lui inspiraient cette démarche. « Mon Gouvernement éprouve les plus profondes sympa- 0 thies pour les Israélites qui sont maintenant si inhumaine - « ment persécutés dans les Principautés moldo-valaques. « M. Fish, ministre des Affaires étrangères des Etats-Unis^ « pense que si le sentiment du Gouvernement et du peuple « des Etats-Unis était connu du Gouvernement de la Répu- « blique française, cela pourrait aider à la mise en exécution « du traité passé entre certains Etats européens relativement « à la classe victime de cette persécution. Bien que le Gouver- u nement des Etats Unis ne soit pas l'une des parties signa- « taires du traité..., le grief dont il est ici question est si « flagrant et a d'ailleurs un caractère tellement universel et c( cosmopolite que tous les gouvernements et toutes les « croyances religieuses ont un intérêt à en demander le « redressement ('). » II. — De la Paix de Berlin aux Traités actuels Telle était la situation, lorsqu'après le traité de San Ste- fano, s'ouvrit le Congrès de Berlin. Parmi les questions qui se posaient au Congrès, il y avait celle de la reconnaissance de la Roumanie et de la Serbie comme Etats indépendants. M. Waddington pensa que ce serait une occasion solennelle d'affirmer, au nom de l'Europe, I. Lœb, p. 56a et 563, noies 1 16 et 117. LES JUIFS HOLMAIN8 105 le principe de la liberlr religieuse. La Serbie, disait-il, demande à entrer dans la Grande famille européenne ; elle doit donc reconnaître préalablement les principes qui sont la base de l'organisation sociale dans tous les Etats de l'Europe. C'est ainsi que, malgré ro[)posilion de Gortehcikoff. qui leprésenlait que des droits civils et politiiiues ne sauraient être reconnus aux Juifs « de façon absolue », la question juive entra au (iOngrès de Berlin. L'Allemafznc, l'Angleterre, l'Autriche et l'Italie s'étaient rangées aux avis de la France (*). L'indépendance de Serbie fut admise par le Congrès sous condition de la liberté religieuse ('). Il en fut ainsi pour la Houmanie. M Waddinglon ajoutait qu'en ce (jui concerne ce pays, les difficultés locales seraient plus facilement surmon- lables, lorsque le principe de la liberté religieuse serait reconnu, et que la race juive saurait (ju'iîlle n'a rien à allendre que de ses propres effoi'ts et de la soliilarité de ses intérêts avec ceu.^ des populations indigènes. * * Ce fut l'origine des articles 43 et 44 du traité de Berlin : Art. 43. — « Les Hautes Parlies contractantes reronnais- « sent l'indépendance de la Houmanie. en la rattachant aux « conditions exposées dans les deux articles suivants. » .\rl. 44. — « En Houmanie, la distinction des croyances 'I religieuses et des confessions ne pourra être op[)Osée à per- « sonne comme un motif d exclusion ou d'incapacité en ce u qui concerne la jouissance des droits civils et politiques, « l'admission aux em[»lois publies, fonctions et honneurs, ou (( l'exercice des différentes professions et industries, dans « ([iiebiue localité que ce soit. La liberté et la [)ratiipie exté- (( rieure de tous les cultes seront assui-ées h tous les ressor- « lissants de l'Etat roumain, aussi bien qu'aux étrangers, et I. Il faut iiolcr l inlliicnce La réponse de Ilardenberg était plus explicite encore, et contenait des appréciations dont l'avenir devait révéler la jus- tesse. <( Assurer la tranquillité de cea provinces par un mode « d'administration adapté aux habitudes et au génie de leurs- I. Le Congres de Vienne cl les traités do iSi5, t. I, p. 796. LKS MINORITÉS NATIONALES ET LES CONGHÉS DU XlX« 117 « habitants, c'est là réellement l'établir sur la base solide et A libérale d'un intérêt coniniun. G 'est en a;5Mssant ainsi ({u'on « montre aux peuples que leur existence nationale peut res- « ter libre de toute atteinte, quel que soit le système poli- « tique auquel le sort les a liés ; (ju'on leur apprend à ne pas « confondre des idées , t/ui. lorsqu elles ne snni pas séparées, ne « cessent défaire naître, dans le repos même de la vie privée, « des cœur et des espérances vagues de changetnents futurs : (( qu'on rattache fortement les sujets de nations différentes, et « qu'on les réunit dans une même famille... J'ai garanti aux « habitants du grand-duché de Posnanic le maintien de la « langue polonaise concurremment avec la langue allemande it dans tous les actes publics. » A ces engagements, contenus dans des écrits, échangés au cours des négociations de Vienne, il faut ajouter ceux, pris vcrbaleuient par le czar, que Gastelreagh devait noter, et que l'Angleterre, dans la suite; en 18G3, allait rappeler à la Russie. « Les vues originelles de l'empereur Alexandre le^, « écrivait le comte Russel à lord Na[)icr le 17 juin !863, ont f( été conservées par lord Gastelreagh, (jui dans une longue « conversation, avait appris des lèvres mômes de IHlmpi^reur, « le plan qu'il avait formé. « Le plan de l'Empereur, voici comment lord Gastelreagh « le résume : « Retenir la totalité du duché de Varsovie, à « l'exception de la petite partie à l'ouest de Kalisch, « (|u Alexandre h^ se proposait de donnera la Prusse, en éri- « goant \ct reste, avec les provinces polonaises autrefois « démembrées en un royaume sous la domination de la Rus- « sie. avec wie administration nationale conforme aux sen- a tinienls du peuple {'). d Toutes ces déclarations écrites ou orales éclairent les actes internationaux^ qui les réunirent et les transformèrent en obligations positives. Ge furent tout d'abord les deux traités du -i mai l-S'I.) le I. Lnre jaune sur les adaircs de Pologne en i8G3. Dépêche n' 19. J. Fouques-Duparc 8 118 LA PROTECTION DES MINORITES premier signé entre la Russie et l'Autriche (art. 6), le second entre la Prusse et la Russie (art. 3). Ce fut ensuite l'article 1^^ de l'Acte final dit Congrès de Vienne, du 0 juin 1815, qui s'exprime dans les mêmes termes que les articles des traités précédents : ce Le duché de Varsovie... est réuni à Tempirede Russie... « Sa Majestéïmpériale se réserve de donner à cet Etat, jouissant V d'une administration distincte, l'extension intérieure qu'elle « jugera convenable... Les Polonais, sujets respectifs des hautes « parties contractantes obtiendront des institutions, qui assu- « rent la conservation de leur nationalité, d'après les formes « d'existence politique que chacun des gouvernements, « auxquels ils appartiennent, jugera convenable de leur (( accorder. » Droits nationaux d'un peuple, reconnus et garantis par un traité international : il s'agissait donc bien ici de la protection d'une minorité nationale, telle que nous l'avons définie. IL — Le Congrès de Berlin : Arménie et Bulgarie L'exemple de la protection internationale garantie à la Pologne par le Congrès de A^'ienne ne devait guère pouvoir être invoqué comme précédent, en faveur d'une tentative nouvelle ('). \\ n'indiquait pas, en tout cas, comme certains auteurs se plaisent à le constater, un progrès très sensible du « sentiment d'équité internationale », dans le demi-siècle, pendant lequel il avait duré. Le progrès était ailleurs : c'était celui du sentiment natio- nal. De 1815 à 1878, du Congrès de Vienne au Congrès de Berlin, il est incontestable. Alexandre P"" n'avait formulé en 1813 que de façon tout à fait fragmentaire le principe des nationalités. Depuis lors, la Roumanie, l'Italie, l'Allemagne s'étaient constituées sur cette base. Le sentiment national avait gagné l'Orient. Sans doute, chez les populations, sujettes ou vassales de la Turquie pour lesquelles les concep- I. Voir chapitre suivant. LES MINORITÉS NATIONAI.KS ET LES CONGRES DU XIX" 1 I tions de confession religieuse et de nations restaient étroite -l meni iinios et solidnircs, les dioits religieux jouaient enrore ! le preniier rùle. Mais déjà, ils n'embrassaient plus l'ensoiublc l du problème. Pour répjler la Question d'Orient, le Congrès de Berlin s'était inspiré, dans la mesure où les intérêts politiques enga- L gés le lui peinioUaient, du principe des nationalités. Ce [)rin- 1 cipe avait ses limites : l'appliquer dans toute sa rigueur, c'eût été (IcMncmhror la Tunpiie, la priver non seulement de ses possessions balkani(|ues mais encore de la majeure partie de ses territoires d'Asie ; c'eût été aller à rencontre de l'œuvre de réaction poursuivie à Berlin contre les décisions du traité 1 de San Stéfano. Le procédé employé à Vienne h l'égard des Polonais permellail de ne point mêler le système politi(jue du pays et l'existence nationale des habitants. C'est pourquoi le nouveau Congrès y eût recours — de façon i)artielle, il est vrai — pour fixer la situation de la Boumélie Orientale (art. 18), de la Crète (art. 23), de l'Arménie (art. Gl). L'application la plus connue est celle qui vise les Armé- niens, nation dont le territoire est mal défini, difficile à pré- ^ ciser à causede la multitude et de la confusion des éléments ethniques qui l habitent. L'article 61, reprenant l'article IC» du traité de San Sté- fano, stipulait : « La Sublime Porte s'engage à réaliser sans plus de retard les (( améliorations et les réformes (ju'exigent les besoins locaux « dans les provinces habitées par les Arméniens, et à garan-^ « tir leur sécurité contre les Circassiens et les Kurdes. Elle « donnera connaissance périodiquement des mesures prises « à cet effet aux Puissances qui en surveilleront ra[)plica- « tion. » Les .Arméniens, lors des négociations du Congrès, avaient fait des tentatives près des Puissances pour obtenir l'auto- nomie. L'article (il leur accordait des promesses : promesses de protection des droits humains (garanties de leur sécurité 120 LA PROTECTION' DES MINORITES contre les-Circassiens et les Kurdes); promesses de réalisalion des réformes « quexigent les besoins locaux ». Mais, l'exi- gence des besuins locaux était soumise à tous les aléas de l'interprétation. La seule garantie laissée aux Arméniens — si c'en était une - était le contrôle périodique des Puissances sur les mesures prises par la Porte. Nous iusisterous suffisamment sur les causes de fai- blesse de l'article 1" de l'Acte final du 9 juin 1815, pour n'avoir pas à entrer ici dans l'histoire d'une protection aussi impuissante que la précédente, en face d'une situation plus malheureuse encore que celle des Polonais. Les massacres nombreux (1895, 1896, 1909) vinrent aggraver une violation du droit si constante, qu'elle constitua, sinon le droit, du moins la coutume. Les projets de réforme élaborés par les ambassadeurs de France, de Russie, de Grande-Bretagne en 1895, les efforts qu'ils firent de 1912 à 1914 pour les faite aboutir^ restèrent également vains. Là encore 1" union manquait. Avec les Polonais en 1815 ou les Arméniens en 1878, il s'agissait de nations susceptibles de former des Etats. La pro- tection internationale qui s'étendait à eux, était une protec- tion des nationalités, plutôt que des minorités nationales. L'article 4 du traité de Berlin concernant la Bulgarie, est J 1 original en ce sens qu'il s'occupe de minorités nationales pro- prement dites. <( Dans les localités où les Bulgares sont mêlés à des popu- « latious turques, roumaines, grecques, ou autres, y est-il « dit. il sera tenu compte des droits et des intérêts de ces « populations, en ce qui concerne les élections et l'élaboration « du règlement organique. » Le souci que révèle cet article est nouveau : il laisse appa- raître. poiH" la première fois peut-être, que le principe des nationalités a ses lacunes, et qu'il porte en lui des injustices; qu'un Congrès international ne peut se désintéresser des popa- LES MINOIUTÉS >ATIOiN XI.KS KT LES CONÇUES DU XI\c I2l alions, qui, liées au soluf instructus. sont livrées avec lui, à la nation majoritaire, pour entrer dans lElat national. La dis[)Osilion de l'arlicle 4 du traité de Berlin participe du naème esprit que celles que nous trouverons dans les trai-£^ tés de lîH 0-1020 : elle est un correclif à rapi)licalion slriclc du principe des nationalités. CHAPITRE IV LA PROTECTION INTERNATIONALE DES POLONAIS (1815-1863) Avec l'exemple des Juifs rourriains, celui de la Pologne de 1815 à 18G3 est de ceux qui font le mieux saisir sur le vif les difficultés de réalisation auxquelles se heurte la garantie internationale des droits des minorités. Là encore, qu'on le remarque, il ne s'agit pas d une popula- tion dont l'Europe se désintéresse. Rarement peuple, dans ses malheurs, a attiré de toutes parts à lui autant de sym- pathies que les Polonais. Ces sympathies, en deux circons- tances même, se manifesteront de façon positive par une intervention des Puissances auprès du Tzar. Mais, comme celles qui furent faites en faveur des Juifs roumains, ces ten- tatives resteront sans effet. Elles échoueront pour d'autres raisons que dans le cas pré- cédent. Il n'y a point, dans l'article 1 de l'Acte final du 9 juin 1815, d'ambiguïté comparable à celle qui permettra à la Roumanie, par une interprétation tendancieuse, d'éluder les obligations de l'article 44 du traité de Berlin (*). L'article 1 de l'Acte final de Vienne, pour ne point s'étendre sur les modalités d'application, est très clair dans son prin- cipe. Il spécifie des « institutions qui assurent aux Polonais la conservation de leur nationalité ». Il n'y a pas d'erreur possible ('). Mais, si la Roumanie est, en 1878, un Etat de second plan, la Piussie, de 1815 à 1863, est une des toutes premières puis- sances d'Europe. Elle est un appoint nécessaire à toute com- I. Voir plus liaul, chapitre H. les Juifs Roumains, p. loi et suiv. a. Voir cet article, chapitre III, les minorités nationales et les Grands Congrès du XlXe, p. 1 1 1 et 1 1 a. 0 \.k PHOTECTION UES POLONAIS (1815-1 1. Au Congrès de Paris, Clarcndon. à la requête du comte Walewski, avait insisté près du comte Orloll, sur la nécessité de rappeler les institutions accor- dées aux Polonais par le Congrès de Vienne. « J'ai dit que la condition de la « Pologne avait lUé discutée et sa future organisation déterminée par le Congrès- « de Vienne, et que le Congrès actuel ne pouvait voir la question avec indiffé- « rence, que je croyais que les Polonais seraient assez satisfaits si une Consli- « tution nationale leur était rendue, si leur religion était respectée, s'il leur « était permis de parler la langue polonaise, et si leurs enfants étaient élevés « danslesécoles polonaises, au lieu de 1 être (et en nombre limité) dans les écoles « russes. .le suggérai en môme temps à Son Excellence qu'elle devait donner « quelque assurance à cet elfet, ou se préparer à le déclarer dans sa réponse à « une f(uestion qui lui serait posée par le Congrès. « Orloiriui répond : « Dans I intérêt d^s Polonais, ne portez pas lafTaire devan^t « le Congres, car, dans le Concjrès, je ne puis rien vous dire, ni y admeUre votre « droit de m' interroger. I*ar conséquent, ma réponse sera décourageanle pour les « Polonais, et l'Empereur jugerait peut-être qu'il serait de sa dignité de retarder « ce qu'il compte faire. » « ... L'Empereur désirait signaler son couronnement par cet acte et par d^iU" LA PHOTECTION DES POLONAIS (ISlo-lSÔIJ) 129 de 1831 avait été si violent»;. . Ainsi, une Conférence réunissant les auteurs de cet Acte L.V PHOTECTtON DES POLONAIS (1815-1863) 137 se trouvait, dans son principe, légitimée. Mais, aurait-elle quelque valeur [)rali(iue ? Gorlchukof ne le croit pas... En tous cas, « elle dépasserait de beaucoup les bornes du droit d'interprétation »... La brèche étant ainsi ouverte, il répond individuellement aux trois gouvernements, réservant à chacun d'eux les objections qui lui paraissent les plus propres à l'atteindre et à paralyser son action. Il essaie d'attirer 1 attention de l'Angleterre surl'inefficacité, les risques mômes de la procédure proposée. A M. de Brun- now, son ambassadeur à Londres, le ministre de Russie écrit : « Quant à l'idée d une Conférence des Huit puissances « signataires des traités de \'ienne qui aurait à délibérer « sur les () articles adoptés comme base, elle présente des « inconvénients sérieux, sans que nous puissions en déduire -« aucune utilité. « Si les mesures dont il s'agit, sont suffisantes pour la « pacification du pays, une Conférence serait sans objet. Si « ces mesures devaient être soumises à des délibérations « ultérieures, il en résulterait une ingérence directe des Puis- « sances Etrangères dans les détails les plus intimes de (( l administration, ingérence qu'aucune Grande Puissance ne « pourrait admettre et que certainement l'Angleterre n'ad)net- La menace perce sous la courtoisie des termes. Mais les formules semblables n'ont leur sens (jue lorscju^ellos annon- cent une armée en marche. Et aucune armée nétait prèle à marcher. . . Dès lors que pouvait craindre Gortchakoff ? Sa première réponse était conciliante dans la forme. La seconde, celle du 20 aoùt-7 septembre, (ju'accompagnuit un long Mémorandum, était rédigée sur un tout autre ton. Après un long exposé historique, d'où il ressortait que c'est sur l'initiative du Tzar Alexandre P% et malgré les autres Puissances, que des dispositions favorables au Polo- nais avaient été insérées dans le traité de Vienne, le Mémo- randum concluait que la Russie ne pouvait accepter la Con- férence proposée. « On ne saurait imaginer (question plus délicate, ni ingé- « rence plus directe. Un gouvernement qui l'eût acceptée « eût virtuellement abdiqué son autorité entre les mains de (( la Conférence. » Dans les dépèches, Gortchakoff définissait les devoirs du Tzar envers les Polonais et les Puissances : « iNotre Auguste Maître reste animé des inlenlions les plus « bienveillantes envers la Pologne, les plus conciliantes « envers toutes les Puissances Etrangères. « Le bien-être de ses sujets de toutes les races et de toutes « les convictions religieuses est une obligation que Sa Majesté « Impériale a acceptée vis-à-vis de Dieu, de sa conscience el « de ses peuples. L'Empereur consacre toute sa sollicitude à « la remplir. « Quant à la responsabilité que Sa Majesté peut assumer « darts ses rapports internationaux, ces rapports sont réglés « par le droit public. La violation de ces principes fonda- 140 LA. PHOTECTION DES MINORITES « mentaux peut seule entraîner une responsabilité. Notre « Auguste Maître a constamment respecté et observé ces (f principes envers les autres Etats, Sa Majesté est en droit (( d'attendre et de réclamer le même respect de la part des « autres Puissances ('). » Les illusions n'étaient plus permises. « Nous déplorons, devait écrire le 22 septembre Drouyn « de Llîuys à notre chargé d'affaires à Londres, le Marquis de « Gadore, que trois puissances, telles que l'Angleterre, l'Au- a triche et la France ne soient pas parvenues à donner à « leurs démarches toute l'efficacité désirable, et il n'a pas « tenu à nous d'assurer à leur opinion l'irrésistible autorité « d'une résolution collective ('). >> 1. Dépèche de GortchakofT au Baron Je Budberg, ambassadeur à Paris, à M. de Brunnovv, ambassadeur à Londres, à M. de Knorring, ambassadeur à Vienne, en date du 36 aoùl-7 septembre i8fi3 (livre jaune, n"^ Sa, 33, 34). 2. 2 Livre jaune des Affaire.s de Pologne de i863 (n° 36). L'affaire de Po- logne devait faire encore l'objet de notes de la part des Gouvernements. L'An- gleterre, en octobre, propose d'intervenir à nouveau ; en novembre, Napo- léon 111 éniet l'idée d un Congres européen... Mais l'accord est rompu, qui seul eût permis une solution... Au printemps £864, 1 insurrection, abandonnée par lAutriclie, est vaincue. Et la Russie peut à son gré dicter ses conditions. CHAPITRE V LA GENÈSE DUNE IDÉE NOUVELLE La protection des droits nationaux des minorités, excep- tionnelle dans lo passe, avec « les traités de minorités » de 1919-1020, va devenir la règle. C'est en cela que ces trai- tés diffèrent des précédents, et que 1 idée qui les inspire peut mériter le nom d'idée nouvelle. Les clauses du Traité de Berlin, qui seules jusque-là, pré- sentent quelque caractère de généralité, concernent la liberté religieuse, et ne louchent (jue très incidemment aux droits nationaux. Le Congrès de Versailles a usé du même pro- cédé que celui de Berlin. En imposant des principes diffé- rents, il a suivi l'évolution qui s'était produite dans le droit public, et, plus encore que dans le droit positif, dans l'esprit public européen, au cours des (juaranle années qui Tout pré- cédé. C'est un spectacle curieux que d'observer à la fin du xix^ et dans les débuts du xx^ siècle une manifestation nouvelle du sentiment national. Dans les Etats où il n'a pu obtenir satisfac- tion par l application du principe des nationalités, il cherche à se réaliser par une autre voie, dans le droit public. C'est en Autriche, où les nationalités sont arrivées au plus haut degré à la conscience d'elles-mômcs, que ce mouvement s'est tout dabord produit ; et ce sont les socialistes, déjà for- més au.K conceptions de solidarité, qui. les premiers, lui ont donné une expression juridique. Le Congrès de Brùnn, en 1899, marque sous ce rapport une date importante ('). Mais litlée, une fois reçue. ne reste pas le monopole d'un parli. plus ([u'elle ne demeure enfermée dans les limites d'un Etat. Elle est I. Voir i""* partie, chap. Ilf. Les dijUUuU4s du problème {\i formule do M. Rea- oer). 142 LA PROTECTION DES MINORITES reprise en Autriche, sous une autre forme, par les fédéra- listes, et néo-fédéralistes. D'Autriche, elle gagne les nationa- lités à demi conscientes de Russie. Délégués des Polonais, des Blancs-Russiens, des Géorgiens, des Arméniens, des Juifs se réunissent en 1907 en une Conférence des partis socialistes de Russie dans le but de rechercher les moyens « de garantir les droits des peuples formant la minorité de la population générale » Ce sont les Juifs de l'Est enfin, indé- cis jub.que-là sur la nature de leur caractère distinctif, qui se proclament « nationalité ») et reprennent pour leur compte la formule de M. Renner. De 1914 à 1919, ces conceptions sont passées de la théorie du droit public à la vie du droit international. Elles y sont arrivées par étapes successives. Admises dès 1915-1916 par les théoriciens du droit de Gens, puis en 1917 par les socia- listes, suffisamment éloignés des soucis politiques immédiats, eux aussi, pour ne point avoir à tenir compte des difficultés de réalisation, elles seront, au début de 1918. envisagées par les gouvernements à propos des juifs. Lorsque la Conférence de la Paix les aura adoptées, elles apparaîtront nécessaires, évidentes, comme si elles avaient toujours été. I. — Les Académiciens de la paix durable C'est pendant les guerres qu'ont été conçus la plupart des projets « de paix perpétuelle ». Le conflit de 1914 ne pouvait, à son origine, laisser soup- çonner les suites qu'il entraînerait ; mais, déjà, par son ampleur, il s'annonçait comme une grande liquidation du passé. La voie était ouverte aux constructeurs de systèmes. De toules les questions qui se poseraient devant le futur Congrès de paix, chargé de réorganiser l'Europe, celle des nationalités s'annonçai! comme une des plus graves, sinon la plus grave. Deux sociétés en firent l'objet spécial de leurs études : « L'Office des Nationalités », dont le centre fut Lausanne, LA GENESE u'UNE IDKE NOUVELLE 143 « l'Organisation centrale pour la Paix durable », qui eut son siège il La Haye. L'une et l'autre étaient fermement convaincues qu'une « paix (lural)le » ne pourrait (Hre fondée (jue sur des principes démocrati(|ucs et libéraux : droits des individus, droits des nationalités... L'orientation de leurs travaux fut différente. La première de ces sociétés chercha principalement à déH- miter les droits des différentes nationalités de l'Europe Orien- tale et de la proche Asie ; la carte établie [)ar ses soins est intéressante ; ses déclarations de principes, w^ilsonniennes d'inspirations, le sont aussi de forme. Au contraire, a rOrganisalion centrale pour la Paix du- rable », sans préjuger des résultats de la guerre, ni de la répartition géographique des Etats, tenta de préciser les règles de droit, qui, en toute éventualité, devraient s'imposer au vain»[ueur, quel qu'il fût. * « * Une première « Conférence des Nationalités » s'était tenue à Paris en juin 1915. Une seconde se réunit h Lausanne en 1910. C'est au cours de ces deux Conférences, (|ue fut élaboré un « projet de déclaration des droits des nationalités », qui, dans la pensée de ses auteurs, formait le complément nécessaire de la Déclaration des Droits de I Homme. Ce projet, après avoir reconnu les nationalités comme des « faits naturels » tentait d'établir la hiérarchie des droits, qui devraient leur appartenir (art. 0) : « Les droits inhérents aux nationalités com[)ortent des « modalités et des degrés, à savoir : les droits dérivant de « sa propre nationalité à garantir à tout homme, quel qu'il soit, « et en quelque lieu qu'il se trouve (droits universels, droits « de l'homme) ; le droit à l'autonomie, à garantir aux nalio- « nalités ou groupes différents composant un môme Etat M (administration autonome régionale ou locale, self-govern- « ment, autonomie municipale, scolaire, religieuse) ; puis « l'indépendance et la souveraineté nationale à garantir aux « nationalités homogènes érigées en Etats distincts ou aux 144 LA PROTECTION DES MINORITES « nationalités différentes, librement associées à d'autres, « pour former des Etats fédératifs ou unitaires ('). » M. Gabrys, dans l'opuscule qu'il a consacré à préciser cette déclaration, a défini, ainsi qu'il suit, le droit à l'auto- nomie : « A l'intérieur des Etats, les groupes ents nationaux ont Les prétentions des Juifs surexcitées, se heurtaient à l'intran- sigeance d'un M nationalisme romantique (') ». Engagée entre Polonais et Juifs dans une atmosphère de lièvre, la discus- sion ne semblait pas devoir aboutir à une entente. C'est alors que la Poale-Sion, s'adressant à l Internationale, jeta dans le monde son grand cri d'effroi. I . Die Juden im Kriege (Mémoire du Bureau Ceiilral de la Poale-Sion, au Bureau international socialiste La Hâve, iQiti^. a. Le S'Univcrsal du 20 nov. 1917 proclariiail que le peuple ukrainien « sau- < regardera fermement la liberté du (Jcveioppt ment national de tous les peujdcs « vivant en Ukraine. Nous déclarons par conséquent, (|uc nous reconnaissons aux « peuples russe, juif, polonais, le droit a l'autonomie nationale personnelle et « que le droit au self-government dans les limites de leur Nie nationale leur sera « garanti ». Cette promesse fut réalisée parla loi votée par la Hada centrale, le 9 janNicr 19 18 (art. a). 3. Le mot est de M. Roscnfcid. 154 LA PROTECTION DES MINORITES « Nous nous prononçons pour l'érection d'une Pologne unie « et indépendante, disait le Mémorandum remis par elle le « 6 août à la conférence de Stockholm ; mais nous devons en (c même temps exiger des sûretés et des garanties nationales « pour les droits de la population juive, prise individuellement « et en temps que nationalité. Enréclamant le corapletrenon- Après avoir établi ce programme. Max Nordau réclamait !a réunion d'un Congrès juif international, i)Our désigner la représentation juive à la Conférence delà Paix, avec des moyens financiers appropriés. Ainsi, dès août 1915, les revendications sionistes étaient fixées dans leurs trois grandes lignes. Peut-être mOme l'étaient-elles avant. Qu'il suffise de noter qu'à cette date, elles sont devenues le programme officiel du parti. Depuis lors, elles se préciseront et se développeront : mais la dis- tinction établie avec beaucoup de netteté par Nordeau sera maintenue. C'est sur le caractère national des Juifs iJans l'Europe Orientale, sur la nécessité de leur reconnaître des « droits nalionaux », (jue les Sionistes, dans les années suivantes, insistent le plus. A la Conférence des Nationalités, tenue à Lausanne en juin 1916, M. Zevi Aberson, représentant du Comité national juif de Suisse, résumera les aspirations juives en un mot ; « La première de nos revendications, c'est que l'on recon- « naisse enfin que nous sommes une naùonalilé, et non pas a seulement une confession religieuse ». Et, tirant les conclusions du principe, il ajoute : ... « Au moment où la nation polonaise va être appelée 41 à nouveau à disposer de son sort, nous demandons aux « Polonais de reconnaître, à cùté des droits individuels et « politiques des Juifs, les droits de la nationalité juive à « disposer d'elle-même en matière de culture nationale. , présidée par un frî^pç.iis et « chargée parle Conseil de9 chefs do gouvernement de fixer les statuts des « minorités cl de viser spécialement les garanties justifiées par la situalioa « cruelle d'inégalité et d'oppression dans lafpiolle les minorités juives ont clé « trop longtemps maintenues djns 1 Europe Orientale » {Le Temps, 8 juil- let >9i(j). 2 . Les délégués, chargés de porter les décisions de Philadelphie avaient .été choisis dans toutes les fractions du Judaïsme. C'étaient : Louis Marshal, de Haise, Culler, Mack, W^ochevski (ancien socialiste). 174 LA PROTECTION DES MINORITÉS Ghronicle »), élus dans des Congrès, ou autres assemblées populaires, tenus, tant dans les pays directement intéressés au problème des droits juifs, que dans ceux oii règne une liberté complète. Les organisations juives de France et d'Angleterre n'avaient pas concouru à sa formation. Mais Je Comité comp- tait des représentants des Juifs des Etats-Unis. d'Italie, de Pologne, de Roumanie, dUkraine, de Tchéco-Slovaquie, de Yougoslavie, de Lithuanie, de (Jonstantinople. .. Ceux des Etats-Unis y occupaient la première place : le président du Comité était le juge Juliau W. Mack, chef de la délégation américaine ; le trésorier, le colonel Harry Cutler. membre de cette délégation. Sa composition donnait au Comité le droit de parler a au nom de neuf millions de Juifs ». Une certaine conception de l'universel pouvait éclairer cette assemblée recrutée dans tous les pays, teintée de toutes les civilisations. Mis en pré- sence du problème, le Comité élargit le débat : il fit sa cause de la cause de tous les opprimés, de toutes les minorités nationales. Nous avons vu qu'en 1917, à la Conférence de Stockholm, la Poale-Sion avait agi de même. Cette tendance à considérer leur question du point de vue d'un libéralisme universel, est assez courante chez les Juifs : générosité ou habileté suprême ? Quoiqu'il en soit, en servant les autres minorités, ils se ser- vaient eux-mêmes-: leurs revendications élargies gagnaient en proiondeur et en force. Peut-être touchèrent-elles davan- tage les hommes sensibles à l'attrait des principes... Les premiers mémoires, qui parvinrent au Conseil Suprême furent ceux de V Alliance israéliie universelle ; ils sont datés du 20 février 1919, et visent, l'un, de façon générale, les Juifs de l'Europe orientale, lautre, de façon particulière, les Juifs de Roumanie ('). Deux jours plus tard, au nom du « Conjoint Foreign Com- 1. Voir ces mémoires dans le recueil de \' Alliance Israélite : « la Question juive devant la Conférence de la Paix », j). ii et suiv. LA CONFÉnENCE DE LA PAIX. LES THAITÉS 175 mittee », M. Lucien Wolfi' faisait parvenir deux mémoires conçus dans le même esprit ('). L' « Or^'anisation des Juifs d'Amérique » avait éj^alement fait connaître les décisions du Congrès de Pliiladel[)hie. Le 10 mai 1919, le Comité des Délégations juives adressait « à Leurs Excellences, M. le Président et xMM. les Délégués à (( la Conférence de la Paix », un mémorandum, dans lequel il défendait les droits des minorités (|ui, pour la plupart, s'ignoraient encore elles-mêmes ('). Ce mémorandum débutait par un préambule : « Le Comité « des Délégations juives auprès de la Conférence de la Paix, « agissant au nom des différentes organisations soussignées « et qui plaident pour neuf millions de Juifs, a l'honneur de « vous soumettre les propositions suivantes, dont l'objet est « la protection des diverses minorités iiationales, religieuses^ « ethniques ou linguistiques de Bulgarie. Es ihonie , Finlande , c« Grèce, Lithuanie, Pologne, Roumanie, Russie, Tchéco-Slo- « vaquie, Ukraine, Yougo-Slavie, et autres pays de l' Est et (I du Centre de l'Europe, et vous prie de vouloir bien les « incorporer dans les divers traités de paix qui font l'objet « de vos délibérations » ('). Suivaient i'énumération des droits à reconnaître à ces minorités et un exposé des motifs. Le traité proposé était rédigé dans les termes les plus généraux ; un seul article visait spécialement les Juifs ('). Le nom du pays signataire était laissé en blanc ; d'ailleurs le préambule indiquait que faculté était réservée aux auteurs des traités « de proposer' « telles modifications qui pourraient devenir nécessaires en I. Voir le texte de ces mémoires dans le Recueil de Documents étrangers (Ministère des Affaires étrangères et do la guerre), n° 46 du3i juillet igiQ. 3. Nous passons sous silence d autres mémoires, moins importants, comme, celui «des Juifs de l^aris, descendants des Juifs des pajs de l'I-^urope orien- tale », remis le i5 mai 1919. 3. Le texte du mémorandum a été publié par le Comité (10, rue Edouard VU à Paris). 4. L'art. 8, concernant le respect du Sabbat, 176 LA PROTECTION DES MINORITES « raison des conditions spéciales existant dans plusieurs des « pays ci-dessus désignés », Les droits reconnus aux minorités étaient rangés sous trois chefs : i° Liberté civile, religieuse et politique pour les individus. 2« Droits d'organisation et de développement pour les mi- norités nationales. 3° Egalité de statut pour les individus et pour les minori- tés nationales ('). Rentraient dans la première catégorie le droit à la natio- nalité de l'Etat (l'exemple cité est celui des Juifs roumains), la liberté individuelle, la liberté de conscience, l'absence de restrictions légales et le libre usage de la langue. Sous le chef n" 2, étaient rangés : le droit à l'autonomie scolaire, l'allocation à la minorité d'une part des fonds du budget de l'Instruction publique, proportionnée à son impor- tance^ le droit reconnu à la minorité d'imposer directement ses membres... « Sans ces droits, les Juifs, les Ukrainiens, les Lithuaniens « et autres peuples couraient le danger, à l'intérieur des « nouveaux Etats polonais, roumain, etc., de voir abolir <( leur ancienne civilisation, de voir détruire leurs écoles et « supprimer leur langue. En un mot, ils seraient obligés de se « résigner à une absorption totale » ('). L'égalité de statut pour les minorités nationales exige qu'elles contribuent, dans la mesure de leur importance rela- tive, à la formation des différents corps électifs de l'Etat, du département, de la commune... Ce sont les principes de « la représentation nationale proportionnelle » qui doivent ici trouver place. Enfin, venaient les garanties. Les obligations ci-dessus indiquées font partie de la loi constitutionnelle et ne peu- vent être amendées sans l'agrément de la Ligue des nations. « Tout signataire du présent traité, ainsi (|ue toute minorité I . Mémorandum, p. 6. a. Mémorandum, p. 7. En prenant à titre d'exemple les Ukrainiens, pour montrer les dangers (ju'unc oppression des minorités peut faire courir à une « civilisation », ii ne semble pas que le Comité ait fait uu choiii heureux. LA CONFÉRENCE DE LA PAIX, LES THAITÉS 177 « léséo parla violation ou la non-excculion (l'uno des dis[)o- ar le Conseil dans sa résolution du 27 juin 1921, voir III" partie, chap. \, les Garanlits d'exécution. 188 LA PROTECTION DES MINORITES « loppement de ces peuples forment une mission sacrée de « civilisation, et il convient d'incorporer dans le présent « Pacte des garanties pour l'accomplissement de cette mis- « sion. » Dans les projets d'organisation de ces pays, élaborés par les puissance mandataires, Ton retrouve exprimés les mêmes principes de liberté qui, en Europe, ont été inscrits dans les clauses de minorités. Ces principes sont plus ou moins développés, suivant le degré de civilisation des populations sur lesquelles doit s'exercer le mandat. Rudimentairesdans les projets de man- dats « C » (sud-ouest africain et certaines lies du Pacifique Austral) (') ils embrassent, dans les projets de Mandats « A v (Palestine, Mésopotamie, Syrie), non seulement la liberté de conscience, mais l'égalité, le respect des droits culturels et des usages locaux. « Le mandataire devra assurer à tous une complète liberté « de conscience et le libre exercice du culte sous toutes ses « formes, sous réserve du maintien de l'ordre et la moralité « publique. Aucune distinction, quelle qu'elle soit, ne sera « faite entre les habitants de la (Mésopotamie) à raison de « leur race, de leur religion ou de leur langue. (( Les langues indigènes de (Mésopotamie) seront ensei- « gnées et l'enseignement général sera donné dans ces « langues par les soins du mandataire. (( Le droit pour chaque communauté de maintenir ses M propres écoles pour l'instruction de ses membres dans sa « propre langue (tout en se conformant à telles conditions « d'ordre général que pourrait imposer Tadministration) ne « sera ni contesté, ni restreint (') ». I. Dans CCS projets de mandats, ils ne concernent que la liberté de coni- cience : Voici l'article 5 du projet de mandat anglais sur le sud-ouest africain allemand, reproduit dans les projets sur Samoa, Nauru... « Sous réserve des' « dispositions de la législation locale concernant le maintien de l'ordre public « et des bonnes mœurs, le mandataire assurera dans toute l'étendue du lerri- « loire la liberté de conscience et le libre exercice des cultes »... a. Projet de mandat sur la Mésopotamie (art. 8), sur la Palestine (art. i5). L\ CONFÉRENCE DE LA PAIX. LES THAITÉS 189 Une autre disposilion concerne le statut personnel des Musulmans et la situation juridique des Vakoufs('). d) Les Iraitt's des Soviets {Prélirninaires de fiiga) Les applications nouvelles des principes de protection des minorités mentionnées jusqu'ici ont eu lieu dans le cadre de la Société des Nations. En dehors de ce cadre, les mêmes principes ont inspiré le gouvernement des Soviets lorsqu'il a eu à traiter avec les Etats voisins. Voici, à litre d'exemple, l'article 4 des Préli- minaires de Riga signés le 11 octobre 1020 entre la Répu- blique de Pologne d'une part, la -République socialiste fédéraliste russe des Soviets et la République socialiste ukrainienne des Soviets de l'autre : « Les deux parties contractantes s'engagent à inscrire oc dans le traité de paix une stipulation assurant d'une part « aux citoyens polonais en Russie et en Ukraine les mêmes « droits leur garantissant le libre développement de leur cul- « ture, de leur langue et de leur culte que ceux dont jouiront « également les sujets russes et ukrainiens en Pologne ; « d'aulre part, aux citoyens russes et ukrainiens en Pologne, « les mêmes droits leur garantissant le libre développement « de leur culture, de leur langue et de leur culte, dont jouis- « sent les sujets polonais en Russie et en Ukraine. » I. Projet de mandat sur la Mésopotamie (art. 6), sur la Palestine (art. 9). "Voir III' partie, chap. VI : l' Aulonoinie : les Musulmans dans les Etais chrUiens. CHAPITRE VIII LE PRINCIPE DE PROTECTION DES MINORITÉS ET LES TRAITÉS DE 1919-1920 Inspirées du môme esprit, identiques par leur mécanisme et par leur fond, ne différant entre elles que dans leurs moda- lités, les clauses de minorités de 1919-1920, qu'elles soient insérées dans les traités de Paix ou qu'elles constituent des traités spéciaux, forment un ensemble et un tout. Elles appa- raissent moins comme des actes séparés, que comme les cas d'application d'un principe général. C'est ce principe qu'il est intéressant de saisir et de fixer exactement, au point de son histoire où nous sommes parvenus. I Au cours de leur développement, les clauses de minorités ont successivement répondu à divers concepts juridiques. Les premières, nous l'avons vu, figurent dans des traités de ces- sion et ne concernent que les habitants des territoires cédés (traités d'Oliva, de Nimègue, de RysAvick) ('). A Vienne, l'auto- rité internationale d'un Congrès se substitue à l'accord con- tractuel de deux Etats. Mais, le concept juridique reste le même Comme les précédentes, les clauses de Vienne, qu'elles concernent les libertés religieuses (') ou les libertés natio- nales (') ne s'appliquent qu'aux territoires dont les traités ont disposé. 1 . Voir plus haut, ae partie, chap. P"". 2. Belgique, habitants de la Savoie décédés à Genève) voir plus haut, 3g partie, chap. I. 3. Les Polonais (art. l^"" de l'Acte final du 9 juin i8i5) : Cet exemple est par- ticulièrement significatif. Le Congrès a procédé à un quatrième partage de la Pologne II stipule que « les Polonais, sujets respectifs des Hautes Parties Gon- LES TRAITÉS DE 1919-1020 191 Dans toute celte phase de leur développement, les clauses de raiiioiités sont strictement territoriales. Assez exactement, on pourrait les définir : des servitudes grevant certains lerri-i toires à l'occasion du cliangt^ment de leur statut politique. Les principes contenus dans les clauses du traité do Berlin atteignent à une généralité et à une abstraction nouvelles. Il ne s'agit plus, comme par le passé, de libertés religieuses, mais de la Liberté de coiscicnce, principe de gouvernement. L'abstraction du principe est inconciliable avec le territoria- lisme dans l'application. De fait, ce n'est plus seulement à des territoires que ces clauses s'appliquent, mais à des Etats et non seulement à des Etats « créés >^ (Serbie, Roumanie, Monténégro), mais, à la Turquie démembrée (')• Appelé à prendre la parole au Congrès de Berlin, au sujet de la Serbie, M. Waddington expose Targumentalion, qui légitime l'établissement de ces clauses. (( La Serbie, dit-il, qui demande son admission dans la « famille européenne sur un pied d'égalité avec les autres « Etats doit préalablement accepter les principes qui sont à « la base de l'organisation sociale dans tous les Etats d'Eu- « rope » ('). Une conception nouvelle se fait jour ici : celle d'un lien | •f nécessaire entre l'ordre international et l'ordre social dans < l'Etat. Les Etats d'Europe forment une famille, non seule- \ « traclanles obtiendront des institutions qui assurent la conservation de leur « nationalité ». Il s'agit là des Polonais que les Hautes Parties contractantes tiennent du nouveau partage, non do ceux qu'elles tiennent de partages antérieurs ; pour la Russie, des Polonais du Grand Duché de Varsovie, non des Polonais de Lilhuanie. Le Tzar garde, à l'égard de ces derniers, sa pleine liberté d'action. C'est spontanément qu'il leur accordera, s'il le veut, le même régime qu'à leurs voisins. Aussi, le traité se borne-t-il à reconnaître, « Sa Majesté Impériale se réserve de donner à cet Etat (la Pologne) jcu.ssant d'une administration distincte, « l'extension intérieure qu'elle jugera con- venable » (voir a* partie, ch. III). I. Article 63 du traité de Berlin, voir plus haut, a* partie, chapitre l". a. Protocole du a8 juin 1878. 192 LA PROTECTION DES MINORITES ment parce qu'ils pratiquent dans leurs rapports mutuels cer- taines règles communes du Droit des Gens, mais encore parce qu'ils appliquent, chacun à sa propre organisation, certains principes communs de droit public (*). Cette nécessité d'harmonie se fait sentir davantage à mesure que se resserrent les liens internationaux. Il est donc logique qu'elle apparaisse dans toute sa force, lorsqu'à une union relâchée, qui ne se manifeste qu'à de longs intervalles, tend à se substituer, entre les Etals, une union permanente et stable. Dans les déclarations qu'il consacre, au cours de la guerre, à Tinstaurationde la Société des Nations, le président Wilson revient sans cesse sur cette idée : « Une Union solide pour la « Paix ne peut être établie à moins que toutes les nations « démocratiques y coopèrent. » Elle ne peut être fondée qu'entre peuples libres ; sur les bases sûres de la Uberté politique ('). Et, \)ar gouvernement démocratique, dans ces mêmes décla- rations, le président définit ce qu'il entend : un gouverne- ment démocratique est « celui qui reçoit tout son pouvoir « du consentement des peuples gouvernés » ; qui donne à tous ses sujets « des chances équitables de vie et de liberté » ; qui leur reconnaît le droit « de choisir leur manière de vivre 1. Celle initialive a élé criliquée par les auteurs, parlisans de la non-iuler- venlion dans les afTaires iiilérieures des Etals : « Dès qu'un Etat observe le» « règles du droit dans ses rapports avec les autres Etals, écrit M. Louis Renault, « il doit pouvoir se gouverner et s'adminisirer comme il l'entend, sans que « d'autres Etats aient la prétention de lui imposer des lois sur des matières qui « ne les regardent pas... Si la Serbie, le Monténégro et la Roumanie réunissent « les éléments essentiels qui font les Etals souverains, ils doivent être reconnus « comme tels, quelle que soit leur manière de voir en ce qui touche la liberté «religieuse, raccessibilité aux fonctions publiques, etc... (fiitroduclion à ï Elude du Droit inlernalional. Paris, 1879, p. a5). Voir plus haut lu Théorie de non-inlervention, V partie, chap. IV, la Solution internationale. '>.. Discours du 23 janvier 191 1, Message au Congrès du a avril 1917' Réponse au gouvernement de la Russie du 10 juin 1917. LES TKAITÉS DE Illl9-t920 193 et (J'cHre », leur garanlit u l'existence, le culte, le développe- « ment social et industriel » ('). Les clauses de minorités de 1919-1920, qui ne sont que la mise en œuvre de celte conception du droit public, se rat- tachent par leur principe à l'existence même de la Société des Nations, comme elles en dépendent dans leur application. n Il semble donc que ladoplion des principes qui y sont con- tenus eût dû constituer une obligation pour tous les Elats^ du moins pour tous les Etats, membres de la Société... C'est ce que proposaient le parti socialiste ') et certaines associations pour la Société des Nations ('), en émettant l'avis, soit que ces principes fissent l'objet d'une déclaration générale, soit qu ils fussent incorporés au Pacte. La première rédaction du Pacte contenait dans cet ordre d'idées un article relatif à la liberté de conscience (;). Cet article n'a pas été reproduit dans la rédaction définitive. 1. id. a. Les propositions du [)arli socialiste à la Conférence de Berne. Voir plus haut, la Genèse d une idée nowelle (^le socinlisine), cliap. ^ , p. i55. 3. Par exemple, la Conférence cie Berne pour la Société des Nations propo- sait ramendcmciil suivant à 1 article 2*) du premier projet de pacte de Paris. « Enfin, la Société des Nations doit aussi, dans linrérêt du droit des peuples « à disposer d'eu\-mènies, prendre des mesures dans sa constitution pour assu- « rer la protection des minorités. « Le règlement di toutes les questions territoriales doit avoir lieu sur la base « du droit absolu d'autodisposilion. Les minorités nationales dans tous les Etals «doivent jouir d'une protection internationale détaillée. Des mesures sont « aussi à prendre contre les bo)cotts nationaux >» (Cité [)ar M. Otto Opet, der Schal: der nationalen Minderheilen, p. sS). 4. Projet de rédaction de larticle a i du pacte : « i>es Hautes Parties contractantes sont d'accord pour déclarer qu'aucune « entrave n'inlerNicndra dans le libre exercice de toute croyance, religion ou v< opinion, dont la pratique n'est pas inconciliable avec 1 ordre public cl les « bonnes mœurs, et que, dans leur juridiction respective, nul no sera troublé « dans sa vie, sa liberté ou sa poursuite au bonheur, eu raison de son adhésion à « telle croyance, religion ou opinion. » Le représentant du Japon proposa l'amendement suivant à cet article : <» L'éga- « lité' des nations étant un principe fondamental de la Société des Nations, « les Hautes Parties Contractantes conviennent d'accorder, aussitôt »jue pos- «. sible, à tous les étrangers, nationaux des Etals, membres de la Société, ua 194 L\ PROTECTION DES MINOUITÉS Dans l'état actuel du droit, ces libertés publiques ne se trouvent affirmées que dans les traités et sections de traités relatifs aux minorités : ceux-ci au nombre de dix. , Gomment expliquer qu'elles ont été imposées à ces dix Etats, et à ces dix Etats seuls ? * * « Dans sa lettre à M. Paderewski, le président de la Confé- rence de la Paix exposait « les considérations qui ont guidé « les principales puissances alliées et associées, lorsqu'elles « se sont occupées de la question ». Après s'être réclamé des précédents du traité de Berlin, il ajoutait plus spécialement à l'égard du traité actuel : « A ce sujet, il me faut également rappeler à votre atten- « tion que c'est aux efforts et aux sacrifices des puissances, (( au nom desquelles je m'adresse à vous, que la nation polo- « nnise doit d'avoir recouvré son indépendance... C'est grâce à « leur décision... (j'est de l'appui de leurs ressources... etc. .. « De là, vient donc, pour ces puissances, l'obligation à « laquelle elles ne sauraient se soustraire, d'assurer dans « la forme lapins durable et la plus solennelle, les garanties 7 « de certains droits essentiels, qui donneront aux habitants (( une protection nécessaire » ('). Une argumentation semblable peut s'appliquer aux Etats créés et agrandis, mais ne s'applique qu'à eux. D'ailleurs, c'est à eux seuls que la lettre de M. Paderewski fait allusion, soit qu'elle mentionne les conventions précédentes (-), soit « traitement juste et égal à tous points de vue, sans faire aucune distinction en « droit et en fait, à raison de leur race ou de leur nationalité. » L'article 2i fut abandonné dans son ensemble, 1. Lettre à M Paderewski (§ a). La lettre à M. Paderewski est divisée en 7 paragraphes : 1° Rappel des précé- dents à ce traité (reproduction du protocole de Berlin du 28 juin 1878); a" raisons qui justifient, dans les circonstances présentes, l'attitude des puissances,à l'égard de la Pologne ; 3° garantie de la Société des Nations ; 4° modalités des traités de minorités ; 5" commentaires des clauses du traité avec la Pologne ; 6° clauses spéciales aux Juifs ; 70 clauses économiques 3. « C'est une procédure depuis longtemps établie en droit public européen « que lorsqu'un Elal esl tréc, ou même lorsqu'un Elal déjà existant reçoit des « accroissements territoriaux considérables, sa reconnaissance collective et formelle LES TRAITÉS DE 1919-1920 195 quelle envisage les clauses à intervenir ('). Elle laisse hors du champ de son raisonnement, dans le passé l'article C2 du traité de Berlin, dans le présent les sections des traités de paix. Trop étroite dans la forme (4ui lui a été donnée, cette argumentation conduit cependant aune constatation générale. Si les Etals auxquels des clauses de minorités ont été impo- sées ne sont pas tous des Etats « créés » ou « agrandis », tous ils sont des l'^tats dont la Conférence de la Paix a remanié le statut terrilorial. Entre les deux faits, un lien d'idées sub- siste : non plus cette correspondance étroite, qui faisait des premières clauses do minorités dans le plein sens du mot, des servitudes territoriales ; mais un lien d'ordre plus géné- ral : la respousabitité qui incombe à la Conférence sur l'en- semble de son œuvre créatrice. * » Imposées seulement à des Etats dont le statut a été modi- fié, les clauses ne l'ont pas été à tous. Ne se trouvent pas à cet égard liées par une obligation positive, parmi les Etats alliés, les Principales Puissances, parmi les Etats ex-enne- mis, l'Allemagne : tous cependant, soit du fait de conditions antérieures aux traités, soit de par les traités eux-mêmes, contiennent des minorités. Eu ce qui concerne les principales Puissances Alliées, la lettre à M. Paderewski répond par avance à l'objection. Elle M dcsGrandes Puissances est accompagnée de l'assurance que cet Ktal s'engagera, « sous forme d'une convention internationale, à observer certains principes de « gouvcrneraonl. Ce principe, pour lequel il existe de nombreux préctidenls, a reçu « son application la plus manifeste lorsque la souveraineté indépendante de la « Serbie, du Monténégro, et de la Roumanie a été reconnue par la dernière grande « assemblée des Puissances européennes au Congrès de Berlin » (I^etlre à « M. Paderewski, Si). I . ... « Celle clause (art. 98 du traité de Versailles) oe s'applique qu'à la « Pologne, mais une clause semblable assurent l'application des mêmes prin- « cipes à laTchéco-Slovaquie, et d'autres clauses ont été insérées dans les traités « avec l'Aulriclie et seront insérées dans les traités avec la Hongrie et la Bul- * garie pour imposer do seipblables obligations aux autres Hlals 'luxifucls divers « traités assureront d'importantes accessions de territoires » (i«i., § a). 196 LA PROTECTION DES MINORITES spécifie : « Etats créés », ou recevant des c< accroissements considérables » .^Et le mot a considérables » replacé dans le texte, semble désigner des accroissements assez importants pour transformer l'Etat, non seulement dans son statut terri- torial, mais dans son équilibre politique ('). En ce sens aucune des Principales Puissances n'a reçu du fait des Traités « d'accroissements considérables ». . . D'ailleurs, appelées comme Membres permanents du Conseil de la Société des Nations à assurer l'observation des clauses, ces Puissances pouvaient difficilement s'engager les unes à l'égard des autres, dans les mômes termes qu'elles obligeaient les autres Etats... Il est plus difficile d'expliquer l'absence de clauses de mino- rités dans le traité avec l'Allemagne. L'Allemagne contenait des minorités dont le nombre pouvait s'accroître par suite du résultat des plébiscites prévus par le traité de Versailles. Si les principes^ dont les clauses sont l'expression, avaient déjà fait partie de son droit public, il eût été inutile au Con- seil de la Société des Nations, d'en « recommander » l'appli- cation dans la région de Haute Silésie qui lui est revenue. Etait-ce par respect pour son prestige de « Grande Puis- sance » qu'une obligation positive lui fût, à cet égard, épar- gnée ? Ou bien, voulues et préparées par les Juifs, les clauses ide minorités furent elles à l'origine, comme on l'a dit parfois, 'surtout des clauses de protection pour les minorités juives, '«t ne devinrent-elles générales qu'après coup et comme accessoirement ? III Les Traités ou sections de traités relatifs aux minorités contiennent des principes généraux de gouvernement. Mais I. Dans la rédaction de la lellre en effet, les Etats qui ont reçu des accroisse- ments territoriaux considérables sont pleinement assimiles aux Etats créés : « C'est une procédure depuis longtemps établie... que, lorsqu'un Etat est « créé, ou même lorsqu'un Etat déjà existant reçoit des accroissements territo- « riaux considérables, sa reconnaissance colleclivc el Jormelle des Grandes Puis- « sances doit être accompagnée ». LES TMA1TÉ3 DE 1919-1920 107 toutes \ps obligations qui y figurent — mônaes celles qui sont reproduites dans tous les traités — ne présentent point ce caractère. . . La délirailalion entre elles est clairement établie dans les traités avec la Grèce et l'Etat Serbe-Croate Slovène, où il est spécifié que les unes sont applicables sur l'ensemble du domaine de l'Etat, les autres sur les seuls territoires acquis par les Etals à la suite de la dernière répartition. Les clauses de seconde catégorie — servitudes territoriales dans ce cas — doivent être, de façon générale, considérées comme des clauses de sagesse et de prévoyance politiques, au même titre par exemple que l'article premier de l'Acte final du Congrès de Vienne, concernant les droits nationaux Polo- nais. Quant aux premières, il faut bien leur reconnaître une valeur supérieure. En imposant à dix Etals, dans les mêmes termes, les mêmes principes de Gouvernement, les auteurs des Traités ont accompli une œuvre, dont la portée dépasse le champ immédiat des applications : ils ont posé les prin- cipes qui, dans le monde de 1920, font partie du Consensus Gentium ('). I. Voir I" partie. Gh. IV. La solution internationale. J. Fonques-Dupare IS TROISIÈME PARTIE LES TRAITÉS ACTUELS ET L'APPLICATION DES PRINCIPES Sources, lacunes kt solutions possibles CHAPITRE PREMIER LES DISPOSITIONS DES TRAITÉS DE 1919-1920 I « Poser un principe, faire une loi, écrit M. Renner, c'est «bien facile ! Mais, faire une loi qui soit applicable et qui « réponde à sou objet, c'est là qu'est la difficulté ! ». Les principes contenus dans l'arlicle 19 de la Gonslitution autrichienne de 18(37 étaient simples. Une longue expérience des problèmes nationaux en ce pays avait instruit M. Renner de leurs difficultés d'application. Son analyse, nous l'avons vu, ramenait ces difficultés à une difficulté fondamentale : celle qu'il y a à concilier le caractère personnel des droits reconnus aux nationalités avec le « territorialisme » de l'ad- nainistration de l'Etat, sans le concours de laquelle ces droits ne peuvent s'exercer : d'où, la nécessité de recourir, dans la pratique, à des solutions transactionnelles, do plus en plus complexes à mesure que l'on tente de serrer de plus près la question: localisation des droits nationaux ; assouplisse- ment de l'administralion de l'Etat ; création, à côté de l'admi- nistration de l'Etal, d'administrations nationales (')... A ces difficultés, inhérentes au problème, s'ajoutent, dans le cas d'une protection par traités, celles qui découlent de la nature internationale de la solution. Sans méconnaître les droits fondamentaux de l'Etat, un traité ne peut, ni se subs- tituer à lui, en légiférant directement pour certains do ses membres, ni s'ingérer dans son organisai ion intérieure. Il ne peut donc (pie poser les règles, dont l'Etat aura à s'inspirer, pour adapter à la situation particulière des minorités les principes de sa législation d'ensemble. Des règles établies de i.Voir I" partie, chapitre III, les diOkuUs du problème, lu formule ar 1 Allemagne. 204 LA PROTECTION DES MINORITES les droits religieux des Musulmans, c'est le problème qui ne s'est présenté que dans ce cas ; tantôt, comme pour l'autono- mie accordée à certains groupes ethniques, c'est moins le problème que la solution qui mérite d'être considéré comme exceptionnel. III Depuis que les traités, où sont contenues les clauses de minorités, ont été signés, il s'est accompli tout un travail, soit dans la législation interne des Etats signataires, soit par convention entre eux, pour fixer les modalités d'application de ces clauses. Ces conventions et ces lois interprétatives fournissent un élément de précision, dans l'étude des dispo- sitions des traités. Parmi les conventions, il faut signaler : la Convention gréco-bulgare du 27 novembre 1919 sur l'émigration réci- proque ; le traité de Brûnn du 7 juin 1920 et la Convention additionnelle de Carlsbad du 23 août entre la Tchécoslova- quie et la République d'Autriche; le traité de Prague du 29 novembre 1920 entre la Tchécoslovaquie et la Pologne. Les traités de Brûnn et de Prague se sont occupés plus spé- cialement des questions de nationalité et d'enseignement. Dans l'ordre législatif, nous nous référerons de préférence aux lois de la République tchécoslovaque, qui sont des plus complètes et des plus libérales. Il faut citer comme les prin- cipales : la loi sur l'acquisition et la perte de la nationalité et de l'indigénat du 9 avril 1920 ; la loi constitutionnelle et la loi de langues du 29 février 1920 ; la loi sur l'enseigne- ment du 3 avril 1919 et celle sur l'administration des écoles du 9 avril 1920 ; la loi électorale du 23 février 1920 ('). Les traités avec la Turquie, la Grèce et l'Arménie, n'ayant point été ratifiés, les dispositions qui s'y trouvent n'ont pu faire l'objet de lois interprétatives. Certaines de ces disposi- tions, comme on le sait, ne figurent q.ue dans ces traités ; sur ces points, l'on est donc réduit à rechercher des indications, I. L'on a utilisé ici les Iradiiclions allemandes des lois tchécoslovaques (col- eclion Stiepel et collection « Prager Archiv »). LES DISPOSITIONS DES TRAITES DE 1919-1920 205 soit dans les travaux tlit''ori(Hies, soit dans les lois, qui, en d'autres temps ou en d'autres lieux, ont eu à résoudre des problèmes similaires. IV Pour faire des clauses de minorités des traités de 1919-1920 une étude d'ensemble, nous suivrons l'ordre des revendica- tions minoritaires, qui est celui de la logique. Avec elles, nous irons du simple au complexe, des droits individuels aux droits collectifs ('). A l'origine du problème, se trouve l'acquisition par les membres de la minorité de la nationalité de l'Ktat. S'ils ne sont point ressortissants de l'Etat, ils ne constituent pas de minorités au sens exact du terme. Puis viennent les droits individuels : libre exercice du culte, libr« usage de la langue, oralement, par écrit et devant les tribunaux; puis les droits culturels; ceux-ci, parleur caractère mixte, conduisent à l'étude des droits collectifs proprement dits : autonomie, défense de la situation écono- mique et sociale de la minorité , représentation proportion- nelle. Le problème des réparations pour les dommages causés aux minorités n'a été traité qu'à l'égard de la Turquie ; il mérite cependant d'être envisagé, tant en lui-môine, que pour la généralisation qui peut ou qui pourrait éventuelle- ment en être faite. Les garanties d'exécution des traités sont la conclusion naturelle de cette étude ; elles clôturent l'édifice, comme elles en constituent l'assise. I. Voir I'* partie, ch. II : le Problème des minoriti'i. CHAPITRE II ACQUISITION DE LA NATIONALITE ET EMIGRATION RECIPROQUE Lorsque l'on étudie le problème qui nous occupe, deux solutions s'offrent à l'esprit : Ou bien assurer aux membres des minorités une place dans l'Etat auquel le sort les a liés, leur y garantir certains droits, qui leur permettent de vivre, en tant qu'individus et en tant que collectivité ; ou bien leur donner des facilités de regagner l'Etat, auquel ils se rattachent par la race, la langue ou la religion. Dans le premier cas, on traite le problème ; dans le second on l'évite. L'acquisition de la nationalité est l'introduction à la première solution ; l'émigration constitue la seconde. Ces deux conceptions ont trouvé place dans les traités. Nous les étudierons tour à tour. A. — Acquisition de la nationalité L'exemple des Juifs roumains suffirait à prouver que les règles régissant la nationalité ne sauraient être trop précises dans les traités, dont l'objet est de protéger les minorités. (*) Cette question, dans les traités de paix, était rendue com- plexe par les nombeux remaniements territoriaux. Il fallait éviter à tout prix que les individus pussent de ce fait se trou- ver sans nationalité. Cette préoccupation domine les disposi- tions que l'on trouve dans les traités de minorités pour les Etats alliés, et, pour les Etats ennemis, dans les traités de paix, soit au chapitre de la protection des minorités, soit à celui de la nationalité, soit dans les clauses politiques. Les traités ont admis deux critères pour déterminer la I. Voir le cliapiire sur les Juifs Roumains : 2' partie, chap. II. ACQUISITION DE I.A NATIONALITÉ 207 nationalité de l'individu : rétablissement actuel et la naissance; d'autres clauses visent les « Ilciniallosen », c'est-à-dire ceux qui, dans l'avenir ou dans le présent, risqueraient d'être exclus du béuéfice des dispositions précédentes. I. — Jus soli Le [)rinci[)e est fort simple. L'individu suit de plein droit le sort du territoire sur lequel il est établi, son établissement étant déterminé, suivant la législation des Etals, soit par le domicile, soit par l'indigénat ('). Si l'individu habite un territoire qui reste soumis à la même souveraineté, il conserve sa nationalité ('). S'il habite au contraire un territoire qui a changé de statut poliliipie. le lien d'allégeance qui l'unissait à l'ancien souve- rain territorial est rompu (') ! Un nouveau lieu d'allégeauce vient s'y substituer, l'unissant au souverain territorial nou- veau (*). I. L'iiidfgénat sert de règle dans les pays qui faisaient partie de l'ancienne Aulriclic (dislcilhanie), soit : l'Autriche Allemande, la Tchccoslovaquie, une partie de l'Etat Serbe-croate slovène, le Trentin. L'indigénat avait été organisé par la loi du 5 décembre 1896. Il était accordé à tout individu, qui, après avoir obtenu l'admission de séjour dans la commune (Eigenberechtigung) avait accompli un séjour de dix ans « volontaire et interrompu ». (art. 3). Les fonctionnaires obtenaient de plein droit l'indigénat du jour de leur entrée en fonction dans la commune (art. lo). On ne saurait mieu\ définir l'indigénat, qu'en l'appelant une <( nationalité communale ». a. « L('.\.utriclie) reconnaît comme ressortissants (autrichiens) de plein droit « et sans aucune formalité toutes les personnes ayant l'indigénat (le domicile) « sur territoire (autrichien) à la date de la mise en vigueur du présent Traité, et « qui ne sont pas ressortissants d'un autre Etat ». Traités avec l'Autriche (art. O'i). la liulgarie (art. 50 la Hongrie (art. ôG). 3. « Toute personne ayant l'indigénat (le domicile) sur un territoire faisant « partie antérieurement des territoires de l'ancienne monarchie austro-hongroise, « acquerra dcplein droit et à l'exclusion de In nalioniilité autrichienne, la nationa- le lilé de l'Etat exerçant la souveraineté sur le dit territoire. Traités avec l'.Yu- « triche (art. 70), avec la Bulgarie (art. 3() et 44). avec la Hongrie (art. 61) « avec la Turquie (art. la'J). /i. « La Pologne reconnaît comme ressortissants (polonais) do plein droit et « sans aucune formalité, les ressortissants (allemands, autrichiens, hongrois ou « russes) domiciliés (ayant l'indigénat) à la date de la mise en vigueur du pré- 208 LA PROTECTION DES MINORITES Il y a lieu cependant de faire une réserve relativement â rapplication de cette règle générale. L'individu n'acquiert de plein droit une nationalité nouvelle, que si son établissement (indigénat ou domicile) sur le territoire cédé présente une certaine ancienneté. La date prise comme point de départ varie d'ailleurs d'un traité à l'autre : c'est le l^r janvier 190S pour les ressortissants allemands établis sur le territoire de la nouvelle Pologne (') ; le l^- janvier 1910 pour les ressor- tissants autrichiens ou hongrois sur les territoires transférés à la Tchéco-Slovaquie et à l'Etat Serbe-Croate-Slovène (^) ; le !«'' janvier 1913 pour les ressorlissants bulgares sur les ter- ritoires transférés à ce dernier Etat et à la Grèce f), aucune condition de date dans le traité avec la Turquie. En établissant cette distinction, les traités ont voulu, semblc-t-il, éviter qu'une nationalité nouvelle fût acquise de plein droit par des individus, pour qui l'établissement ne pourrait être interprété comme un signe d'attachement au pays mais résulterait d'un hasard, parfois d'une politique de nationalisation (Allemands en Pologne Prussienne). Lorsque l'établissement est postérieur aux dates indiquées- plus haut, la nationalité ne s'acquiert que sur la demande de l'individu et après autorisation de l'Etat : « Si l'autorisation « n'est pas demandée ou est refusée, les intéressés acquer- « ront de plein droit la nationalité dans lequel ils avaient pré- « cédemment leur indigénat (domicile) (*). * « seul traité sur le territoire qui est ou sera reconnu comme faisant partie de « la (Pologne) ». Traités avec la Pologne, la Tchécoslovaquie, l'Etat Serbe-Croate Slovène, 1» Roumanie, la Grèce (art. 3). I. Traite de Versailles (art. 91). 3. Traité de St-Gcrmain, (art, 7!) et traité de Trianon (art. 62). 3. Traité de Neuilly (art. 89 et ^4). 4. Traité avec l'Aulriclie (art ^7), la Hongrie (art Ca). ACQUISITION DE L\ NATIONALITÉ 209 Les personnes (lui, du fait de leur établissement actuel, «e voient imposer en quelque sorte, une nationalité nouvelle, possèdent un droit d'option. Pourvu qu'elles remplissent cer- taines conditions d'Age (il faut quelles aient plus de dix-huit ans), elles ont le droit d'opter, disent les traités avec les Etats alliés dans leur article 15, « pour toute autre nationalité qui « leur serait ouverte ». Quelles sont ces nationalités ? La réponse diffère suivant les traités de paix. En laissant -de côté une disposition très générale que nous étudierons plus loin, ces nationalités sont : pour les ressortissants autri- chiens et hongrois, « celle de l Etat, dans lecjuel ils avaient leur « indigénal (domicile) avant d'acquérir l'indigénat (domicile) « dans le territoire transféré » ('), pour les ressortissants Bul- gares « la nationalité bulgare •> (') pour les ressortissants ot - tomans, « la nationalité ottomane » ('). Les délais d'option sont d'une année dans les traités de paix avec l'Autriche et la Hongrie (*) ; de deux ans dans les traités avec la Bulgarie et la Turquie Ç). Nous verrons plus loin les conséquences de l'option. II. — La naissance L'individu peut acquérir de plein droit une nationalité nouvelle, dans un second cas : celui où il est ué dans un ter- ritoire transféré par les traités, de parents y étant domiciliés (ou y ayant l'indigénat), « encore qu'à la date de la mise en « vigueur du présent traité il n'y soit pas lui-même domici- « lié » (ou n'y ait pas l'indigénat) (s). Le premier cas n'envisageait que le fait brutal : l'établis- sement actuel. Le second, prenant en considération les doux faits : naissance de l'individu et établissement des parents, I. Traité avec l'Aulrichc (art. 78), la Hongrie (art. 63). Q. Traité avec la Bulgarie (art. 4o et 45). 3. Traité avec la Turquie (art. la'j). 4. Traités avec 1 Aulriclie (78) et la Hongrie (art. 63). 5. Traités avec la Bulgarie (art. 4o et 45) et avec la Turquie (art. la'i). C. Traités avec la Pologne, la Tchécoslovaquie, l'Etat serbe-croato-slovène, la Roumanie et la Grèce (art. '1). 210 LA PROTECTION DliS MINORITES en tire une présomption en faveur d'un attachement en quelque sorte héréditaire, de l'individu à une région : rien de plus légitime. Mais, dans l'application, cette disposition va fréquemment se lieurler à la précédente, et créer un conflit de nationalités. Prenons un exemple t^imple : un ressortissant autrichien est né dans les Sudètes de parents, qui y avaient leur indigénat; lui-même, à la signature du traité de Saint- Germain, a son indigénat dans quelque ville d'Autriche allemande. Cet indi- vidu a deux nationalités : la nafcionalité autrichienne, du fait de son indigénat personnel (art. 64 du traité avec l'Autriche), la nationalité tchécoslovaque du fait de sa naissance (art. 4 du traité avec la Tchécoslovaquie). Aucune disposition ne se trouve dans les traités, lui permettant de rejeter la nationalité autrichienne. * •* C'est pour régler les conflits semblables, qui s'annonçaient, que le traité de Brûnn, signé entre l'Autriche et la Tchécoslo- vaquie, a été amené dans son article 6 à établir des distinc- tions par catégories d'individus : Ce faisant, il n'a pas simplement interprété les dispositions des traités de Sâint- Gerraain ; il a fait œuvre créatrice. Article 6... (2). — « Les personnes visées par l'article 4 du « traité avec la République tchécoslovaque sont, dans ce but, « réparties en trois groupes : (3) « Le pi'emier groupe est formé des personnes, qui ont « acquis l'indigénat dans une commune de la République « d'Autriche, antérieurement au 28 octobre 1918 Pour ces « personnes, cet indigénat sert de règle, c'est-à-dire : l'ar- « ticle 64 du traité avec l'Autriche leur est appliqué. (4) i- Au deuxième groupe^ appartiennent, sous réserve de « ce qu'elles aient, à l'entrée en vigueur du présent traité, « leur résidence habituelle dans la République d'Autriche : a) Les personnes, qui, entre le 28 octobre 1918 et le 28 fé- « vrier 1919, ont acquis l'indigénat dans une commune au- « trichlenne ; b) « Les personnes, qui ont sollicité l'indigénat dans une ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ 211 « commune autrichienne antérieurement au 28 février 19VJ « et l'ont obtenu antérieurement -lu 'M octobre 1919. c) « Les personnes, (jui ont accompli, antérieurement « au 28 février 1910, la durée de séjour do dix ans exposée « dans le paragraphe 2 de la loi du 5 décembre 189()(U.-G.- « Bl, n° 222) dans une commune autrichienne, et ont, du fait « de ce séjour, acquis Tindi^trénat dans celte commune an- « térieurement au 31 août 1919. (5) « Pour les personnes appartenant au deuxième groupe, « l'indigénat sert également de règle ; cependant, dans le « délai d une année à dater du jour de l'entrée en vigueur du « traité avec l'Autriche, un droit d'option leur est ouvert en « faveur de la nationalité tchécoslovaque... » (7) K Au troisième groupe appartiennent les personnes qui « ne font partie ni du premier, ni du deuxième. Pour ces per- « sonnes, les deux paragraphes de l'article 4 trouvent leur a pleine application » {'). Nationalité autrichienne sans faculté d'option, nationalité autrichienne avec faculté d'option pour la Tchécoslovaquie, nationalité tchécoslovaque sauf répudiation sont les trois solu- tions, graduées suivant la force des présomptions d'attache- ment de l'individu à l'une ou l'autre patrie. 11 serait désirable, pour éviter des conflits auxquels con- duisent les dispositions des traités, que des arrangements du même ordre intervinssent entre les Etats qui se trouvent les uns vis-à-vis des autres, dans la même situation que les deux républiques signataires du traité de Briinn. L'individu ([ui a changé de nationalité par suite de l'ap- plication de l'article 4 des traités avec les Etats alliés peut répudier sa nationalité nouvelle. « Dans les deux ans qui suivront la mise en vigueur du pré- ci sent traité, ces personnes pourront déclarer devant les ft autorités (polonaises) compétentes dans le pays de leur rési- « dence, qu'elles renoncent à la nationalité (polonaise) et elles I. Traité de Briicin (art. G). 212 LA PROTECTION DES MINORITES « cesseront alors d'ôtre considérées comnae ressortissants « (polonais) ('). Elles suivront alors, de plein droit, le sort du territoire, sur lequel elles ont leur établissement. m. — Les lïeimatlosen Les traités, nous l'avons vu, dans leur souci d'assurer une nationalité à l'individu, lui en ont parfois attribué deux. Ils ont cependant été plus loin encore, et ont voulu prévoir et régler les cas, où, soit lors de la signature des traités, 5oit dans l'avenir, il pourrait y avoir des personnes sans natio- nalité. *^ * Dans le présent l'hypothèse pouvait se présenter pour les Etats agrandis. Ceux-ci s'engageaient à reconnaître comme ressortissants, ceux des ressortissants de l'Etat dont une par- tie du territoire tombait sous leur souveraineté, qui étaient établis sur ce territoire. Mais aucune disposition jusqu'ici ne concernait les territoires antérieurement possédés par eux.- Or, sur ces territoires aussi, il pouvait y avoir des individus sans nationalité ; nous touchons ici à une question spéciale : celle des Juifs roumains. L'article 7 du traité avec la Roumanie s'est occupé de leur situation : « La Roumanie s'engage à reconnaître comme ressortis- « sants roumains de plein droit et sans aucune formalité, les « Juifs habitant tous les territoires de la Roumanie, et ne « pouvant se prévaloir d'aucune autre nationalité. » * * * Pour l'avenir, il y avait le cas de tous les enfants naturels non-reconnus. Une disposition, insérée dans tous les traités, les concerne : I. Traités avec la Pologne et les autres Etals allies (art. 4, a* alinéa). ACQUISITION DE LA NATIONALITK 213 ft La nalionalilé (iiutricliicnue) sera acquise de plein dioit, « et par le seul fait de la naissance sur le lerriloire (aulrichien) « à toute personne ne pouvant se prévaloir, par sa naissance^ « d'une autre nalionalilé » ('). La rédaction de cet article n'est pas excellente. Le mot de « naissance » y est employé deux fois et dans deux sens différents. Aussi, le traité de Biiinn a-t-il cru devoir préci- ser : '( Les mots (|ui sont à la fin de l'article iVÔ (avec « l'Autriche) par sa naissance, d'une aulre nalionalilé, et « à la fin de l'article G (avec la Tchécoslovaquie) dune aulre ft nalionalilé de naissance, seront appliqués, non d'aprtîs « le système du lieu de naissance, mais d'après celui de la « filiation (Abstamniung) » ('). Le même article insiste sur le caractère supplétif de celte disposition : présomption j'uris, mais non de jure, qui ne vaut que tant que la preuve de la nationalité par la filiation n'a pas été faite. B. L'ÉMIGRATION L — L'oplion el les conséquences de i'oplion En même temps qu'ils assuraient h l'individu, contre un arbitraire possible, une situation légale dans l'Etat auquel lo rattachent ses intérêts, les traités ont voulu lui réserver la faculté de décider lui-même de son sort. Nous avons signalé plus haut une première application du droit d'option : celle qui concerne les personnes établies sur un territoire transféré, qui, de ce fait, changent de plein droit de nationalité. Celte disposition, (juc l'on trouve déjà dans de nombreux traités antérieurs, s'inspire du souci de respec- ter la liberté individuelle, et ne se rattache pas directement au problème des minorités. Une autre application du droit d'option, qui figure dans les traités de 1919-1920, se présente bien au contraire comme une solution ouverte à ce problème : elle permet aux indi- 1 . Traité avec l'Aulriclie (^art. 6") ), la Bulgarie (arl. 5a), la Hongrie (arl. 07), avec la Pologne et les Etats alliés (art. 0). 2. Traité de Brima (art. 5). J. Fouques-Duparc 14 214 L\ PROTECTION DES MINORITES vidus devenus « minorité » par suite de la répartition des territoires, de se regrouper dans les Etats suivant le principe des nationalités. « Les personnes qui ont l'indigénat dans un territoire fai- « sant partie de l'ancienne Monarchie austro-hongroise, » dit le traité, de Saint Germain. « et qui y diffèrent par la race et « la langue àe la majorité de la population, pourront, dans « le délai de six mois à dater de la mise en vigueur du pré- « sent traité, opter pour l'Autriche, l'Italie, la Pologne, la « Roumanie,- l'Etat serbe-croate slovène, selon que la majorité « de la population y sera composée de personnes parlant la « même langue et ayant la même race qu'elles » (*). Comme critère de la nationalité, les traités de Saint-Ger- main et de Trianon ont adopté « la race et la langue». « Les mots par la race et la langue, spécifie le traité de « Briinn, veulent indiquer qu'en règle générale, dans la pra- « tique, c'est principalement la langue qui doit être prise en « considération comme le signe le plus démonstratif du lien « national (Volkszugehôrigkeit) » ('). Le traité de Sèvres au contraire ne s'attache qu'au signe « race » ('). Quant au traité de Neuilly, il ne cherche pas à décomposer la nationalité en ses éléments constitutifs, et parle simplement « des Bulgares, ressortissants Serbes-Croates- Slovènes )) et des « Serbes-Croates-Slovènes, ressortissants Bulgares» ('^). * * * Une situation de fait doit suivre la situation de droit. Les personnes qui ont, aux termes de l'une des dispositions précédentes, opté pour une nationalité, autre que celle de l'Etat sur le territoire duquel elles sont établies, sont obligées de quitter cet Etat. 1. Traités avec l'Autriche (art. 80), avec la Hongrie (art. 04). Disposition du même ordre dans le traité avec la Turquie (art. 135), un peu dissemblable dans le traité avec la Bulgarie (art. Ao). 3. Traité de Briinn (art. 9). 3. Art. 125, op. cil, Ix. Art. Ixo, op. cit. ACQUISITION DK LA NATIONALITE 215 « Elles devront, dans les douze mois qui suivront, lians- « porter leur domicile dans l'Etat en faveur (1u(|upI elles « auront opté ('). » Les traités ont pris certaines mesures pour garantir le sort de leurs biens : « Elles seront libres de conserver les biens immobiliers « qu'elles possèdent sur le territoire de l'Etat, où elles « auraient eu leur domicile antérieurement ci leur option. « Elles pourront emporter leurs biens meubles de toute nature. « Il ne leur sera imposé de ce fait aucun droit de taxe, soit « de sortie, soit d'entrée (-). » Le traité de I3rûnn a interprété ces dispositions dans un esprit de grand libéralisme, en accordant à l'individu la faculté de revenir administrer son patrimoine, sans que ce séjour « évidemment momentané » puisse mettre en cause la bonne foi de son transport de domicile ('). IL — L'émigration réciproque {le traité gréco-bulgare) De telles mesures, propres sans doute à sauvegarder les droits individuels, ne sont pas suffisantes pour faciliter une émigration nombreuse. Les traités stipulent bien que les Etats « s'engagent à (( n'apporter aucune entrave à l'exercice du droit d'o{)tion «prévu» (*). Mais, en dehors même des entraves légales et administratives, il existe à l'exercice de ce droit, un obstacle matériel : tous ceux qui possèdent du sol, c'est-à-dire (outes les populations paysannes, sont pratiquement liés au lerri-^ toire, tant qu'ils n'ont pas ù leur disposition les moyens de réaliser leur capital immobilier. La liquidation des biens fon- I. Traités avec l'Autriclie (art. 78), avec la Bulgarie (art. ^o et 4"»!. avec la HoDgrie (art. 03), avec la Turquie (art. ia6), avec les Etals Alliés («ri. 3). a. Id. 3. Traité de Bruiin(art. i3s 3), Le traité de Bruan (art. li) |)roloii).'e égale- ment de un à trois ans, le délai accordé à l'individu pour transporter m>u iloinicile dans l'Etat en faveur duquel il a opté, à causi« de la crise des logeiuonl>. 4. Traités avecrAulriche(art. 81), avec la Buigarie(art. 56), avec la Hongrie (art. 63), avec les Etals Alliés (art. 5). 216 LA PHOTECTION DES MINORITES ciers constitue une question préjudicielle à résoudre, si l'on veut Taire du droit d'option, pour des groupes ethniques importants, une réalité, et non un droit théorique. A cet effet, un article du traité de Neuilly (i) reproduit dans les traités avec la Turquie (^) et l'Arménie (') prévoit des dis- positions à prendre par les Puissances Alliées et Associées, « relativement à l'émigration réciproque et volontaire des « minorités ethniques ». C'est sur la base de cet article qu'a été signée le 27 no- vembre 1919 entre la Grèce et la Bulgarie une « convention relative à l'émigration réciproque » ouverte à tous les Etats limitrophes, à l'exception de la Turquie (*). * * Un trait mérite tout d'abord d'être noté dans cette conven- tion. L'ordre des opérations prévu y est inverse de celui que prévoient les traités de paix. Dans ceux-ci, la situation de droit précède la situation de fait : le transport de domicile suit l'option; là, c'est la situation de fait qui précède; l'émigra- tion entraine le changement de nationalité : « Les émigrants « perdront la nationalité du pays qu'ils abandonnent, dès l'ins- « tant où ils l'auront quitté, et ils acquerront celle du pays « de destination, dès leur arrivée dans le territoire de ce « pays » ("") Le premier point à établir était la liberté d'émigration. Les trois premiers articles de la convention n'ont d'autre objet que celui-là. a Les Hautes Parties contractantes reconnaissent « à leursressortissants, appartenant à des minorités ethniques, 1. Traité avec la Bulgarie (art. 5o). a. Art. ïli'i. 3. Art. 3. 4. « La Turquie s'engage à ne passe prévaloir de l'article i6de la Convention entre la Grèce et la Bulgarie» (art. i43). L'article i6de la Convention déclare: « Dans le délai d'un an à dater de sa mise en vigueur, la présente convention « sera ouverte à l'adhésion des Etats ayant une frontière limitrophe avec 1 un « des Etats signataires». 5. Convention gréco-bulgare : art. 5. ACQUISITION DE LA NATIONALITK ■ 217 « de religion ou de langue, le droit d'émigrer librement » ('); elles ft s'engagent à faciliter, par tous les moyens dont elles « disposent, l'exercice de ce droit » (') ; à n'y apporter, directe- ce ment ou indireclement, aucune entrave, nonobstant les lois « ou règlements contraires, qui, à cet égard, seront réputés « sans effet » (') ; « à n'apporter aucun obstacle au départ d'un « émigrant volontaire pour quehjue cause que ce soit (*). » Cette insistance est significative ; elle laisse imaginer à com- bien d'entraves et d'obstacles administratifs, l'éniigralion peut en pratique se heurter. L'émigration, possible du moment qu'il n'y a pas interdic- lion de l'Eval, n'est réalisable sur une vaste échelle, nous TavoDS vu, que si l'individu trouve le moyen de rompre les liens d'intérêts qui le retiennent au territoire. Pour les biens meubles, la convention a repris la formule des traités. Les émigrants sont libres de les emporter avec eux ou de les'/ faire transporter (*). Quant aux biens immobiliers « ruraux « ou urbains » — et c'est là l'innovation de la Convention — « ils seront, dit l'article 7, liquidés conformément aux dis- « positions ci-après, par la commission mixte prévue à l'ar- « ticle 9 ». La commission mixte, ainsi annoncée, est constituée do façon à donner, tant aux minorités qu'aux Etats signataires, de pleines garanties d'impartialité. Elle sera composée d'uQ (• membre nommé par chacun des Etats contractants, et d'un « nombre égal de membres d'une autre nationalité, parmi « lesquels le Président sera choisi, et qui sont nommés parle « Conseil de la Société des Nations » (*). Le mécanisme de la liquidatiton se ramène à une idée simple; l'Etat rachète, par l'intermédiaire de la Commission mixte, à ses ressortissants qui ont fait connaître leur intention d'é- migrer ('), les biens situés sur son territoire. Le rôle de la I. Convonlion gréco-bulgare : art. i . a. ('onveiilion gréco-ljulgare : art. a. 3. Convention gréco-bulgare : art. a. 4. Convention gréco-bulgare : art. 3. 5. Convention gréco-bulgare : art. (î . 6. Art. 8. •y. Le droit d'émigration volontaire \< [)0urra être exercé, dans un délai de 218 L\ PROTECTION DES MINORITES Commission est de procéder, avec toutes les garanties dési- rables ('), à l'estimation de ces biens, et de remettre aux intéressés la somme correspondante au montant de leur valeur, somme que l'Etat doit lui verser. Dans la pratique, pour accélérer la marche des opérations, l'Etat fait à la Com- mission des avances, qui lui permettent de faire à son tour des avances aux particuliers « dans la mesure des fonds « disponibles » ('). Elle peut ainsi les Indemniser immédiate- ment, au moins en partie. ; A leur départ, les émigrants ont donc, comme compensa- I tion des biens qu'ils abandonnent en quittant le territoire de l'Etat, un capital liquide, avec lequel ils peuvent pourvoir aux frais de leur établissement dans leur Etat national. La procédure adoptée par la Convention gréco-bulgare est très séduisante, parce qu'elle facilite Témigralion et offre ainsi une solution au problème des minorités, tout en respec- tant, semble-t-il. les droits et les intérêts de l'Etat et ceux des individus. Mais, avant d'en hasarder une généralisation, il faut le rap- peler, une telle procédure n'est possible que si l'émigration présente deux caractères : d'être une émigration réciproque et d'être une émigration volontaire. Nous avons vu, en effet, que l'Etat va avoir à racheter tous les biens immobiliers de ses émigrants. Les dépenses qu'il consent de ce fait ne sont en réalité que des avances momen- tanées, lorsque les minorités qui quittent son territoire sont remplacées par des nationaux qui viennent s'y établir et à qui il peut vendre ces biens. Mais si l'émigration n'est pas réciproque, le mécanisme de la liquidation aboutit à un double résultat également désastreux pour l'économie natio- « deux ans à |3artir de la constiluliori delà Commission mixLc au moyen d'une « déclaration devant la dite commission ou devsntses roprésenlants » (art, Ix). I, ... (' Les intéressés étant entendus ou a}'ant été dûment convoqués pour être entendus » (art, lo), a. Art. II, ACQUISITION DE L\ NATIONALITÉ 219 nale : l'immobilisation d'une jjarlie du cupilai de l'Etal, la nationalisation d'une partie de son soi. Or, il ne peut y avoir émigration réciproque, que s'il y a équivalence de nombre et de situation entre les mino- rités établies dans les Etals entre lesquels un courant d émi- gration nationale est susceptible de se produire. Ce peut être le cas pour la Gr^.ce et la Bulgarie. C'est loin d'être un cas général ('). Une émigration qui ne serait pas réciproque ruinerait l'Etat; une émigration qui ne serait pas volontaire serait une atteinte aux droits de l'individu. L'homme est lié au territoire qu'il habite, non seulement par une propriété fon- cière, mais par un ensemble de considérations familiales, sociales et autres, qui donnent à son établissement un grand prix, et échappent à l'eslimalion d'une Commission. 11 a une situation; sa vie est faite là; ailleurs, il aurait à la refaire. De tous ces sacrifices, il n'est pas dédommagé. C'est pourijuoi l'émigration ne peut être que spontanée. Dans ce cas, elle est de la part de l'individu une solution héroïque. Pour l'y déterminer, il faut une raison majeure : la crainte d'un péril imminent, un senlimoul collectif très fort. Parmi les populations de l'Empire ottoman, chez qui celle crainte comme ce sentiment existent, une exode en masses se con- çoit Ç). Dans l'Europe centrale, la civilisation a trop dévc- I . Ce n'est pas le cas pour la plupart des pays do l'Europe Centrale. H v a iSo.ooo Tchèques en ,\ulriclie allemande et plus de 3 millions d'Allemands en Tchéco-Slovaquie (voir appendice I). Les proportions sont du même ordre entre les minorités ethniques en Hongrie et les minorités hongroises hors de Hongrie, l'cul-ètre pourrail-on envisager une émigration récipropc entre l'Allemagne et la Pologne ? a. La population musulmane des Balkans devenue minoritaire à la suite des modifications qui ont eu lieu depuis 1878, a presque totalement déserté <^ les Etats chrétiens pour rentrer en Turquie. Dans leur programme de reven- dications à la Conférence de Constaniinople au sujet de la cession de la Thes- salie à la Grèce, les plénipotentiaires ottomans avaient déjà envisage une garantie (le l'émigration (arliclo i/|) : « Les musulmans auront la facullcd éini- ff grcr sans entrave dans l'espace de dii ans. Ils seront libres de vendre leurs 0 immeubles et propriétés (Voir 11' partie, cli. I, p. gôelyC) La crainte de mas- sacres peut permettre d'envisager une émigration des Arméniens de Cilicie à la suite d 1 départ des troupes françaises. 220 LA PROTECTION DES MINORITES loppé l'individualisme et les intérêts particuliers, pour que l'on puisse en envisager l'hypothèse. La solution de l'émigration, intéressante en tant que solu- tion locale, reète donc une solution locale; elle ne saurait dispenser les traités de prévoir pour les minorités, qui res- teront sur le territoire sur lequel elles sont établies, -^ c'est le très grand nombre, — des garanties et des droits. CHAPITRE III LES DROITS INDIVIDUELS De tous les droits des minorités les plus anciennement et les mieux établis, les droits individuels n'ont point tous, dans les traités actuels, le même caraclère de généralité. Le droit à la vie, le droit à la liberté et à la liberté de conscience y sont stipulés en faveur de tous les habitants du territoire, tan- dis (jue les clauses relatives à l'égalité et au libre usage de la langue ne s'appliquent ([u'aux ressortissants de l'Etat. La protection de la vie et de la liberté des habitants cons- titue, de la part de l'Etat, un devoir trop évident, pour faire, sous cette forme au moins ('), l'objet d'un commentaire. Il y a lieu au contraire d'examiner avec quelque précision le droit à l'égalilé, à la liberté de conscience et au libre usage de la langue. A, — L'Egalité « Tous les ressortissants (autrichiens) seront égaux devant il la loi et jouiront des mômes droits civils et politiques, sans « distinction de race, de langue ou de religion. (( La différence de religion, de croyance ou de confession « ne devra nuire à aucun ressortissant (autrichien) en ce qui « concerne la jouissance des droits civils et politiques, notam- n ment pour l'admission aux emplois publics, fonctions et « honneurs, ou l'e.xercice des différentes professions et indus- « tries ('^). » I. Nous étudierons [)lu? loin, au chapitre « Ucparalions », les actions que pourr.iit avoir le membre de la minorité, ou se-> avant-droit, lorsque ces droits seraient violés à son détriment. •j Traités avec rAutricho (art. 6(5), la Bulgarie (art. 63), la Hongrie (art. 58), la Turquie (art. liô), la Pologne, la Tchécoslovaquie, lEtat serbe-croate- elovène, la Grèce (art. 7), la Roumanio(art. 6), l'Arménie (art. 4). 222 LA PROTECTION DES MINORITES Le traité de Berlin avait déjà imposé à la Turquie, et, comme condition de leur reconnaissance, aux nouveaux Etats balkaniques, une obligation du même ordre: « La distinction des croyances religieuses et des confessions (c ne pourra être opposée à personne comme un motif d'in- « capacité, en ce qui concerne la jouissance des droits civils et « politiques, l'admission aux emplois publics, fonctions et « honneurs, ou l'exercice des différentes professions et indus- « tries, dans quelque localité que ce soit (*). » Les traités actuels ont repris, dans le deuxième alinéa de l'article précité, cette disposition du traité de Berlin dans son esprit et presque dans sa forme. Mais ils l'ont fait précéder d'un préambule plus général. L'égalité de droits de tous les ressortissants de l'Etat y est posée comme un principe ; elle ne tient pas compte des différences « de race, de langue ou de religion ». La formule adoptée ici est plus compréhensive que celle de 1878, qui ne visait qWe « la distinction des « croyances religieuses et des confessions ». En fait, cette distinction est la principale qui élève aujourd'hui encore dans les pays d'Europe Centrale et Orientale, des barrières légales entre les individus (^). C'est pourquoi, à l'exemple de leurs devanciers, les auteurs des traités actuels ont plus spéciale- ment insisté sur ce point. Cette égalité de droits, proclamée en termes aussi géné- raux, inscrite dans les lois fondamentales, ne deviendra effective que si un esprit d'ogaliîé inspire les lois de détail et les mesures administratives. Ce sont des règlements d'admi- nistration, qui ont maintenu en Pologne la plupart des inter- dictions qui atteignent encore les Juifs. Tous les sujets par exemple ont un droit égal « à exercer les fonctions publiques ». Telle est la loi. Mais les fonction- naires en fait sont recrutés par le concours ou au choix : 1. Traité de Berlin (art. 5, 7, 35. U et 62), a. Voir I" partie, chapitre II, /« Problème des minorUés, p. 33 note i. LES DROITS INDIVIDUELS 223 moyens administratifs^ contre les(]uels ne peut exister aucun recours contentieux. Que deviendra donc l'égalité, si les pré- jugés ferment de parti pris l'accès des carrières publiques à certains groupes ethniques ? Elle sera une simple égalité à la canditalure .. Des mesures générales d'ailleurs peuvent déjà restreindre l'égalité tiiéorique: l'exigence de la parfaite con- naissance d'une langue ('), d'autres exigences inconciliables avec la piaticiucdune religion, etc. .. Le nombre des méthodes n'est pas limité. Mais la critique que l'on pourrait faire de celte égalité a arithmétique » est plus profonde. Ce qui intéresse la mino- rité, cesl moins de se voir ouvrir des possibilités, dont quelques-uns de ses membres seront seuls à profiter, que d'être garantie contre les mesures qui peuvent l'atteindre en son ensemble dans sa situation morale, économique ou sociale. Or. ces mesures peuvent être générales en apparence, alors même qu'elles ne frappent qu'elle. De même, au point de vue politi(|ue, chaque individu peut avoir le même bulle- tin de vote; si les circonscriptions électorales sont tracées de telle sorte que certains éléments nationaux ou religieux soient par avance mis en minorité, leur droit de vote devient illu- soire. A côté de l'égalité « arthmétique », il y a donc place pour une égalité que l'on pourrait nommer proportionnelle. Et c'est elle surtout qui importe (*). B. — La liberté de cohscience {( Tous les habitants de 1' (Autriche) auront droit au libre « exercice, tant public que privé, do toute foi, religion ou « croyance, dont la pratique ne sera pas incompatible avec « l'ordre public et les bonnes mœurs ('). » I. \oir chapitre IV, la Langue officwllf, p. a3a. 3. \oir dans chapitres sur les droits culturels, les lois écoDomiques et sociales, et la représenlalioD proportionnelle, les possibilités de réalisatioQ de cotte égalité proportionnelle. 3. Traites avec 1 Autriche (art. 63), la Bulgarie (art. 5o), la Pologne, la ^'cbé- coslovatiuie, l'EtRt serbe-croate-slovène, la Roumanie, la Grèce et l'Arménie (art. 2), la Hongrie (art. 55), la Turquie (art. i^i). 224 L\ PROTECTION DES MINORITES Le droit au libre exercice du culte, tel qu'il est reconnu là, est extrêmement général, puisqu'il s'étend à tous les habi- tants et à « toute foi, religion, ou croyance ». La Constitution autrichienne de 1867 spécifiait, dans son article 15 que la liberté serait accordée à « toute église et communauté reconnues par la loi ». Une reconnaissance légale, ici, n'est pas nécessaire ('). La seule raison que puisse invoquer l'Etat pour interdire l'exercice d'un culte est son « incompatibilité avec l'ordre public et les bonnes mœurs ». Encore, cette clause ne se trouvé-telle pas dans les traités avec la Turquie et l'Arménie. En revanche, un souci a trouvé son expression dans ces deux traités : celui de mettre sur le même plan, les diffé- rents cultes pratiqués dans l'Etat : « Les atteintes au libre « exercice du droit prévu, seront punies des mêmes peines, « quel que soit le culte intéressé ('). » Pas plus que les dispositions qui établissent l'égalité indi- viduelle, celles qui concernent la liberté de conscience ne sont originales. Les négociateurs de Versailles ont été, sur ce point encore, précédés par ceux de Berlin : « La liberté et la pratique extérieure de tous les cultes, « dit le traité de Berlin, seront assurées à tous les ressortis- « sants de la (Serbie, Roumanie...) aussi bien qu'aux étran- « gers, et aucune entrave ne pourra être apportée, soit à l'or- « ganisation hiérarchique des différentes communions, soit à (( leurs rapports avec leurs chefs spirituels ('). » Le traité de Berlin garantissait dans un même article le libre exercice du culte et l'organisation hiérarchique des con- fessions. Les traités actuels ont séparé de la question de prin- cipe, les modalités d'application, qui font, en ce qui concerne les Chrétiens en pays mulsumans et les Musulmans en pays I. La délégation aulrîcliienne en fit la remarque dans ses contre-propositions de paix. a. Traités avec la Turquie (art. i^i)el l'Arménie (art. a). 3. Traité de Berlin (art. 5, 7, 35, 44, ot 6a) . LKS DMOrrs INDIVIDUELS 225 chrétiens, l'objet de dispositions détaillées (jui seront étudiées plus loin ('). Une question connexe de celle-ci, condition né- cessaire, comme elle, à la pratique de la vie religieuse, est celle du respect des jours consacrés au culte. * * C'est h propos des Chrétiens et des Juifs (pielle s'est posée, et elle a été envisagée dans trois traités : dans le traité avec la Turquie, en faveur des Chrétiens et des Juifs, dans les trai- tés avec la Grèce et la Pologne en faveur des Juifs (*). « Dans les villes ou régions, où réside une proportion con- « sidérable de ressortissants ottomans de religion chrétienne « ou juive, dit le traité avec la Turquie, le Gouvernement « ottoman s'engage à ce que ces ressortissants ottomans ne « soient pas astreints à accomplir un acte quelconque cons- « tituant une violation de leur foi ou de leurs pratiques reli- « gieuses, ni frappés d'aucune incapacité, s'ils refusent de « comparaître devant les tribunaux ou d'accomplir quelque « acte légal, le jour de leur repos hebdomadaire. » Le traité avec la Grèce reprend les mêmes dispositions le terme de « Sabbat » étant substitué, dans la rédaction de l'article, à celui de « foi et pratiques religieuses ». Dans ce traité, comme dans le traité avec la Turquie, ces prescrip- tions ne s'applifjuent qu'aux lieux (villes et districts) « où ré- « side une proportion considérable de ressortissants de reli- « gion juive ». Le traité avec la Pologne ne contient pas de spécification semblable. Une disposition se trouve dans ce dernier traité, ([ui n'est pas reproduite dans les autres : « La Pologne déclare son « intention de s'abstenir de prescrire ou d'autoriser des élec- « lions, soit générales, soit locales, qui auraient lieu un « samedi ; aucune inscription électorale ou autre ne devra « obligatoirement se faire un samedi ». Il semble en effet que ce procédé ait été pratiqué en Pologne pour exclure les juifs l. Voir plus loin, ch. VI, CAutonomie. a. Trailés avec la Turquie (art. i5o), avec la Grèce (art. lo), avec la Pologne (art. 1 1), 226 • LA PROTECTION DES MINORITES de Texercice des droits politiques, que les lois leur reconnais- saient. A l'obligation rigoureuse, imposée à ces Etats, de respec- ter le repos d'une partie de leurs sujets, au jour prescrit par la religion, les traités ont fixé une limite : « Toutefois cette disposition ne dispensera pas les juifs des « obligations imposées à tous les ressortissants en vue des « nécessités du service militaire, de la défense nationale, ou « du maintien de l'ordre public. » * * * Dans le principe, rien de plus légitime que ces clauses. Elles sont, comme nous l'avons dit, la condition même du droit de chacun à la liberté de conscience. Mais, dans le fait, elles se heurtent à des objections si graves, qu'elles se présentent comme une arme à deux tran- chants, susceptible de frapper bien souvent ceux qu'elle entend protéger Pour que ces mesures soient effectives, il faut en effet que les Etats fassent de leur observation, pour tous leurs sujets, une obligation d'ordre public. Voici une usine à Lodz ; elle emploie comme ouvriers des chrétiens et des juifs. Elle ferme le dimanche, car le dimanche est, en Pologne, jour de repos obligatoire. Ne le serait-il pas, c'est le jour de repos hebdomadaire pour la majorité de la population. Le samedi, l'usine ne peut non plus travailler à plein rendement, puisque le droit des Juifs à leur Sabbat doit être respecté. Il y aura donc, dans une même entreprise, des ouvriers travaillant six jours, d'autres ne pouvant travailler que cinq. On conçoit que le directeur hésite à embaucher ces derniers. Et, ce qui se passe ici se passera dans toute la vie sociale. On veut donner des droits aux juifs. Ne leur ferme-t-on pas la voie, qui pourrait les conduire à l'assimilation ('). I. Dans le chapitre sur les lois économiques et sociales, nous étudierons le respect du repos hebdomadaire à un autre poial de vue : son point de vue éco- nomique. LES DROITS. INDIVIDUELS 227 G. --- Li: LIBHB ISAf.K DE LA LANGUE Dans leurs dispositions précédentes, les traités de minori- tés de 1919-1020 n'avaient fait ()ue suivre le précédent de traité do Berlin. En abordant la question des langues, ils s'en- gagent sur un terrain nouveau : « Il ne sera édicté aucune restriction contre le libre usage « pour tout ressortissant (autrichien) d'une langue quelconque, « soit dans les relations privées ou de commerce, soit en « matière de religion, de presse ou de publications de toute « nature, soit dans les réunions publiques (') », Le droit au libre usage dune langue est reconnu par cet article, avec un caractère de généralité, qui peut le faire com- parer au droit au libre exercice dun culte. Il y a cependant un point qui rend cette symétrie impar- faite. Le droit au libre exercice d'un culte s'étend à tous les habitants du territoire ; le droit au libre usage d'une langue est réservé aux seuls ressortissants de l'Etat. Cette distinction étant établie, ce droit reste très large ; il s'applique à « une langue quelconque »,de même que l'autre à « toute religion ». Nous avons vu plus haut que la législation autrichienne limitait aux confessions « reconnues par la loi » la liberté reli- gieuse ; de môme elle limitait la liberté de langue, aux langues reconnues par l'Etat. Suivant les recensements de nationalités, une, deux ou plusieurs langues étaient reconnues « en usage » dans la provmce (landesiibliche Sprachen ) ; celles-là seules pouvaient être employées dans les réunions publiques, ou dans la presse... L'on peut considérer cette limitation comme arbitraire ; elle le fut parfois en fait ; c'est ainsi que les langues ruthène et juive, bien que parlées, ne furent pas reconnues et res- tèrent interdites. Mais le principe de cette limitation n'est I. Traités avec l'Autriche (art. OG), la Bulgarie (art. 53), la Hongrie (art. 58), la Turquie (art. l45), la Pologne, la Tchécoslovaquie, l'Etat Serbe-Croale-Slo- vène, la Grèce (art. 7), la Roumanie (art. 8), l'Arménie (art. 4). 228 LA PROTECTION DES MINORITES pas infirmé par des applications tendancieuses. Si une langue ne peut, comme un culte, être en soi-même contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public, elle peut l'être par l'em- ploi qui en est fait. Elle ne doit pas servir de moyen, pour échapper au contrôle des autorités et de la police. Et les pos- sibilités mêmes d'exercer une surveillance obligent à res- treindre le droit général, à le localiser. La loi constitutionnelle tchécoslovaque, après avoir repro- duit la disposition des traités, a fort sagement ajouté (art. 128, §4): « Mais cette disposition n'infirme pas les droits qui sont « reconnus en ces matières (presse, réunions publiques) aux « organes de l'Etat, par les lois parues ou à paraître, d'après- « les nécessités de l'ordre public, de la sûreté de l'Etat et de «la surveillance active. » CHAPITRE IV LES DROITS INDIVIDUELS (suite; La langue minoritaire devant les organes de 1 Etat Le droit qu'ont les membres des minorités de parler leur langue, le seul fait d'ailleurs qu'ils ne parlent pas tous la langue de la majorité amènent à envisager les rapports qu'ils sont susceptibles d'avoir avec les organes de la puissance publique (administration, justice) : « Nonobstant l'établissement par le gouvernement (autri- « chien) d'une langue officielle, disent les traités de minorités, « des facilités seront données aux ressortissants (autrichiens) « de langue autre que (l'allemand), pour l'usage de leur langue, « soit oralement, soit par écrit, devant les tribunaux ('). » Deux points sont à noter dans ce texte : ' 1° Les Etats contenant des minorités pourront établir une langue officielle. 2° Ils devront cependant accorderdes facilités aux membres des minorités pour se faire entendre devant la justice. I. — La langue officielle « Nonobstant l'établissement d'une langue officielle (-). » Mieux qu'aucune autre, cette formule définit les Etats contenant des minorités, les situe parmi les Etats. Entre les Etats parfaitement homogènes, et les « Etats composés de nations w ils forment un groupe intermédiaire : celui des I. Traités avec l'Autriche (art. GG), la Bulgaric(arl. 53), la Hongrie (art. 38), la Turquie (art. l/i5), la Pologne, la Tcliéco-Slovaqiiie, l'Etat serbe-croalc-slo- vène, la Grèce (art. 7), la Roumanie (art. 8 ) 1 Arménie (art. 4). a. Cette disposition n'est pas reproduite dans le traité avec la Turquie. J. Fouques-Duparc 15 230 LA PROTECTION DES MINORITES Etats qui «trouvent leur assise principale dans un peuple »(*). Leur législation de langue répond à leur situation natio- nale. Ils se rapprochent des Etats homogènes, en ce qu'ils ont une langue officielle unique pour tout le territoire, mais sous certaines réserves, sauf certaines exceptions ; ces exceptions les font ressembler aux « Etats composés donations ». mais ils en diffèrent par le principe. * Fiction ou réalité, les « Etats composés de nations » ont vécu sur la formule de l'égalité des langues et des nationali- tés dans l'Etat, formule consacrée en Autriche par l'article 19 de la Conslitulion de 1867 : « Tous les peuples (Volks- « stàmme) de l'Etat sont égaux en droits. « L'égalité de toutes les langues en usage dans la province « (landesûbliche Sprachen), à l'école, dans l'administration et « dans la vie publique est reconnue par l'Etat (*). » Tel est le but à réaliser ! La Suisse parviendra h l'attein- dre par l'autonomie cantonale et communale ; l'Autriche y tendra par la décentralisation des « pays de la Couronne » (Kronlânder) {'), et par l'application à l'intérieur de ces pays du régime du compromis (*). 1. Le mot est de Bluntschli. 2. Loi conslitulionoelle du 21 décembre 1867 (R. G. Bl. ri°i42). 3. Pour définir l'organisation des « Pays de la Couronne » la Délégation autrichienne à la Conférence de la Paix s'est servie du terme de home-rule. Ils ont, à leur tète, une chambre provinciale ou «Landtag » dont les attributs législatifs sont des plus étendus. Dans chacun d'eux, une langue a une situation privilégiée : la langue historique du Land (Landessprache) : c'est le tchèque en Bohême et en Moravie, le polonais en Galicie, l'allemand eu Haute et Basse Autriche... Ces langues jouent dans les provinces, le même rôle que l'allemand dans l'empire ; ot dans l'organisation générale, elles sont des langues K annexes» (relative und suppletorische Geschiiftssprachen). 4. Le régime du compromis existe dans les provinces, où chacune des lan- gues est parlée par une traction importante de la population : Bohême, Mora- vie... Il y a une Bohême de langue tchèque et une Bohème de langue alle- mande. La langue en usage dans la province (landesûbliche Sprache) arrive ainsi à maintenir ses droits en face de la langue historique de la province (Landessprache). LES DHOITS INDIVIDUELS 231 Gonsifiérons maintenant les principes législatifs, en matière de langues, d'un Klat contenant des minorités. Voici l'article 1 de la loi du 29 février 1920 de la Répu- blique tchécoslovaque, interprétatif de la clause précitée. « La langue Ichécoslovaiiuc est la langue de l Etat, la « langue officielle de la Républi(iue (art. 7 du traité conclu à « Saint Germain-en-Layc, le 10 septembre 1919 entre les « grandes Puissances alliées et associées et la Tchécoslova- « quie). Elle est notamment la langue : ((l°Dans laquelle — sous réserve des dispositions des arti- « clés 2 et 5. et à l'exception des dispositions de l'article (î. « relatif au territoire ruihène — tous les tribunaux, minis- a tères, établissements, entreprises et organes de la République « exercent leurs attributions, publient leurs notifications et « leurs avis. « 2" Dans laquelle est établi le texte principal des billets « d'Etat et des billets de banque. «3" Qui est employée dans l'armée pour le commandement « et dans le service ('). » La différence apparaît de suite : ici, point d'égalité entre les langues, même théorique ; une « langue d'Etat » admise non seulement dans les rapports intérieurs de l'administra- tion, mais aussi, — sauf exceptions, — dans ses ra[)ports extérieurs ; c'est-à-dire ses rapports avec les particuliers. De la valeur universelle de la langue d'Etat, une première conséquence : « Les autorités autonomes, corps élus de l'arrondissement « et tous les corps publics dans l'Etat seront obligés de rece- « voir et de traiter les requêtes orales et écrites présentées « dans la langue tchécoslovaque. « A leurs séances et dans leurs délibérations, il est tou- I. ColleclioQ des lois 6l décrets, n* laa. 232 LA. PROTECTION DES MINORITES « jours possible d'employer cette langue ; les projets et « motions présentés dans celte langue doivent faire l'objet « de discussions » ('). La self-administration locale, que défendait le principe d'égalité entre les langues, recule devant la prépondérance d'une langue d'Etat, agent naturel de centralisation. Un autre aspect de la question, c'est l'inégalité établie entre les nationalités ; le privilège s'élend nécessairement de la langue, à la nalionaîité qui la parle: « De prochaines prescriptions sur l'obligation de savoir le « tchécoslovaque pour les agents et employés de l'Etat et les « agents et employés des établissements et entreprises d Etat « seront établies par décrets » ('). Ainsi un ressortissant de l'Etat ne peut exercer une fonc- tion publique, qu'à condition de savoir la langue officielle de l'Etat, bien qu'en théorie, d'après les dispositions des traités et les lois fondamentales ('), les fonctions publiques soient également ouvertes « tous les ressortissants, sans distinction de race, de langue et de religion ». En d'autres termes, le membre d'une minorité ne peut jouir en fait de l'égalité de droits qui lui est reconnue, qu'à la condition de s'assimiler. Nous avons déjà noté un cas analogue à, propos des Juifs en examinant la question de respect du Sabbat (*). Tel est le dilemme : égalité individuelle 'et assimilation ou bien conservation du caractère distinctif . L'on peut choisir. Ce qui est impossible, c'est de concilier les deux tendances dans un Etat, qui, un et centralisé dans son principe, est incapable de diversité. IL — La langue minoritaire DEVANT LA JUSTICE ET L'ADMINISTRATION Les traités n'ont reconnu à l'Etat le droit d'établir « une langue officielle », que pour mieux stipuler, en contre-partie, I. Loi du 29 février 1920, article 3 (S i et 2). a. Loi du 39 février igao, article 7. 3. Voir plus haut: les Droits individuels, l'égalité, p. aai. Ix. Voir plus liaut : les Droits individuels, la liberté de conscience, p. aa5etsuiv. LES DHOITS INDIVIDUELS 233 les facilités qu'il devrait accorder aux minorités : « Des facilités seront données aux ressortissants (autrichiens) de langue autre que 1' (allemand), pour l'usage de leur langue, (( soit oralement, soit par écrit, devant les tribunaux ». La rédaction de cet article a été critiquée à un double point de vue : comme étant à la fois trop peu et trop compréhen- sives ; trop peu, en ce sens que seuls les tribunaux sont mentionnés ; trop, car en obligeant l'Elat à donner des faci- lités aux minorités, sans fixer à son obligation de limite d'au- cune sorte, les traités l'ont mis devant une lAche pratique- ment impossible à remplir. Le cas d'un membre delà minorité appelé devant le tribu- nal, et se trouvant lésé par suite de son ignorance de la langue officielle, est plausible, et il était logique et nécessaire de l'envisager ; mais, il n'est ni le seul, ni le plus fréquent. Aussi souvent, plus souvent qu'au juge, c'est à l'administra- teur que l'individu a à faire dans la vie couranle, à l'admi- Distrateur sous quelque forme, qu'il se présente : adminis- trateur du district, de l'arrondissement, ou de la commune, percepteur dimpots, employé des postes, chef de gare ('). Aura-t-il le droit, devant ces représentants de l'administration, de parler sa langue ? sa langue sera-t-elle entendue ? A toutes ces questions, point de réponses dans les traités ; seuls, les tribunaux sont mentionnés. La loi tchécoslovaque du 29 février lî)20, cilée plus haut, a interprété les dispositions des traités dans un sens large ; elle en a étendu l'application (c aux tribunaux, autorités administratives et organes de la républi(iue » (art. 2). aux « autorités autonomes, corps élus de l'arrondissement et « tous les corps publics » (art. 3) ; enfin à l'armée même (art. 1) C). I, Dans les pays où les cliemins de fer sont une cnlrepri.xe d'Etat. a. La loi du 29 février 1920, après avoir établi que la langue Icliécoslo- vaquc est la laiiguo de 1 armée, ajoute : dans les rapports avec les hommes qui no savent pas cette langue, leur langue malcrnello peut aussi être emplovée. 234 LA PROTECTION DES MINORITES Userait désirable de voir le principe de cette généralisation admis par la législation des autres Etats. Les traités n'ont point fixé délimite à l'obligation imposée à l'Etat d'accorder des facilités aux minorités de langue. La formule que l'on trouve dans d'autres articles : « dans les « villes ou districts, oii réside une proportion considérable « de ressortissants appartenant h une minorité », ici, n'est point reproduite. A prendre le texte dans son sens littéral, il semble donc que ce soit devant tous les tribunaux, en tous lieux, que les membres de la minorité aient droit à ces facilités. Dans la pratique, on se heurte à une objection fondamen- tale. Il ne suffit pas que l'individu s'exprime dans sa langue, il faut que le juge le comprenne; pour cela, ou bien qu'il sache lui même la langue minoritaire, ou bien qu'il soit assisté d'un interprète, qui lui traduise les propos du plai- deur. Dans les Etats, qui contiennent deux, trois, quatre minorités, il faudrait donc, ou bien que le juge connaisse deux, trois, quatre langues, ou bien qu'il soit assisté de deux, trois, quatre interprètes. L'on arrive ainsi à des complica- tions inextricables. De là, la nécessité de localiser le droit des minorités. Une organisation judiciaire (administrative), propre à assurer ce droit ne sera établie que dans les lieux oij il est susceptible de s'exercer : c'est-à-dire dans les lieux où l'élé- ment minoritaire est représenté, et a une certaine importance. Mais quel point de départ choisir ? Le nombre absolu ou le pourcentage? Et dans quelle limite territoriale? Et quel nombre absolu ou quel pourcentage? Les interprétations peuvent être les plus diverses ; et, parmi elles, il peut en être des plus subversives. La loi tchécoslovaque a adopté comme base territoriale, l'arrondissement judiciaire (Gerichtsbezirk) ; et, dans l'ar- rondissement judiciaire, comme point de départ le pourcen- tage de 20 0/0 de la population totale, pourcentage établi d'après LES DHOITS INDIVIDUELS 235 le dernier recensemenl. Cependant, <• lorsque, dans le territoire « d'une commune, il y a plusieurs tribunaux d'arrondisse- « ment (Bezirksgerichte), la commune dans son ensemble « sera considérée comme un seul arrondissement judiciaire « (Gerichtsbezirk (<) ». Cette seconde disposition paraît très discutable dans ses conséquences. Ni Pilsen, ni Prague n'atteignent ce pourcen- tage d'Allemands. Prague, qui est la capitale intellectuelle de la Bohême allemande, comme elle l'est de la Boh(>me tchèque, qui compte une université allemande et un institut technique allemand, n'admet pas l'allemand comme langue judiciaire. * * * En quoi consisteront les facililés. promises aux ressortis- sants de lEtat de langue autre que la langue officielle? Les traités ne le précisent point. Dans leur silence, l'on est amené ici encore à s'en rapporter aux interprétations législa- tives des Etats contenant des minorités. D'après la loi tchécoslovaque, dans les arrondissements judiciaires où une minorité de langue atteint le pourceidage voulu, les tribunaux, autorités et organes de la Uépublicjue, les autorités autonomes, corps élus de l'arrondissement sont obligés : d'accepter les requêtes des ressortissants de cette minorité de langue, rédigées dans leur langue, et cly répondre non seulement dans la langue tcJiécoslovaque, niais dans la langue qui a servi à la rédaction : (') dans certains cas mêmes, qui seront précisés par arrêtés, la réponse sera faite uniquement dans la langue de la partie intéressée) (') au cas où l'affaire traitée n'a pas pour point de départ une requête de la partie intéressée, la solution est notifiée à cette partie d'après les mêmes principes : dans sa langue, si elle est connue; sinon, dans la langue de son choix (*). Le minis- tère public sera obligé, lorscju'il aura une plainte à intro- I. Loi du ag fc\rier lijao, article a. a . Loi, op. cit., art. a, § i 5. /d.,§3. 4. /^(35c^7^^r^,et l'héritage que vous leuraccor- « dez, va tomber dans le domaine du fisc : c'est-à-dire : du « Slatthalter ('). » Gomment les minorités recueilleraient-elles dans ces condi- tions l'héritage auquel les traités leur donnent droit ? * * * Il y a tout d'abord une distinction à établir. Par suite des conditions particulières de leur histoire, certaines minorités ont une existence autonome et une organisation propre plus ou moins étendue, reconnues par le droit public de l'Etat. Ce sont les populations chrétiennes de Turquie, qui forment des « nations », dans le sens latin du mot, représentées offi- ciellement devant le sultan par les Patriarcats ('). Ce sont les juifs de Pologne, dont les communautés locales (communes 1. Traités avec l'Autriche ("art. 58), la Bulgarie (art. 55), la Hongrie (art. Sg), la Turquie (art. i48), la Pologne, la Tchéco-Slovaquie, TEtat serbe-Groate- slovèoc, la Grèce (art. 9), la Roumanie (art. 10), l'Arménie (art. 5). a. Karl Reiiner, l)as Selbslbesliminungsrcchl der Nalionen. 3. Voir plus haut, 1" partie, la notion des minorités, p. 28. LES DROITS CLLTUHEL8 255 cultuelles ») en Galicie et « communes juives » en Pologne Russe) sont dotées do la personnalité morale ('). Ici et là, la solution est simple. « Part équitable » signifie « part proportionnelle ». L'Etat en Turquie, l Etat ou la commune en Pologne, font le partage des sommes dont il s'agit entre les différentes « nations » dans le premier cas, entre Chrétiens et Juifs dans le second, au prorata de l'im- portance numéri(|ue des groui)es envisagés. Les sommes qui reviennent à chacun d'eux sont données à son représentant officiel, qui lui-même se charge de les répartir entre œuvres charitables et éducatives, suivant leurs besoins, ou telles autres considérations. C'est d'ailleurs ce que spécifient les traités : « Les fonds en ({uestion, dit le traité avec la Turquie, « seront versés aux représentants qualifiés des communautés « intéressées (-). » "* Et le traité avec la Pologne : « Des comités scolaires, désignés sur i)lace par les commu- « nautés juives de Pologne assureront, sous le contrôle « général de l'Etat, la répartition de la part proportionnelle « des fonds publics assignés aux écoles juives en conformité « de l'article 9, ainsi que l'organisation et la direction de ces « écoles (^). » * * * Ce mécanisme suppose une organisation de la minorité, tout au moins un rudiment d organisation, qui puisse servir de base à une représentation officielle. Mais, comment serait-il possible sans celle organisation l Or, c'est la situation de la plupart des minorités nationales de l'Europe Centrale et Orientale. Xi dans l'Etat, ni dans la commune, elles n'exis- tent au sens juridique du terme. Devant l'Etat alors, point de collectivités, mais seulement I. Voir plus bas appendice II. \ei Juifs de Pologne. a. Traité avec la Turquie (art. i48). 3. Traité avec la Pologne (atl. \6). L'article lo ajoute : « Les dispositions de l'article 9 concernant l'emploi des « langues dans les écoles sont applicables aux dites écoles. » 256 LA PROTECTION DES MINORITES des indixâdualilés éparses : personnes minoritaires, établis- sements minoritaires ; point ce répartiteur intermédiaire qu'est en Turquie le Patriarche, en Pologne le comité scolaire, qui reçoit proportionnellement au nombre de ressortissants qu'il représente, et qui distribue suivant des considérations d'opportunité. L'Etat étant répartiteur direct par la force des , choses, ces deux opérations, distinctes là, se confondent ici dans ses attributions. C'est lui-même qui suivant des consi- dérations d'équité et d'opportunité tout ensemble, aura à partager les fonds, entre des établissements minoritaires et majoritaires, dont chacun ne représente que lui-môme. L'on conçoit dès lors que le mot « équitable » n'a plus le sens rigoureux, le sens mathématique, qu'on pouvait lui donner dans le premier cas ; entre l'importance des établis- sements minoritaires, et l'importance numérique de la mino- rité, il n'y a pas fatalement un rapport direct. Dire, dans ces conditions, que la minorité doit se « voir assurer une part équitable )>, c'est dire seulement que les établissements minoritaires ne devront pas être traités autre- ment que s'ils étaient dirigés par des membres de la majorité. C'est une formule extrêmement lâche. II. — Portée actuelle et extension possible de celte mesure 'Cette disposition des traités s'applique dans le cas où « des sommes pourraient être attribuées sur les fonds « publics, par le budget de l'Etal, les budgets municipaux « ou autres, dans un but d'éducation, de religion ou de cha- « rite ». Comme toute mesure qui repose sur une hypothèse, celle-ci est de signification très variable et n'offre aucune garantie de certitude aux minorités. La subvention aux établissements privés (hôpitaux, œuvres charitables, écoles) est pour l'Etat un moyen de remplir ses devoirs d'assistance et d'enseignement à l'égard de ses sujets. Ce moyen ne joue un rôle important que dans la mesure où l'Etat n'assure pas directement lui-même le fonctionnement de ces services. La portée de celte disposition varie donc d'un LES DIIOITS CUÎ.TUIŒLS 257 Etat à raulre.en raison inverse du développoinenl dcronsoi- gnement et del'assislance {)u!)lics. Ai)pcléc h ôlrc grande dans les Etals où ceux-ci sont insuffisants (Tunjuie, Arménie, Etats balkaniques) elle parait devoir ôtre à peu près négli- geable dans d'autres Tchécoslovaquie, Autriche ('). / De peu de valeur positive sous sa forme actuelle, cette clause est néanmoins d'un grand intérêt, car, en posant la question de la personnalilé morale de la minorité, elle con- tient en germe le principe d'une solution nouvelle au problème des droits culturels : la substitution à la garantie de l'Etat de l'initiative privée. Pour en arriver là, il suffit d'étendre le principe, et de combler les lacunes signalées plus haut. Les traités n'ont reconnu le droit des minorités à une par- ticipation, que sur les fonds i)ublics qui seraient alloués par "V l'Etal aux établissemeats privés, l'assistance et l'école pu- ' bliques s'adiessant également à tous les sujets, et étant censées répondre également aux besoins et aux droits de chacun. Or, précisément, les minorités réclament que l'assistance et l'école soient, en ce qui les concerne, retirées à la compé- tence de l'Etaf, pour cire confiées à leur propre direction. La répartition équitable devrait en conséquence porter, non plus seulement sur « les sommes qui pourraient être attribuées dans un but d'éducation, de religion, ou de charité », mais sur l'ensemble des budgets de l'enseignement, de l'assistance et des cultes. A cet effet, la minorité, reconnue comme per- sonne morale du droit public, ou bien recevrait de l'Etat une part des fonds de ces budgets, proportionnée à son impor- tance numérique, ou bien obtiendrait de lui le droit de [)er- I, L'article i3 de la loi tchécoslovaque du 3 avril i-giy prévoit qu'une allo- cation peut être consentie i7 est scellée entre Saxons, Szeckler et noblesse magyare l'union des trois nations (Unie trium nationum), renouvelée en i5o6 et en i543. L'union de i543 signée sous la régence d'Isabelle, durera autant que l'indépendance de la principauté. Elle complète l'organisation interne de chacune des nations. 2. Le « Diploma Leopoldînum » de 1691 confirme tous les privilèges de la noblesse magyare, des Saxons et des Szeckler, établit la liberté religieuse pour les Catholiques, les Calvinistes et les Luthériens, décide que les fonctionnaires publics ne pourront être que des Hongrois, des Szeckler ou des Saxons. 3. L'« Université » &'esl réunie la dernière fois en i86ii, pour décider l'union à la Hongrie. i/aL MtNo.MIE ' 263 centralisée, en sorte qu'entrés dans son sein, ils l'envaliirenL tout entière. Bien mieux, comme elle était dislincle des autres églises, ils no débordèrent pas son cadre. Ils n'attei- gnirent ni les Szeckler, ni la noblesse magyare, ni les Rou- mains orthodoxes. Ils gagnèrent tous les Saxons et ne gagnèrent qu'eux. Pidèle évangélique et Saxon sont ainsi en Transylvanie, devenus des termes synonymes. (') La foi religieuse a conservé h la race dans les Temps modernes sa pureté primitive. Elle a isolé les Saxons des autres habitants du pays, comme, au Moyen-Age. leur situation de colons libres dans un monde servile ou (juasi-scrvile. Autonome, l'Eglise évangélicjue a servi d'armature aux ins- titutions nationales. Quand celles-ci ont été menacées, elle les a sauvées, en les couvrant de son manteau. « Le peuple, écrit « Teutsch, ne serait pas resté allemand, s'il n'était devenu « évangélique ». (') * L'école est en effet uniquement confessionnelle, « un éta- blissement de l'Eglise » (eine Kirchliche Anstalt). Chaque paroisse évangélique — c'est-à-dire chaque commune saxonne — a son école primaire (Volksschule), qui, suivant l'importance du lieu, compte de une à huit classes. En outre, la communauté possède des écoles primaires supérieures, des gymnases, des écoles réaies, deux séminaires, une école normale et une faculté de droit îi licrmanustadt. Les maîtres sont groupés en corporations : assemblées de district et assemblée générale des instituteurs (Bezirkslehrer- versammlungen, Lehrerlag), association des professeurs d'enseignement secondaire (Mitleischulverein). Les frais scolaires ont été pendant longtemps supportés pres(}u'exclusivement par la communauté elle-même, (|ui a dû s'imposer les plus lourds pacrifices ; le tribut payé annuellement pour l'école et l'église s'est élevé parfois jusiju'à I. La stalislique de 1910 donne: d'après la langue parlée: Allemands : ai5.o85 ; d'après la religion évangélique :j39.ou8. a. Ka wâr» niclil deulsch (jekUcben, wmn ts ntcht evangelisch gfworden >oare, Teulsch, op. cit., p. ya. 264 LA PROTECTION DES MINOBITÉS une moyenne de IS à 20 couronnes par tête. Depuis 1912, l'Etat hongrois avait consenti à augmenter assez notablement la subvention due à l'Eglise évangélique, aux termes de la constitution de 1848. L'école saxonne était régie par les lois générales de l'Etat sur l'enseignement privé. Certaines de ces lois, notamment la loi Apponyi de 1907 sur les écoles primaires privées ('), lui ont été très préjudiciables. Néanmoins, il existait en sa faveur des dérogations du droit commun en ce qui concerne par exemple les méthodes d'enseignement. Se suffisant à elle-même, et suffisant aux besoins de la communauté, conservant la langue et les méthodes alle- mandes, protégée par son caractère confessionnel, l'école saxonne de Transylvanie s'est employée à former des géné- rations d hommes dignes de leur histoire : sujets fidèles de l'Etat, en môme temps que défenseurs de leur culture et de leur nationalité (^). En lui accordant l'autonomie, les Traités n'ont fait que confirmer une situation acquise. b) Autonomie des Ruthènes L'autonomie reconnue aux Ruthènes rattachés à la Tché- coslovaquie est singulièrement plus étendue que celle que nous venons d'étudier : « La Tchécoslovaquie s'engage à organiser le terri toii'e des « Ruthènes au sud des Garpathes, dans les frontières fixées « par les principales Puissances alliées et associées, sous la I. La question scolaire en Hongrie a élé réglée : Tout d'abord par la loi de i8G8. inspirée par le comte Eôlwôs, qui reconnaît aux confessions religieuses le droit de diriger leurs écoles sous la surveillance des inspecteurs scolaires, puis par la loi de 1879, sous le ministère Tisza, qui prescrit renseignement obligatoire du magyar, prescription renouvelée par la loi de i88a. Enfin la loi Apponji de lyoy sur les « conditions juridiques des écoles primaires privées » décide qu'après 4 années d'écolo l'enfant doit pouvoir exprimer sa pensée en magyar verbalement et par écrit; sinon, l'instituteur encourt une responsabilité. •à. C'est le programme exprimé à maintes reprises par les Saxons de Transylva- nie notamment dans leur mémoire au Parlement de Francfort en iSiiS : «iSou* « voulons être et rester ce que nous avons été, un peuple loyalement allemand « et des citoyens fidèles de 1 Etat auquel nous appartenons. » l'autonomie 265 « forme d'une unité autonome à l'intérieur de l'Etal tchécos- « lovaque munie de la plus ^'raiide autonomie compatible « avec l'unité de l'Etat tchécoslovacjue ('). » Le territoire dont il s'agit, situé sur le versant sud des Carpalhes. à la pointe orientale de la Slovaquie, comprend les trois comilals de lîereg, Ugoca et Marmaros, et la partie est du comitat d Uzhorod,soit un territoire comptant approxir mativement H. 0()0 kilomètres carrés et GOO.OOO iiahitants ('). Il n'englobe pas toute la population ruthènc ; d'autres élé- ments se trouvent plus à l'ouest, mêlés aux Slovacjues dans les comitats de Zemplin, Saris, Spiz, Abauj (')... On peut, sans crainte, évaluer ceux-ci à plus de lOÔ 000. Les Ruthènes de Tchécoslovaquie sont une branche de la famille des Petits-Russes ou Ukrainiens, représentés, d'après les dernières statistiques, par plus de 22 millions d habitants en Russie, et près de 4 dans l'ancien Empire austro-hon- grois (*). Leur langue est très voisine de la langue russe, dont elle ne diffère que comme un dialecte ; ils appartiennent à la confession uniatc. Bien que la Rulhénic des Carpalhes ait évolué depuis le xive siècle sous des influences occidentales, elle garde néan- moins une physionomie propre, qui la différencie profondément de la Slovaquie. Ce trait avait frappé la Conférence de la Paix : « Le territoire ruthène, avait elle constaté, a un ca- raclôre particulier et doit faire l'objet d un règlement à part » (*). I , Traité avec la Tchécoslovaquie, art. lo. a. Comilal de Bcreg : 3.787 kilomèlrcs carrés cl 207 6^7 lialiilanls. Comital de Ugoca :6o4 kiiomblre^ carris el 81.267 ''jbilan Is. Comilat de Mirmaros : 6.680 kilomètres carrés 01808.790 habitants. 3. Dans le Comilat de Zemplin, 38.986 Rulhèaes .sur a 10.989 habitants dans celui de Saris, iiS.ôoo sur 174.6^0 ; >Jaiis celui de Spiz: ij.3j7 sur 173.867. l\. aa.SSo.lSi en Russie, d'après la statistique do 1897, 3.8o3.oa3 en Au» Iriche-Hongrie d'après la statistique de 1910. 5. Voir dins l'introduction le discours de M. Bjnes, p. 11. 266 LA PROTECTION DES MINORITES C'est en effet un règlement tout à fait exceptionnel, que les traités ont établi en sa faveur. * * * 11 fait songer quelque peu à celui de certaines possessions britanniques. .. (( Le territoire des Ruthènes sera doté d'une diète auto- «nome. .. Le gouverneur du territoire des Ruthènes sera « nommé par le Président de la République tchécoslovaque (f. et responsable devant la diète autonome » ('). Les traités ont délimité les domaines dans lesquels la Diète exercerait sa compétence législative ; tout d'abord : « en ma- « tière de langue, d'instruction et de religion » : c'est-à- dire dans toutes les matières culturelles ; en second lieu, dans « les questions d'administration locale » ; la Diète agira ici, en quelque sorte, par délégation de l'Etat ('). Enfin, les traités ont laissé à la législation tchécoslovaque, la porte ou- verte, pour étendre, dans la mesure où elle le jugerait bon, les attributs législatifs de la diète : « Pour toutes les ques- tions que les lois tchécoslovaques lui attribueraient » ("). L'administration du territoire ruthène est exercée par les Ruthènes eux-mêmes : « La Tchécoslovaquie agrée que les « fonctionnaires du territoire ruthène seront choisis, autant « que possible, parmi les habitants de ce territoire » (*). Ces dispositions, très libérales, permettent aux Ruthènes, d'une part, de fixer eux-mêmes les lois qui régiront l'emploi de leur langue, l'exercice de leur religion et leurs écoles ; de l'autre, d'être administrés et jugés par des fonctionnaires choisis dans leurs rangs ; ils jouissent ainsi d'une self-admi- 1. Traité avec la Tchécoslovaquie, art. ii . 2. Le règlement établi par les traités se rapproche de la conception deM.Ren- ner, voir I" partie, cb. III : La formule de M. Henner. 3. Traité avec la Tchécoslovaquie, art. 1 1 . 4. Id,, art. 12. l'autonomie 267 nislralion complète et de la self-legislalion dans l»!s matiTMcs qui touchent à leur caractère dislinclif. Une autonomie, conçue, comme celle-ci, sous l'or déccntralisalion provinciale, est possible pour une m groupée sur un territoire très défini ('). Encore, cette solu- tion dans le cas des Rulhènes, n'est elle point parfaite, puis- (pi'un grand nombre d'entre eux. établis hors de leur terri- toire national, se trouveront exclus d(.'s avautaj^^es des tiailés. Cependant, telle qu'elle est, elle serait susceptible — au moins théoriquement — de trouver d'autres champs d"a[i|ili- cation que celui-là. Pour ne citer qu'un cas, qui a été envi- sagé, un régime du môme ordre pourrait s'adapter à la situa- tion géographique des Allemands de Tchécoslovaquie, en Bohème et en Moravie ('). C'est ce que suggérait, en leur faveur dans ses Contre-propositions du 10 juillet 1Î)19 la Délé- gation autrichienne à la Conférence de la Paix (' . iMais, comme nous le disions, en matière d'autonomie, les iraités se sont tenus sur la réserve ; dans la crainte sans doute des dangers politiques qui pourraient naître de ce régime, ils n'ont point voulu généraliser : ils l'ont confirmé en faveur des Saxons et Szcrkier en Transylvanie et des Valaques dans le Pinde ; ils ont largement décentralisé le ter- ritoire ruthène, trop différent du reste de l'Etat tchécoslo- I. Pour arriver aux mêmes résultats à l'égard d'une minorité qui ne serait pas groupée sur un territoire bien défini, il faudrait recourir au syslcmc de la personnalité. Voir I" partie, chapitre lll. a. Les Allemands de Tchécoslovaquie forment en Bohème 4 groupements denses, séparés par des régions de langues mixtes: r Celui du nord-ouest sur le8{)entes des monts Métalliques et de la forêt de Bohême (i g districts, 8(3 1.637 allemands ; proportion de loo o/o à t<5 o/o) ; a' celui du nord-est à rextréniilé des monts .Métalliques et dans la partie septentrionale du mont des Géants (i3 districts, 855. 3oi Allemands ; proportion de 99 0/0 à 79 0/0) ; 3' partie cen- trale du mont des Géants (3 districts, i5i . igS Allemands ; proportion de 96 0/0 à 75 0/0) ; 4° sud de la lorèl de Bohème (9G.000 Allemands) .îo^.ôga Allemands en outre sont disperses sporadiquement. En Moravie, 4 groupements : i' .Mâhrische Trubau (58 289) ; a' nord-est, le long de la frontière de Silésie (174.000) ; 3-^ district de Mentitschein (^i.SiS) ; 4° sud : district de Znain et Nitoisbourg, 359. 99G sont (lisper.-.és sporadi- quement. 3. Voir ces Contre-propositions, 1"" partie, ch. Jll, La formule de M. lienner, p. 5i. inoritéj / 268 L\ PROTECTION DES MINORITES vaque, pour pouvoir lui être assimilé : ils n'ont point été au delà. lî. — Minorités chrétiennes et musulmanes Lorsque l'on passe de l'Europe Centrale à l'Europe Orien- tale, des Etats chrétiens, à ceux dans lesquels Chrétiens et Musulmans voisinent, le problème se complique de la diffé- rence existant entre les statuts personnels des individus. Il y a alors une scission à établir, non seulement dans le domaine des institutions publiques — comme pour les Ruthènes en Tchécoslovaquie — mais dans celui du droit privé. Qu'il s'agisse des Chrétiens dans l'Empire ottoman, ou des Musulmans dans les Etats chrétiens, les données sont les mêmes. Mais, d'un cas à l'autre, il y a la distance qui sépare un problème résolu d'un problème à résoudre ('). a) Communautés chrétiennes en Turquie A l'égard des Chrétiens de Turquie, [les traités se sont en effet bornés, dans leurs grandes lignes, à maintenir le statu quo : « Le Gouvernement ottoman s'engage à reconnaître et à « respecter lautonomie ecclésiastique et scolaire de toute « minorité ethnique en Turquie. A cette fin, et sous réserve « des dispositions contraires du présent traité, le Gouverne- « ment ottoman confirme et soutiendra dans l'avenir, dans « toute leur étendue, les prérogatives et immunités d'ordre « religieux, scolaire ou judiciaire accordées par les sultans « aux races non musulmanes, en vertu d'ordonnances spé- « ciales ou de décrets impériaux (firmans, battis, bérats), « ainsi que par ordres ministériels ou ordres du Grand Vizir. ff Tous décrets, lois, règlements, ou circulaires émanant '■. du gouvernement ottoman et comportant des abrogations, V restrictions ou amendements desdites prérogatives et ira- I . Voir i" partie, chap. i^'', Chrétiens el Musulmans. l'autonomie 269 « inunités seront considérés h cet égard comnio nuls et non a avenus ('). » Ces privilèges, dont les premiers furent accordés, lors de son entrée à Gonstantinoplc, i)ar Mahomet II au Patriarche (H-lcu- ^ ménique. ont été éten(his dans la suite aux différentes com- munautés chrétiennes et à la communauté juive. Kn des termes très voisins de ceux du traité do Sèvres, le hutti- humayoum, rendu le 18 février 18oti à linspiralion de la France et de l'Angleterre, en avait confirmé la valeur!- , en même temps qu'il posait les principes du droit public otto- man. L'on peut, sur cette base, juger de leur étendue. I. Auto)iouùe relir/icuse. — L'autonomie religieuse est à peu près complète, tant en ce qui concerne la discipline et l'organisation hiérarchique, que l'adminislratiou des biens temporels de l'Eglise. Le chef de la hiérarchie ecclésiastique, le patriarche, est nommé « d'après les règlements d'élection en vigueur ».Une fois qu'il a reçu du sultan son diplôme d'investiture, et qu'il a, à son entrée en fonctions, prêté serment selon « une for- ila)et une Haute Cour d'appel, dans chaque sandjak un tribunal civil, dans chaque caza, un tribunal. Le président du tribunal est assisté de G muineiz (conseillers) : 3 Musulmans et 3 Chrétiens. Le tribunal connaît de toutes causes, à l'exception : 1° des contes- tations entre Musulmans ressortissants aux tribunaux du « Chéri » ou entre non-Musulmans ressortissants à la juridiction spéciale des communautés non- musulmunes ; a° des matières de la compétence exclusive des tribunaux do commerce. Voir Aristarchi bcy, t. II, p. 178 et suiv. 3. « une Commission... sera constituée dans les trois mois qui suivront la mise en vigueur du présent traité, pour préparer un projet de réforme judi- ciaire destiné à remplacer en Turquie le régime actuel des capitulations en matière judiciaire. » 274 LA PROTECTION DES MINOBITÉS b) [.es Musulmans dans les Etats chrétiens {Etat serbe-croate Slovène, Grèce, Arménie) La situation particulière des Musulmans en pays chrétiens fait l'objet d un article spécial des traités avec trois Etat: l'Etat serbe-croate-slovène, la Grèce et l'Arménie. (^) Ceux- ci ne pouvaient, comme le traité de Sèvres, se référer au droit public en vigueur ; mais, pour instaurer un régime nouveau, ils avaient un précédent dans la Convention internationale de Constantinople du 24 mai 1881, qui s'était, en Thessalie, trou- vée en présence du même problème ("). * * * Le premier paragraphe de cet article concerne le statut per- sonnel des Musulmans : « La (Grèce) convient de prendre, à l'égard des Musulmans, « toutes dispositions nécessaires, pour régler, conformément « aux usages musulmans, les questions de droit de famille et « de statut personnel. » D'après « les usages musulmans », ces questions sont réglées, nous l'avons vu, par les tribunaux du « Chéri ». La disposi- tion des traités se ramène donc à consacrer le pouvoir juridic- tionnel de ces tribunaux dans les territoire détachés de la Turquie. Elle le consacre dans son étendue actuelle. La Con- vention internationale de Constantinople, en maintenant les tribunaux de « Chéri » avait limité leur compétence aux « matières purement religieuses » (^). Au contraire, les traités actuels ont adopté le point de vue qu'avaient exposé aux Con- férences de 1881 les Plénipotentiaires ottomans: « Les affaires « et les procès concernant les legs, les donations, les succes- « sions, les mariages, les divorces et les parentés entre Musùl- I. Traités avec l'Elat serbe-croale-slovène, art. lo, avec la Grèce, art. i4, avec l'Arménie, art. 5 . a. Voir plus haut, a* partie, ch. I, p. ç)5. 3. Convention de Constantinople, art. 7 : « Los tribunaux du Gheri locaux continueront à exercer leur juridiction en matière purement religieuse ». i/AUTorsoMiB 275 « mans seront jugés par les Iribunanx et les fonctionnaires « du Chéri » ('). Les tribunaux et les foucliouiiaires du Chéri, romme les « Imans « chargés des fonctions purement religieuses, sont, dansl'Erapire ottoman, rattachés hiérarchiquement au Cheik- hul Islamat de Gonstanlinoplo, par (|ui ils sont nommés, de qui ils reçoivent leurs directives. Un problème se posait alors : les territoires cédés à la Grèce ou à l'Arménie étant détachés de l'Empire ottoman, les liens hiérarchiques et religieux existant entre les or^'anisations musulmanes locales et le Cheikh-ul-Islamat subsisteraient-ils ou seraient ils rompus ? Dans leur méraoirecité plus haut, les Plénipotentiaires otto- mans à la Conférence de Constant inople s'étaient prononcés avec force pour la première solution : « Les liens des tribu- « naux du Gheri. des Imans, des Khatibs avec le Cheikh ul- c( Islamat seront maintenus » (*). C'est la seconde qu'adoptent formellement les traités : « La Turquie renonce expressément h tous droits de sou- « veraineté ou de juridiction, de quelque sorte qu'ils soient, « sur les Musulmans soumis à la souveraineté ou au protec- « torat de tout autre Etat. I (( Aucun pouvoir ne sera exercé directement ou indirecte' > Autonomie dans les affaires qui leur sont propres ; codé- I . Trailé avec la Tchécoslovaquie, art. lo : « Le territoire des Ruthènes, dans les froiilières fixées par les principales puissances alliées et associées. » a , Voir Aalonomie des Rutliènes, chapitre VI. 3. Traité avec la Tchécoslovaquie, art. i3. L\ HEPHÉSENTATION PHOPORTIONNELLE 287 cisioii dans les affaires conmiuties (Selbslbeslimmung, Mit- bestimmung : l'on retrouve ici la formule de M. Ilenner ('). II. — Turquie. Grèce, Arménie Les dispositions qui figurent dans ies traités avec la Tur- quie, la Grèce et rArménie ne visent plus une province autonome, mais soit l'ensemble des territoires soumis à la souveraineté de ces Etats (Turquie, Arménie) ('). soit une partie de ces territoires, ne se distinguant pas des autres par un statut particulier (Grèce) (^). La procédure adoptée n'est pas la môme dans le traité avec la Grèce que dans ceux avec la Turquie et l'Arménie. L'Etat hellénique « s'engage à mettre en vigueur dans un délai de trois ans après la mise en vigueur du présent traité », une loi électorale conçue dans un esprit déterminé. La Tur- quie et l'Arménie ont à faire un projet, et à le « présenter aux puissances alliées », ce n'est que revêtu de l'approbation des puissances que ce projet deviendra loi. Aussi le délai de présentation est-il plus bref que le précédent : de deux ans au lieu de trois. « Le système électoral » qu'il s'agit d'établir, devra fetiir compte des droits des minorités ethniques, telle est la ré- daction adoptée dans les traités avec la Grèce et l'Arménie. Celle du traité avec la Turquie est différente : il devra être basé sur le principe de la représentation proportionnelle des minorités ethniques. Y-a-t-il, entre les deux formules, synonimie complète ? La seconde est, à coup sur, comprise dans la première ; mais la première ne comprend-elle que la seconde ? Ne laisse-t-elle pas place à d'autres systèmes, qui. tout en assurant une certaine représentation aux minorités, ne leur donneraient pas une représentation [)roportionnellc ? En examinant le projet que devra leur soumettre l'Arménie, I. Voir I" partie, cliap. III, les DifficuUés du problème, la formule de M . Renner. a. Traité avec la Turquie art. i.'|5, avec l'Arménie art. 4. 3. Traité avec la Grèce, art. 7 : « Cette disposition n'est applicable qu'aux territoires acquis par la Grèce postérieurement au i" «oui igiA. » 288 LA PROTECTION DES MINOUITÉS les puissances auront l'occasion de préciser leur interpréta- tion à cet égard. Les délais impartis aux Etats pour l'élaboration de ces- lois ont pour point de départ « la mise en vigue'ur des traités ; ces traités n'ayant pas été ratifiés, la question est actuellement en suspens ; et. en l'absence de lois interprétatives, il est dif- ficile d'examiner les modalités grâce auxquelles le principe de la représentation proportionnelle pourra être appliqué aux cas visés. Cependant, avec des variâtes — c'est là ce que l'on peut dire — ces systèmes électoraux se ramèneront fatalejnent à 1 un des deux types fondamentaux, qui résument toutes les possibilités : territorialisme ou personnalisme : le premier consistant à adopter un tracé des circonscriptions électorales conforme au prineipe des nationalités et à répartir les sièges- entre les circonscriptions de façon équitable , le second, à établir des circonscriptions suffisamment larges, pour que dans leur cadre les éléments de même nationalité puissent s'organiser en curies électorales distinctes, et à répartir les sièges entre circonscriptions, et, dans chaque circonscription, entre curies, suivant les principes de proportionnalité. Le premier de ces systèmes n'est applicable qu'aux minorités territoiialisées ; le second permet de tenir compte des aspira- tions des différents groupes ethniques vivant sur le même- sol. m. — Territoire de Smyrke ' ville d'Andrinople Outre celles que nous venons d'analyser, les traités avec la Turquie et la Grèce contiennent des dispositions plus préci- ses visant, le premier le territoire de Smyrne ('), le second la ville d'Andrinople (-) La ville et territoire de Smyrne (') sont régis, d'après les I. Trailéavec la Turquie (art. 72). 'j. Traité avec la firèce (art. i5). 3. Les limites géograpliicjucs du territoire de Sni^rnc ont été définies dan^ l'article 0(3 du traité avec la Turquie. LA REPRKSENTATION PROI'ORTION N E M.E 289 traités, par un statut très spécial. Ils restent sous la souve- raineté théorique de l'Empire ottoman, l'exercice des droits 4ie souveraineté étant transférés à la Grèce ('). A l'expiration d'une période de cinq années depuis la mise en vigueur du traité de Sèvres, « le Parlement local pourra, par un vote « émis à la majorité des voix, demander au Conseil de laSo- « ciété des Nations l'incorporation définitive dans le royaume « de Grèce de la ville de Smyrne et du territoire décrit à l'ar- « ticle GO (') )). Il importait donc, ici plus qu'ailleurs, à cause du rôle tout -exceptionnel, qu'il était destiné à jouer, de faire du Parle- ment l'image exacte de la population. Aussi, l'article 12 du traité de Sèvres, avec une insistance toute particulière, pré- €ise-t-il. « Il sera institué un Parlement local avec un système élec- « loral propre à assurer la reprrsen/alion proportionnelle de « toutes lesfractions de In population, y compris les minori- « tés ethniques, de langue et de relirjio>iÇ). Dans un drlai de six <( mois à dater de la mise en vigueur du présent traité, leGou- <( vernement hellénique devra soumettre au Conseil de la So- « ciété des Nations un projet de système électoral satisfaisant « aux conditions prévues ci-dessus : ce système ne pourra « entrer en vigueur qu'après avoir été approuvé par ledit arfaite. Dans celle concordance, ne faut-il voir que rencoalre for- tuite? Il ne semble pas. Par leur forme et [)ar leur fond, par leur mode d'exéculion comme par leur principe, raulonomie et la représentation proportionnelle sont étroitement appa- rentées : le problème, dans un cas, est vu du dedans, dans l'autre du dehors ; mais c'est le même problème, ou mieux la môme conception. Parente de forme et de moyen tout d'abord : à leur base, la représentation proportionnelle, comme l'autonomie, exigent qu'une distinction soit établie entre les membres des diffé- rents éléments ethniques. Cette distinction peut se faire en passant par l'inlerniédiaire du territoire : le territoire des Rulhènes est délimité : il a une Diète autonome ; il envoie représentation équitable à l'Assemblée de Prague. Elle peut se faire direclemeut entre les individus, la « ualionalité » (Nalionalilàt) devenant partie intégrante de leur statut juri- dique :1e Musulman, en Grèce ou en Arménie, a un statut juridique différent du Chrétien ; il est justiciable d'autres tribunaux que lui; il peut être électeur dans d'autres curies. Parenté de fond et de principe aussi : l'autonomie fait de la minorité un groupe, une « communauté distincte »; et c'est parce qu'elle est une « communauté distincte », que se jus- tifie sa représentation proportionnelle dans les Assemblées de l'Etat. Si la notion de collectivité vient h disparaître, l'idée même de comparaison que l'on trouve dans le terme do «représentation proportionnelle » cesse d'être intelligible. Il n'y a plus (jue des individus; il ne peut plus y avoir que des droits individuels. Dès lors, il n'y a pas h parler d' « éga- lité proportionnelle », mais seulement d'égalité arithmétique: c'est la conception atomistique. ., Entre ces deux conceptions, les traités — nous avons cher- 292 LA rnoTECTioN des minorités ché à le montrer au cours des chapitres précédents, — ont choisi la seconde. Gomme les centralistes autrichiens, ils se sont efforcés d'établir les dispositions relatives aux minori- tés sous forme impersonnelle et générale. Ils se sont défen- dus surtout de faire des minorités, « des communautés poli- tiques distinctes (') ». Et, s'ils se sont parfois départis de cette attitude, ce n'est que dans des cas très déterminés, où l'assimilation était impossible, etoii ils ne faisaient que con- firmer une situation existante. Peut être en adoptant ce point de vue, les traités ont-ils méconnu les données réelles du problème? Ils ont laissé cer- taines questions sans réponse (-) ; les réponses mêmes qu'ils ont données sont de garantie précaire, parce qu'étant imper- sonnelles, elles constituent des droits, sans qu'il y ait un « sujetdu droit », juridiquement capable dintenter une action pour les défendre (')... Mais, les traités semblent avoir été dominés parla crainte de tomber dans l'autre écueil: l'affaiblissement de l'unité de iEtat... 1. Dans la lellre à M. Paderewski, le Président de la Conférence insiste sur jce point : « Elles (ces clauses) ne constituent pas une reconnaissance des Juifs ' en tant que communauté politique séparée dans l'Etat polonais. » 2. Ainsi, la répartition des fonds publics, l'aulonomie, les questions écono- jniques, la représentation proportionnelle, 3. Voir plus loin le chapitre X : les garanties d'exécuUon. CHAPITUK IX RÉPARATIONS Les dispositions précédentes forment un bloc: elles regar- dent l'avenir, et, avec plus ou moins de généralité, tentent de le prévoir et de l'organiser. Mais le problème des minorités n'était point tout entier dans l'avenir. Les populations cbréliennes de Tunjuie, vic- times pendant la guerre de déportations en niasses et de massacres, les Juifs de l'Est victimes de pogromes, récla- maient aussi la liquidation du passé. C'est un aspect nouveau du problème : son aspect de réparation. Au reste, la question des réparations ne se limite pas à ces cas déterminés. Massacres et pogromes peuvent se repro- duire; et, sans aller jusqu'à ces lragi(|ues hypothèses, il est permis d'envisager des mouvements nationaux atteignant, dans leurs personnes et dans leurs biens, certains sujets d'un Etat. LElat doit à tous les habitants de son territoire pleine protection de la vie et de la liberté. Mais qu'il renonce à rem- plir ce rôle, qu'il ne le puisse pas, qu'il soit surpris dans sa vigilance, voilà une situation de fait à régler : sur quelle base? par (juelle procédure ? qui tenir pour responsable des désor- dres'?... A toutes ces (juestions, l'on chercherait en vain une réponse de principe dans les traités. Des mesures relatives au.K répa- rations n'ont été prises qu'à l'égard de la Turquie. .Mais y a-t-il là l'élément d'une généralisation possible? [. — Les Réparations dans le traité avec la Turquie Les années de guerre ont été manjuées en Turquie par des conversions forcées, des déportations en masses et des mas- J. Fouques-Duparc 19 294 LA IMtOTECTION DES WINOPITÉS sacres à l'égard des populations chrétiennes en général, et plus particulièrement des Arméniens ('). 11 est difficile de donner des précisions sur le nombre des victimes. Les renseignements que l'on possède sur la question ne concordent pas ; l'accord n'est même point établi sur le nombre des Arméniens avant la catastrophe. Le patriarcat arménien l'évalue à 2.100.000; le Gouvernement ottoman à 1.100.000: le -< Livre bleu (^) » anglais entre 1.600.000 a 2 miUions. D'après ce même document, 600.000 auraient été massacrés ; 600.000 en 1916 survivaient aux lieux de leur déportation. Ces déportations se firent en général sans délai, ou dans un délai très bref. Les Arméniens, atteints par cette mesure, n'eurent ni le temps de liquider leurs immeubles, ni la pos- sibilité d'emporter leurs meubles. Ceux-ci furent pillés ; ceux-là, aux termes de la loi de 1915 sur les propriétés aban- données, passèrent aux mains de nouveaux propriétaires. Il y avait donc, pour les traités, plusieurs problèmes à résoudre : permettre aux convertis par force de revenir à leur foi d'origine ; rendre la liberté aux détenus ; remettre les déportés en possession de leurs biens. a) Conveî'sions forcées Les conversions semblent avoir été encouragées par le Gouvernement ottoman, comme un moyen de parvenir à l'assimilation des populations allogènes : pour les Chrétiens, elles furent un moyen d'échapper à la déportation. Le trait est noté par .plusieurs observateurs: « Partout, il est arrivé, « dit le Df Niepage,que des Arméniens adultes ont pu sauver « leur vie, en embrassant l'islamisme (»). » « En beaucoup I. Les déportalioDs des Arméniens se firent d'avril à novembre iQib. Sur ce sujet une nombreuse littérature. Voir Mandelstam, le sort de fEmpire ottoman, p. 2^5 et suiv. a. Ces évaluations sont données par le livre bleu anglais. The Ireatmenl of Armenians in the Ottoman Empire, 1915-1916 (p. 6'j6-65i et 6()4). 3. D' Niepage, Quelques documents, Ul, p. i54-i55. HKI'AIIATFONS 295 « de cas, (îcrit Lcpsius, lo seul uioyen (l'échapper à la dépor- « tatioii était de [)asser à l'Islam... On a des informations de « tous les vilayels, disant (4U0 les autorités tunjues elles- « m(>mes offraient celte issue, et qu'en règle générale, tous « les Chrétiens qui se déclaraient prêts fi embrasser l'islam « étaient exempts de la déportation et des massacres {',. » C'étaient là des conversions forcées ; mais les autorités ottomanes eurent souci de voiler leur caractère véritable. A cette fin, dit Lepsius, « on présenta souvent aux convertis « des documents où ils devaient attester, par leur signature, « qu'ils avaient accepté de plein gré de passer à l'Islam (') ». Dans ces conditions, il y avait impossibilité à peu près complète, de distinguer, parmi les conversions accomplies dans les années de guerre, celles (jui étaient spontanées de celles qu'avait dictées l'instinct de conservation. Aussi les traités ont-ils pris une mesure radicale : ils ont considéré toutes les conversions qui ont eu lieu dans celte période, comme forcées, parlant comme nulles : « Considérant qu'eu raison du régime terroriste ayant existé « en Turquie depuis le 1®'" novei^bre 1914, les conversions à « l'islamisme n'ont pu avoir lieu normalement, aucune con- « version ayant eu lieu depuis cette date n est reconnue ; et a toute personne, non-musulmane avant le 1" novembre 1014, « sera considérée comme telle, à moins qu'après avoir recou- « vré sa liberté, elle ne remplisse, de sa propre volonté, les ft formalités nécessaires pour embrasser l'islamisme (^). » b) Mise en liberté des personnes La mise en liberté des personnes présentait de sérieuses difficultés d'exécutioa. n'y avait tout d'abord à retrouver ces personnes, à les iden- tifier... Or, si c'était \h chose relativement aisée pour les hommes, (jui avaient été groupés dans des camps de concen-. I. Lepsius, les Massacres d'Arménie (l'ayot, 1919), p. aî^'a. a. Lepsius, id., p. a8a, a83. 3. Traité avec la Turquie, art. i.'t3. 296 LA PROTECTION DES MINORITÉS tration, des dépôts..., il n'en allait pas de même pour les femmes et les enfants : celles-là avaient été, en partie, prises dans les harems turcs et les villages kurdes ; ceux-ci adoptés par les familles musulmanes. L'on pouvait craindre, à juste litre, l'influence exercée par le milieu sur ces individus, pour les empêcher d'établir leur identité et de réclamer leurs droits. Le traité avec la Turquie ne s'est point contenté, dans ce cas, de poser un principe, il a prévu des commissions : « Com- missions mixtes », « qui seront nommées par le Conseil de u la Société des Nations ». Ces commissions auront un rôle d'enquête et un rôle de décision : elles sont chargées de « recevoir les plaintes des vic- « times elles-mêmes, de leurs familles et de leurs proches », de « faire les enquêtes nécessaires» et de « prononcer souve- (( rainement la mise en liberté des personnes en ques- « tion» ('). Dans cette mission délicate, le Gouvernement ottoman devra leur prêterl'appuideses moyens, et se charger deTexé- cution de leurs sentences : « Le Gouvernement ottoman s'engage à donner tout son « appui et celui des autorités ottomanes à la recherche et à la « délivrance de toutes les personnes, de toute race et de toiite « religion disparues, ravies, séquestrées ou réduites en capti- « vite depuis le l*^"^ novembre 1914... Il s'engagea faciliter « l'action des commissions mixtes... Le Gouvernement otto- « ma-n s'engage à faire respecter les décisions de ces commis- ce sions, et à assurer la sûreté et la liberté des personnes « ainsi restituées dans la plénitude de leurs droits (-). » c) Restitution des biens L'article 144 est consacré à la question des biens : « Le « Gouvernement ottoman s'engage solennellement, à faciliter « dans toute la mesure du possible aux ressortissants otto- I. Trailc avec la Turquie, arl. i^a. a. Id. RÉPARATIONS 207 <« inaiisdcrace non-turque, chassés violeinmcnlde leurs foyers, « soit par la crainte de massacres, soit par lout autre moyen « de contraiute depuis le !'■ janvier 1914, le retour dans leurs « foyers, ainsi que la reprise de leurs affaires. » Et, passant du ^^énéral au parliculior, cet article précise : « Le Gouvernement ottoman reconnaît que les biens inimobi- « tiers ou mobiliers, qui pourront être retrouvés, et qui sont « la propriété desdits ressortissants ottomans ou des commu- « nautés, aux(|uelles ap[)artiennent ces ressortissants, doivent « L^tre restitués le plus tôt possible, en quelt/ues mains qu'ils « soient rclrouvh. Les biens seront restitués, litjres de toute « charge ou servitude, dont ils auraient été gre.vés. et sans « indemnité d'aucune sorte pour les propriétaires ou déten- ir teurs actuels sous réserve des actions que ceux-ci pourront « intenter contre leurs auteurs Ç) . » Il s'agit là de restituer aux propriétaires originaires les biens « qui pourront être retrouvés », non de les indemniser pour ceux qui auront été perdus. Pour apprécier les condi- tions de cette rcslitution, il faut rapprocher la disposition des Traités de celles qui, dans les législalions intérieures, ré- gissent les matières similaires. * * Les biens mobiliers, fjui appartenaient aux communautés ou à leurs membres, et ([ui sont, par suite des déportations, passées en d'autres mains, sont pleinement assimilables aux « choses volées » dont le Code civil français s'occupe dans ses articles 2271) et 2280. Quelle est la solution du Gode? « En fait de meuble, possession vaut titre » dit l'arlicle 2270. u Néan- « moins, celui qui a [»erdu, ou au(juel a été volée une chose <( peut la revendiquer pendant trois ans, à compter du jour « de la perte et du vol, contre celui dans les mains duijuel il <* la retrouve; sauf à celui- ci son recours contre celui duquel il il la tient ». Toutefois, le Code fait une réserve : « Si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue l'a I. .\rl. i4i. 29s LA PROTECTION DES MINORITES « achetée dans une foire, ou dans un marché, ou dans une « vente publique, ou d'un marchand vendant des choses pa- « reilles, le propriétaire originaire ne peut se la faire rendre « qu'en remboursant au possesseur le prix qu'elle lui a « coûté ('). » Le souci dont témoigne cet article du Code, d'assurer au propriétaire de bonne foi — (et ici le mode d'acquisition fait présumer de sa bonne foi) — la tranquille possession de la chose ne se trouve point dans l'article 144 du traité avec la Turquie : aucune distinction n'est établie entre le proprié- taire de bonne et de mauvaise foi; aucune, suivant le mode d'acquisition des biens mobiliers. En quelques mains qu'ils soient retrouvés, ils devront être restitués au propriétaire originaire, restitués « sans indem- « nité d'aucune sorte pour les propriétaires ou détenteurs « actuels », qui n'auront, comme dans le cas de l'article 2279, de recours que contre leur auteur, recours précaire, soumis à tous les risques d'une insolvabilité possible. En matière immobilière, il est plus difficile de trouver un sujet de comparaison. Les formalités dont s'accompagnent en temps normal les cessions d'immeubles excluent l'hypothèse d'une dépossession brutale ou accidentelle. Pour retrouver une situation semblable, il faut remonter jusqu'aux époques de troubles, en France jusqu à la a loi sur les biens nationaux », loi de dépossession immobilière au même titre que la loi ottomane de 1915 « sur les propriétés abandonnées » lEmval-i-Metrouké). L'on sait quelle a été l'attitude de la Restauration à l'égard des acquéreurs de ces biens ; elle n"a point touché à leurs titres de propriété, mais a seulement cherché à indemniser les propriétaires évincés. Nous avons vu qu'au contraire l'article 144 décide que les biens immobiliers et mobiliers qui pourront être retrouvés devront être restitués aux propriétaires originaires. I. Gode civil, arl. aaSo. RÉPARATIO>'S 299 Les litres des nouveaux détcnleurs ont été confirmés par la loi de 1915. Le Iraitô avec la Turiiuie annule celte loi. « Le Gouvernement ottoman reconnaît linjusticede la loi de « 1915 sur les propriétés abandonnées, ainsi (|ue de ses dis- « positions complémentaires, et les déclare nulles et de nul « effet dans le passé comme dans l'aveni)' ('). » Ces propriétés ont été vendue ou grevées de servitudes' par les nouveaux détenteurs. Les Commissions arbitrales, prévues par l'article 144 auront le pouvoir d'ordonner :« l'aniudation « de tous actes de vente et constitutions de droits sur la pro- ft priélé immobilière, conclus après le h' janvier 1914 ('-) ». Toutefois, le traité avec la Turquie est moins rigoureux h l'égard des détenteurs d'immeubles, qu'il ne l'est vis-îi-vis des détenteurs de biens mobiliers : il leur reconnaît le droit à être indemnisés : « L indemnisation des détenteurs sera à la « charge du Gouvernement ottoman, sans pouvoir servir de " prétexte, pour retarder la restitution ('). » Et môme, si quelque somme a été payée par le détenteur actuel de la propriété en question, « la Commission arbitrale « aura le pouvoir d'imposer des arrangements équitables entre « les intéressés (*) ». Le principe de l'article (44 demeure donc; mais, dans son application, il sera tenu compte des considérations de fait. Les Commissions arbitrales, dont on vient de voir un des attributs, sont chargées, comme les « Commissions mixtes •> pour l'exécution de l'article 142,- de w connaître de toutes les « réclainatioQS visées par le [)résent article et de les juger sui- ^mblée « demande au Conseil de nommer une {]ommission permanente chargée de « recevoir les plaintes adressées à ce sujet à la Sociélé des Nations et de pré- « parer un ra[)port en procédant au besoin à des enquêtes sur place. » Cette proposition fut retirée par suite de la pratique conforme suivie par le Conseil en ces matières. G\I> .. Ce mot. exact encore en 11)14, ne Test [)lus, de[)uis que leslrailés (pii ont mis fin à la guerre, ont fait de ce i)rinripe la Charte constitutionnelle de dix des Klals de l'Europe Centrale et Orientale. L'on ne saurait s'étonner de cette innovation. Le Droit des Gens n'est pas limité dans son objet. 11 doit se renou- veler sans cesse, pour rester en contact avec les idées et Jes m(uurs(jui, elles-mêmes, évoluent. Bluntschli, pour marquer son caractère de perpétuel transformisme, dit, de lui, qu'il est « un devenir » (ein Werdendes) Les réalisations actuelles auraient sans doute étonné, il y a une vingtaine d'années, des esprits audacieux. Il est probable ([u'elles seront à leur tour dépassées par les réalisations de l'avenir. Dans le domaine limité (jue nous étudions, les étapes de ce développement ont été marquées par les grands Congrès inlernationaux,qui,depéiiodcen période ont fixélestatut ter- ritorial de l'Europe. Achacunede ces grandes mises au point, a correspondu un enrichissement du patiimoinc du droit public européen : le Congrès de Berlin (jui détermine le sort de la Péninsule des Balkans proclame la liberté de conscience. Les traités de IDlU-jQiO, (jui refondent toute lEurope Conti- nentale, imposent aux l'^lats transformés le |trincipc des natio- nalités, comme base de leur organisation interne. J FoiKiiios-Dwparc 21 326 LA PROTECTION DES MINORITES Ce principe n'était point nouveau. Depuis plus d'un demi- siècle, il avait été proclamé et était appliqué en Autriche. Dans toutes leurs dispositions, dans lesquelles elles ont innové par rapport aux traités antérieurs, les clauses de minorités actuelles se sont inspirées, nous l'avons vu, de la constitution autrichienne de 1867. Elles n'ont fait en sommeque reprendre et généraliser les termes de l'article 19 qui reconnaissait à tous les peuples de l'Empire le droit de maintenir et de déve- lopper leur nationalité et leur langue. En Autriche, ce droit avait triomphé naturellement, en dehors de toute influence extérieure, parle seul jeu des forces en présence. 11 devait en être ainsi du jour où le gouverne- ment de ce pays devenait constitutionnel et représentatif. Aucun peuple n'ayantla majorité dans l'Empire, et par consé- quent au Reichsrat, ne pouvait oser prétendre dicter seul sa loi aux autres. Tous, par nécessité, étaient donc conduits à la modération, chacun songCÊttit à se garantir, faute de pouvoir dominer. C'est ainsi que les déclarations d'égalité nationale rallièrent les suffrages, non point tant à cause de leur caractère absolu d'équité, que parce qu'entre des intérêts et des ambitions contraires, elles étaient le seul compromis sur lequel l'entente se put faire. . . Cette formule d'équilibre ne correspondait plusàla situation des Etats issus des traités, construits sur le principe des nationalités. Ici, la prédominance d'un peuple résultait du jeu des forces en* présence, avec la même logique qu'en Autriche l'égalité de tous. Il revenait donc aux traités, pour ne point se départir des grandes idées de justice qui les avaient inspirés dans la répartition des territoires, d'imposer ces règles aux Etats nouveaux : faute de quoi, le principe des nationalités, princi[)e libéral dans son essence, eût risqué de devenir à rebours, dans son application, une licence donnée à l'oppres- sion. coNcr.i.sioN ri27 II Sous la fortno de règle de droit public, (ju'il rcvèl dans les clauses de minorités, le principe des nationalités apparaît donc comme la suite et le prolongement nécessaires du prin- cipe des nationalités appiicjué à la répartition des territoires. II le complète et le parfait ; mais en même temps, il faut le reconnaître, il le contredit et le transforme. A l'époque oiî Mancini en exposait la théorie, le principe des nationalités semblait une solution définitive et simple. En confondant dansi'Elat national, l'Etat et la nation, il éliminait du droit public, les difficultés avec lesquelles sont aux prises les Etats hétérogènes. Lorsque l'on admet que les droits nationaux sont des droits personnels, l'on réintroduit ces difficultés dans le cadre de l'Etat national. Comme l'Etat composé de nations, celui-ci connaîtra la diversité : diversité des langues, diversité des institutions, diversité qui, dans les revendica- tions extrêmes des minorités, s'exprime par l'établissement d'un régime cantonal ou du personnalismc des lois.. . La réalisation d'un tel programme va sans conteste fi ren- contre de la fin de l'Etat national, qui est d'achever et de parfaire une unité dont il possède les éléments. Elle peut n'être pas sans dangers pour lui. En donnant aux populations allogènes des institutions conformes à leur génie, note Har- denberg en 1815, on leur apprend à distinguer entre « la vie nationale » et « le système politique ». Les effets heureux du lllx-ralisme de l'Etat sont en 1920 coiitrecairés par liid'UuMice du milieu ; le principe des nationalités, érigé depuis près d un demi-siècle en dogme politique, a eu pour conséquence d'entretenir et de consolider dans les esprits la confusion entre les idées qu'Hardenberg oppose... Dans l'Europe reconstruite par les traités actuels, il semble aussi difficile aux minorités de distinguer entre les aspirations nationales et politi(nies étroitement unies de toutes parts, qu'à l'Etat de renoncer à parfaire son unité... 328 LA PROTECTION DES MINORITES m Loin de rendre les Etats plus indépendants les uns des autres, comme le pensaient ses premiers théoriciens, le prin- cipe des nationalités, tel qu'il nous est révélé par Tapplica- tion qu'en ont faite les traités, a donc abouti à une pénétra- lion plus intime de leurs intérêts matériels et même de leurs intérèls moraux. Le problème des minorités est un de ceux qui montrent le mieux cette interdépendance des intérêts. Susceptible à tout moment d'entraîner des répercussions eu- ropéennes, il déborde le cadre du droit interne, et ne peut ôtre régie isolément. Sa solution est liée à l'organisation d'une Société internationale, capable de garantir à la fois les mi- norités contre l'oppression de l'Elat, et l'Etat contre les ten- dances séparatistes des minorités. Les socialistes, qui ont poussé le plus loin cette théorie, ont conclu que l'application du principe des nationalités appelait comme corollaire l'institution d'une Société des Nations souveraine. M. Paul-Boncour résume cette idée à la tribune de la Chambre des députés au sujet cja traité avec la Hongrie, a 11 faut que la réorganisation sur le droit des « nationalités soit couronnée par une organisation générale « et juridique de l'Europe ('). » Dans un ouvrage écrit au cours de la guerre (-), M. Renner a développé la môme thèse, en prenant comme base de sa démonstration la silua- tion nationale en Autriche. De même qu'il voit dans le « Reich rt un élément de coordination et de pondération nécessaire à l'organisation des nationalités de l'empire, de même il ne conçoit l'organisation des nations dans le monde, que si un organe souverain, comme un « Reich», plus vaste, vient se supposer à elles. Cet organe, pour le définir, , il l'ap- pelle « l'Etal mondial » (Weltstaat). r. Discussion à la Gliambre des dc^putôs sur le traite de Trianoa séance du 7 juin 1921 (^Journal officiel du 3, p. a575). 3. Das Selbstbeslimnmngsrechl der Nalionen,op. cil. CONCLUSION 329 IV Les traités se sont inspirés de cette idée, en confiant à la Société des Nations la garde (les clauses de minorités et le soin de veiller à leur application. Mais la Société des Nations qu'ils ont édifiée est loin de répondre à la conception socia- liste. Son droit de contrôle et d'investigation par rapport aux Etats est striclemenl délimité. C'est (jue des considérations de fait s impos.iinnl aux négociateurs de l'JlO-1920. Le Président du Conseil le rappelle à M. Paul-Boncour (]ui lui présente la thèse socialiste : « Les jeunes nationa- « litésà peine nées etqui, demain, seront de grands peuples, « ont si ardemment désiré la vie que, tout d'abord, parmi le « bouillonnement qui accompagne leur naissance, apparaissent (f des aspiralifjiis plus ou moins vastes et des pensées forcé- « ment égoïstes. // est très difficile d'appelt^r l'ensemble des « /teupies à sacrifier suffisaninv-ïU de souceruineié nationale, «. pour qu'une sorte de supernatio)i finisse par s'élever, pour- ii rue de toutes les sanctio)is matérielles et morales qui « imposent la paix {^) . » Ce môme souci de ménager les susceptibilités a conduit les auteurs des traités à reconnaître les droits des mino- rités dans la forme (jui contrariait le moins les tendances nalureliemenl centralisatrices de 1 Etat homogène. C'est ainsi (jue les droits nationaux ont été stipulés comme des droits individuels, alors que dans la pensée des minorités ils sont et doivent être des droits collectifs, .\ussi les clauses de 19J9-1920 sont-elles loin de satisfaire, dans leur état actuel, aux as[)i rations des minorités, i\\\\ ne leur ont pas ménagé les ciitiques. Telles qu'elles sont, avec leur audace de principe et leurs timidités de réalisation, «Iles reflètent les tendances contra- dictoires qui se sont heurtées lors de l'élaboration des traités de paix... Elles représentent unefforlde conciliation entre les 1 . Réponse du Président du Couseil u .M. l'aul-Boncour, Journal officiel du 8 juin 1(^31, p. a3g2 . 330 LA PROTECTION DES MINORITES idées nouvelles de « self-Govcrnment » et de solidarité inter- nationale, proclamées au cours de la guerre, et les souvenirs Droit des Gens classique respectueux de la souveraineté de l'Etat... Dans quel sens sont-elles destinées à évoluer ? Autant vaudrait-il demander : des deux tendances opposées qui se rencontrent en elles, laquelle l'emportera en dernier lieu? APPENDICE I STATISTIQUE DES NATIONALITES DANS LES ETATS SUCCESSEURS DE LEMPIRE AUSTRO-HONGROIS r Tchécoslovaquie; 2° Etat serbe-croate-slovène ; 'i' Roumanie ; 4° Autriche. 332 I.A PIIOTECTION DES MINORITES a o O o Œ U C/D v3- O ce c/5 co CN vr m r> V3- vd- VT va- cr fO vr o taD VT vr UD 00 O o *~ h^ co" es AI'l'KMMf.K I 33.'^ m Y. -a O c/) H O H .g 2 « 00 « — — m 00 « « o v-r - — in — I I 00 o m ro m o 00 o o c 3C o o c - c :o •o - « - C-. o c Z c » i N c y:. vT — 1': _r~. ^2 .L> j: — — o E ^ — < o roo QO ç v5- rt — — O c o o o VT O O > _o 55 o « VT O Ci U en v - •u *■■ o •^ -o o a o O ^ — 05 »i _ -a -• — «8 a td 334 LA PROTECTION DKS MINOHITES o 05 o o o o Cl co - — en vr ?o I s GO C S ci E O "O o O a ,0 OQ o .a: 03 O H -= o ~ ii. a o ii: £--0 j, te v-"" t» <0 "in " 0) a "> S d ° o «J " - « "d fc 3 <1> ^ (^ û u I -J « ci co g -it Al-|'tM)lCE I 335 ALTUICHE Minorités tchèques es Autriche D'après le recensement du M décembre 1910, le nombre total des Tchèques dans les pays fédéraux de la République d'Autriche était le suivant : Population totale Tchèques A Vienne 2 031.421 98.430 En Basse-Autriche (Vienne non compris) I.o00.1o3 23.838 En Haute-Autriche 852.975 2.017 Au Salz bourg 214.737 222 EuStyrie 1.444.1:30 975 En Carinthie 396.228 358 AuTyrol 946.G13 4.222(' Au Vorarlberg ') li5.40S 177 .531.065 130.239 I . Les pays sus-indiqués comprenoeol les lerriloires dont ils étaient formés eu 1910 (c'est-à-dire y compris les territoires cédéi à d'autres Etats en \ertu du traité de Saint-Gerraain-en-Laje). 3. Le nombre élevé de Tchèques dans le Tvrol (4.a33) s'explique par le fait que les soldats tclièques en garnison au T>rol méridional en 1910 y étaient com- pris. Les 2.017 Tclièques en Haule-.Autriche se recrutaient parmi la population ou\rière flottante des usines de Linz,Ste>r elNVelset parmi les soldats du 16* ba- taillon de chasseurs en garnison à Fruistadt en 1910. APPENDICE lî LES JUIFS DE POLOGNE Les Juifs constituent en Pologne, comme dans toute cette partie de l'Europe, une minorité importante numéri(]ue- ment et d'un type très particulier. Ils diffèrent de la plupart des minorités par leur caractère à la fois religieux et natio- nal, par la forme très accusée de leur répartition géographique, parleur spécialisation économique, par leur vie sociale, par leur histoire, par leur situation juridique : tous ces éléments in- tervenant ontconcouru à former les aspirations juivesacluelles, à créer le problème juif ; ils sont intéressants à préciser, étant donné les fréquentes allusions qui y ont été faites dans le cours de cet ouvra'^e. I. — Nombre et répahtition GÉOGRAPHiQuii; Nombre. — 11 n'a pas encore été procédé, dans la nouvelle république de Pologne, à un recencement des nationalités ou des confessions religieusjes. L'on ne trouve donc d'indication sur le nombre des Juifs que dans les statistiques des Ktals partageants. Les dernières qui furent établies en Autriche et en Russie donnaient les chiffres suivants : Galicie (') 871.893 Royaume du Congrès (') 1.957.000 Pour connaître approximativement le nombre des Juifs dans la Pologne actuelle, il faudrait ajouter à ces chiffres ceux des Juifs établis dans les territoires cédéspar l'Allemagne I. Stalistique aulricliieanc de 1910. 3. Slalislique russe de 1897. APPENDICE ÎI 337 au traité de V'ersailles (environ 2o.00U) et par la Russie au traité de Riga (environ 700. 0(H)) ('). On arriverait à un total — tout a[)proximatif — de3 millions îii)0. 000 Juifs ; soit environ 1/11 de la population de Pologne. Densilc dans les dijjérentes rryions Leur densilé relalivemeiil à la population totale est loin d'être uniforme dans toutes les régions. Elle est de beaucoup la plus forte en l*ologne russe (moyenne : 1^ 0/0 ; maximum 20 0/0 dans la province de Varsovie ; minimum : 9,1 0/0 dans la province de Kalisk). Elle est moindre en Galicie (moyenne: 10,80 0/0 .maximum 1*J, I 0/0 dans le district de Kolomea ; minimum ; 1,0 0/0 dans le district de Saysbuscli). Elle est relativement très faible en Pologne prussienne (1.25 0/0) à peine supérieure à leur densilé moyenne dans le Reich C^). Rèpartilion entre villes, bourgs et cninpngncs Les Juifs sont en Pologne russe comme en Galicie une po|)\iIalion urbaine —populationde villes et bourgs — ils forment pour user de la forte expression de M. Rosenfeld, au milieu de la grande mer chrétienne et slave qui les entoure, tantôt des îlots perdus, tantôt des archipels. a) no]/nuuie iluCongrès. — La population juive du Royaume du Congrès se répartirait ainsi, d après M. Wasiiitynski entre villages, bourgs et villes (en ly 10). I l^ar le Irailc de l>iga, les Polonais onl acquis une partie ilc la province de W iliio, la province de (irodno en entier, un tiers de la province de Min>k et une moitié environ de la Wollijnie. La statistique russe do i*^<(7 donnait des Juifs dans ces provinces les chidres suivants : VVilno. . . 20I.686 iJ,St3 o/o Grodno 380.489 17.490/0 Minsk Si^.oif) iG,ot) 0/0 Wolbyiiie 398.782 i3,a 0/0 a. Statistiques oriicielles russe, autrichienDe et prussienne. 338 I.A PROTECTION DES MINORITES 12,7 0/0 dans les villages. 27.1 0/0 dans les bourgs 60.2 0/0 dans les villes ('). Par rapport à la population globale, ils constituent d'après M. Kaplun Kogan (=). 40,2 0/0 de la population des villes. 45,6 0/0 de Ja population des bourgs. 2,6 0/0 de la population des villages Leur rôle, à peu près nul dans les campagnes, est donc très important dans les bourgs et les villes — surtout dans les petites villes. Sur H5 villes (comptées comme telles par l'ad- ministration russe), ils sont en 1909 1a majorité dans 73. En revanche, ils n'ont la majorité que dans deux des 20 villes du Royaume du Congrès comptant plus de 25.0U0 habitants : à Lubhn (31 0/0) et à Suwalki (550/0) {^). h) Galicie. — En Galicie, le caractère urbain delà mino- rité juive est moins accusé qu'en Pologne russe. D'après la statistique de 1910, 28 0/0 des Juifs de Galicie occidentale. 39,4 0/0 de ceux de la Galicie orientale vivent à la campagne. L'administration divisait en Galicie les villes en trois caté- gories : 1° Les deux capitales, Gracovie et Lemberg, qui ont un statut autome. 20 Trente villes (11 en Galicie occidentale, 19 en Galicie orientale), organisées d'après la loi du i3 mars 1889 avec un tribunal de cercle. 3" Cent trente-neuf petites villes de 2.000 à 8.000 habitants (556 en Galicie occidentale, 83 en Galicie orientale) organisées selon la loi du 3 juillet 1896. Les Juifs forment, respectivement pour la Galicie occiden- tale et orientale : T. Wasiiitynski Rolidan, Die jinliiclw BevôUicrung in Kœnujrcicli Polen, Varso- vie. 191 t, citopar M. Kosciiiclil. Die polnisrhe Jndenjrncje, p. G/|. 2. Kaplun Kogan Die jadisclie Sprach =zun anciennes villes polonaises. Fi'organisalion judiciaire comprend les tribunaux ordinaires, jugeant les différends dont le montant ne dépasse [)as 100 guides polonais, et le Sénat (\\\\ se réunit deux ou (rois fois la semaine sous la prési> ; l'Assemblée générale ou « Sejm » giMiéral, des délégués élus [)ar les Assemblées partielles et les communes autonomes. Le « Sejm » provincial [)i('nd des ilécisions concernant la communauté du cercle : questions de bienfaisance, questions scolaires ; il contrôle la gestion financière, et la perception des impôts. Le « Sejm » général exerce un xt'ritabK' pouvoir légi>hdif. I . Tribal pa^é aDDuellcmeul [jour la concession des privilèges communaux. 348 LA. PROTECTION DES MINOHITÉS Ses atlribulions, en ce sens, sont sans doute réduites du fait que la loi juive, loi religieuse, est inscrite dans les livres sacrés, dont l'inlerprélation appartient au Rabbinat. Mais, en matière culturelle, et surtout en matière économique, son œuvre est intéressante. Dans ce dernier domaine, il se trouve, du fait de la spécialisation économique des Juifs, avoir à régler des questions, qui n'ont pas été envisagées en Pologne. C'est le « Waad » qui a posé les bases d'un droit commer- cial. Son ordonnance de 1024 sur la banqueroute a précédé de beaucoup toute réglementation polonaise sur cette matière : elle lui a servi de modèle. Au point de vue judiciaire, le « Sejm » provincial forme, par rapport aux Sénats communaux, un tribunal d'appel. Le « Sejm » général est une Cour constitutionnelle. C'est à lui qu'appartient le soin de maintenir la Constitution juive et de veiller à son application. Rentrent dans sa compétence, les litiges : 1° Entre les individus et Kahal. 2" Entre les Kahals et l'Union provinciale. 3o Entre deux communes au sujet de leur hégémonie sur une commune voisine. 4° Parfois, entre un Chrétien et un Kahal, comme << forum prorogatum ». C'est le « Maréchal » qui exerce dans le « Reich » le pou- voir exécutif. Le Maréchal du Cercle est élu par les a Se- niores » ; le Maréchal du Reich, parles délégués des Unions provinciales et des communes autonomes qui reçoivent à cet effet de leurs électeurs un mandat impératif. Le « Maréchal » du Cer(;le administre les fonds, sous le contrôle du « Sejm», et représente la Communauté du Cercle dans ses rapports avec les autorités polonaises. Dans le « Reich », ce rôle de représentation et de défense [)rend une grande importance. Le Maréchal du Waad traite avec son collègue, le Maréchal du (( Sejm » polonais, de toutes les questions touchant aux intérêts juifs ; il défend les intérêts juifs devant le pouvoir central : Roi ou Diète. Près du « Maréchal », organe de l'exécutif dans le domaine tempoiel, le Rabbin prend les décifc«ions qui concernent la vie APPENDICK II 340 spirituelle juive. Il faut encore mentionner. comme fonction- naires iniporlaiils : dans le Cercle, les « Seniores •>. dans le « lieich », le secrétaire et le gardien du Trésor. b) J:n Galicie (1772-1914) Celte organisation générale des Juifs en Pologne a, comme nous le disions, disparu, pour ne [)lus renaître, en 1704, quelques années avant le partage. A [)artir de 1772, on assiste à une décroissance progressive de l'ancienne autonomie juive, décroissance qui fut, en Galicie, corrélative de l'acces- sion graduelle des Juifs, en tant qu'individus, à l'égalité civile et politi(|ue. Suppression du Kahal. — Ce mouvement se dessine, aussi- tôt le partage. Dans la première ordonnance qui concerne les Juifs de Galicie — l'ordonnance du 17 juillet 1770 — Marie- Thérèse restreint les prérogatives du « Kahal » et centralise l'organisation juive, sous la direction du Kabbinat de Lem- berg ('). L'ordonnance de Joseph II du 7 mai 1789 va beaucoup plus loin. Les Juifs, est il dit dans l'article 10, « sont sujets de la commune dans laquelle ils sont établis. Les com- munes juives sont cependant tolérées pour les affaires parti- culières «pii intéressent les Juifs en tan! (|ue Juifs ». C'est la suppression du Kahal : la commune juive, à dater cette ordonnance cesse dclre une commune nationale, pour ne plu.s être qu'une commune cultuelle. Celte, ordonnance ne semble (loinl pourtant, comme on pourrait le croire, inspirée par un esprit d'hostilité à l'égard des Juifs. Llle lève plusieurs des restrictions existant à leur égard et proclame l'égalité des droits et devoirs entre eux et les autres sujets. L'objet qu'elle vise parait bien [)lulùl d'ordre poIiii(iue. Pour venir à bout des l^olonais, (jui résistent à ses tentatives centralisalrices, l'Empereur pense [)Ouvoir se servir des Juifs I. Eiiire les dcu.x ortloiinanrcs de 1776 el de 17^*»), Jo.sC|)li II avait, par la paleiilo du 37 mai 17^5, modifié le nombre des conimuues pi itici[)aies. 350 LA PKOTKC MON DKS MINOUITÉS comme d'agents de propagande allemande. Très curieux sont à cet égard les articles 11 et 12 de l'ordonnance, qui visent l'école : Art. IJ. — c( La commune juive doit entretenir une école (( allemande sur le modèle de la Normalschule pour « lendre ainsi les Juifs plus aptes, grâce à un mtiilleur ensei- « gnement des idées et des uKcurs, à répondre aux vues « f-alutaires de l'Etat. » Art. 12. — c( On ne peut s'adonner à l'étude du Talmud « sans montrer un certificat du maître d école allemand, prou- (( vaut que l'on a fréquenté l'école allemande. JSèqaliié individuelle. — Par l'ordonnance du 7 mai 1789, Joseph n s'était engagé dans la voie de la suppression des restrictions. C'est la voie qui fut suivie au xix^ siècle. [.a loi du 26 avril 1848 pi'oclamait l'égalité des droits des ciloyens, indépendamment de leur confession religieuse. L'égalité ne pa^^sa, de cette proclamalion de droits à la réalité que quelques années plus tard. GoluchoAvski a attaché son nom à cette œuvre d'émancipa- tion. En 1859, il fait reconnaître aux Juifs le droit de s'établir à la campagne; par la loi du 18 février 1860, leur droit d"ac(iuérir des hypothèques ; son projet du 28 décembre 1869 leur accordait des facilités pour l'achat de terrains. Mais ce projet ne fut pas voté. La loi de 1848 leur avait reconnu l'électoral. Etaient-ils éligibles ? La question fut posée, et Schmerling en 1861 y répondit par l'affirmative. Enfin, la Constitution de 1867, en affirmant à nouveau et avec plus de précision, l'égalité de tous les citoyens, mettait fin aux dernières restrictions : l'égalité était une chose ac([uise. Article 15 et article 10 de la Constitution de 1867, la conrnune cultuelle. — Dans cette Constitution dî 1867. deux articles pouvaient s'appliquer aux Juifs : l'article 15 qui concerne les droits des confessions religieuses; l'arlicle 19, qui concerne les droits des nationalités. Les Juifs, surtout à la fin du xixe siècle et au début dn AI'l'fcNUICK II 351 xx« siècle, oui loiislainincnt icM-lairir' le bénéfice de railicle l'J, (juieùl assuré riulroduclioii (hî it'iir langue dans l'adminislra- tion cl dans l école. Avec non moins de persévérance, le lé;,Ms- laU'ur el le juge autrichiens le leur ont refusés. Dans le dernier aiiét (ju'il ail rendu à ce sujel, arrêt du 26 octobre 190Î), le a Ueichsgericht », ou tribunal constitu- tionnel autrichien appuie son refus de l'argumentation sui- vante : argumentation hislori(jue et argumentation de fait : « Il ressort de tout le dévelop[»ement hislori(jue la l(''gis- « lation autrichienne, en ce qui concerne cette situation « juridi(|uc, (jue les Juifs doivent être considérés non comme « une nationalité, mais comme les adeptes de la religion « mosaïque, et être traités comme tels ('). » « D'ailleurs, ajoute l'arrôl, il ne pourrait être (|uestion de « la langue d'une nationalité, que si celle langue était parlée « par tous les ressortissants ap[)artenanl à cette naliona- « lité, en particulier en Autriche. « Or c'est un fait bien connu -- et le plaignant nous le « concédera — que la langue juive, parlée en Galicic et en « Bukdwine, ne l'est pas dans les provinces occidentales de <( la Monarchie. a li^lle serait donc, de ce fait, non pas une langue nationale (< mais seulcmonl une langue locale (un tlialecle de carac- « tère local) à laquelle ne s'étend pas la protection légale de (( l'article 19 de la loi du 21 décembre 1807 (') « C'est donc larlicle l.'i — el l'article l.'i seulement — (jui fut appliqué aux Juifs. Cet article s'exprime de la façon sui- vante : « Toute église el communauté religieuse reconnue par la « loi a le droit de praliqin'i- en coiuinun et publicpiement sa I. Ij'arnH invo(|iic à l'appui de sa tlièsc les articles ia3 et siiivanls du Code civil pour les Juifs, l'arli.île i5 do la loi conslitutionnellc du ai décembre 18G7, a lui du :< I mars i8t)o, l'arrclû du Miiii^lro doM (Nulles et du I Instruction publique . ciW, p. i30 et 137. 352 L\ mOTKCTION DES MINOIUTÉS « religion; elle organise et administre de façon autonome ses <( affaires intérieures, reste en possession et jouissance des « établissements, fondations et fonds, qui sont destinés à son « culte, à son enseignement et à sa bienfaisance; mais elle « est, comme toute communauté, soumise aux lois géné- « raies de l'Etat ('). » En application de cet article, Taaffe présenta en 1880 un projet de la loi sur l'organisation des communes cultuelles juives, projet qui, voté dix ans plus tard, devint la loi du 21 mars 1890. a L'objet de cette réglementation légale, est il dit dans le « préambule, est de fixer l'organisai ion de la communauté « religieuse juive dans la forme de son développement his- « torique, forme dans laquelle la reconnaissance de l'Etat lui « a été acordée... Attendu qu'elle est reconnue par la loi, « elle jouit de l'autonomie garantie par le droit constitution- ce nel. » Les communes juives de Galicie, au nombre de 252, sont, d'après cette loi, considérées comme des unions de per- sonnes avec tous les droits des associations. Elles jouissent de la personnalité morale, ont une organisation autonome administrent librement leurs fonds. Elles ne sont pas des organes administratifs au sens de l'article 2 de la loi du 22 octobre 1875 et échappent à la compétence de la juridic- tion administrative. Elles ne peuvent èlre reconnues que si elles justifient pour- voir elles-mêmes à leur entretien. L'Etat leur reconnaît, dans des limites déterminées le droit de percevoir des taxes sur leurs membres, et leur prête, dans l'exercice de ce droit, l'appui de son administration. En rendant hommage à l'esprit de libéralisme dans lequel cette loi a été conçue, les Juifs lui ont adressé certaines criti- ({ues : l'une d'elles, nous l'avons vu, est de faire de la commune juive, une commune « cultuelle », et non une commune nalio- nale Une autre, et peut-être la plus sérieuse, est d'avoir con- sidéré les communes juives comme autant d'unités distinctes I. Arl. i5 delà (loiislilulion de 1867 (R. G., Bl . n" i/ja). APPENDICE II 353 sans lion les unes avec les autres, alors qu'elles constituent dans la petisôe juive les éléments d'un ensemble. Il manque au peuple juif de (îalicie, pour le re[»résonter et le défendre, cet or^^ane ({n'étaient dans randennc; Pologne, l'Union pro- vinciale ou le « Waad ». IV. — GoCLLSIOiN : LES ASPI HATIONS ACTUBLLBS Les .luifs étaient donc en Galicic égaux, en tant (pi'indivi- dus, aux autres sujets de l'I'^tat, organisés de fa(;on aulo- norae_, en tant qu'adeptes de la religion mosaïque. Celte situation devait leur apparaître insuffisante, lors- qu'à la fin du xix" siècle s'éveilla l'idée nationale juive. C'est aux environs de 1890 que l'on peut observer les premières manifestations de cette renaissance. En 1892, un ouvrage publié en polonais et intitulé : Pro- grmnme de la Jeunesse juive réclame l'autonomie politi(iue. Eq 1905, nouveau signe : lors de l'établissement du suffrage universel en Autriche, un mouvement juif se produit i)our obtenir des curies électorales distinctes. Depuis cette date, l'on pourrait suivre, d'année en année, les progrès de l'évo- lution : En 1901), Conférence juive à Gracovie ; en 1909, grAce à l'appui des liulhènes, les juifs parviennent à faire passer, aux élections générales, quatre canditats nationaux: trois en Galicie, un en Bukowine.Ces quatre députés fondent le « Club Juif •> dont l'objet est d'orienter le mouvement. Parallèle- ment ou Club, le « Sejm », association représentative dutra- ditionnalisme juif, cl la < Poalc Sion », organe du Socia- lisme-sioniste, par leurs asseinblt;es et leurs brocliures de propagande, dé veloppiMil, lépandcMit et [)récisenl l'idée natio- nale juive. Partis de points de vue très différents, s'inspirant. l'un de l'ancienne organisation en Pologne, l'autre des théories des sociaux-démocrates autrichiens, le » Sejm « cl la l*oale- 354 LA PnOTECTiON DES MINORITES Sioii eu arrivent aux mômes résultais quant à la forme à donner à l'autonomie qu'ils revendiquent. C'est que cette forme est imposée par les conditions mêmes de la réparti- tion géographique des Juifs. La Poale-Sion le notait dans son ft Parteitag » de 1912 : « Très différente des autres nations à cause de sa situa- « tion particulière, la nation juive doit renoncer à obtenir « une solution territoriale dans les provinces de l'Etat Autri- « chien ; celle ci est impossible à cause de lu situation mino- (f ritaire des Juifs. Les condilions dW'lablissemod des Juifs les « déterminent à former des corporations nationales au lieu « de territoires nationaux. De telles corpoi'alions existent « déjà avec les communes cultuelles. Celles-ci doivent per- « dre leur caractère actuel et être trans/orniées en communes « nationales ('). » Rendre aux communes juives les droits de 1 ancien « Kahal » ; relier les communes entre elles : tel est le pro- gramme de tous les partis nationaux. Un trait significatif indique quel est, dans la question de l'autonomie, le fond de la pensée juive. Pour la Poale Sion, la commune juive doit être une Commune laïque. Les affaires religieuses sont tout à fait séparées des autres^ * * « La conscience judéo-nationale, note M. Rosenfeld, s'est « étonnamment développée pendant la guerre ». A cette constatation il en ajoute une seconde, ([ui n'esl (jue la con- séquence de la preuiière et qu'ont relatée avec lui tous les observateurs ('). u La haine du juif a considérablement augmenté pendant la guei're ». En opposant au sentiment national des Polonais, un senti- ment national exclusif, parfois même hostile, les nationalis- tes juifs ont aggravé un état de malaise, qui était latent 1. Texte cilc par M. lAosenfold : Die polnisclw Juilenfrage. 2. Ce trait a élc noté par M. Maurice Pernot dans son ouvrage « l'Epreuve de In Pologne » (lieime des iJeux-Momles (\u \" novembre 1920 p. 17^) : « La [lulitiquerusse, puis la guerre, oisl l'ait des juifs les ennemis de lu Pologne ». APPENDICE II 355 avant la guerre. L'on a vu (juc cette « haine » des Polonais a, dans la concunenco économiciue, une arnio commode et sure (]ont elle a uséel peut user encore. En précipitant ces menaces, les nationalistes juifs onl-ils réellement servi la cause juive ? Le problème csl-il où ils le voient ? N'est il pas plutôt, comme le pensent les « Assi- milateurs » (Assimilanleii), dnns cette situation économique et sociale malsaine, qu'il faut avant tout assainir ? .. M. Rosenfeld, qui est pourtant un nationaliste, se laisse aller à un aveu qui mérite d'être médité : « Une action éco- « nomique, dit-il, est plus utile qu'une action politique. Celui « qui donnera du pain aux masses juives après la guerre, « celui-là remplira son devoir national, bien mieux qu'en « fondant des écoles » {Wei den breiten jiidischcn Masscn nach dem Kriege, Brot geben wird, der wird seine nationale Aufgabe erfûllen, mehr als durch Griindung von Schulen). BIBLIOGUAPHIK I. - SUR LES PRINCIPES GENERAUX DONT DECOULE LA PROTECTION DES MINORITÉS Aristarchi-Bey. — Législation ottomane. Constantinopic, 187'i. Arnlz. — Lettre à Rolin-Jacquemyns (Revue de Droit international et de Législation comparée, t. VIII, 187G, p. 6;"3). Btuntschli. — Théorie générale de 1 Etat (traduction Armand de Riedmatten). Paris, 1881. — Droit international codilié (traduction par Lardy), 5' éd. Paris, 1895. — Die Bedeutung und die Fortschritte des V<3lkerrechts, Berlin, 187-3. Carnazza-Amari. — Nouvel exposé du principe de non-intervention (R. D. L, t. V, 1873). Cathrein. — Die Aufgaben der Staatsgewalt und ihre Grenzen. Fribourg, 1882. Despagnet. — Cours de Droit international public, 3* édition. Paris, 1898. Fiore {Pasquale). — II dritto internazionale codificato et la sua sanzione guiuridica (traduction par Antoine), 1911. — Nouveau droit international public (traduction Pradier-Fodéré). Paris, 1881. Fouillée. — L'idée moderne du droit, 6* édition. Paris, 1909. 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Leipzig, i9oSel I9i4- Kaplun Koi>'an. — Diejudiscbe Spracli = undKullurgcincinsrliall in Polen (édition séparée «le la revue pour la Démographie et slatisli(pie des Juifs. Berlin, 1915-1916). Landau. — Dcr Polenklnb und seine Hausjuden. Vienne, 1907. Roaenfeld (.l/«.v). — Polen und Judcn. ^'ieInle. 1907. — Die Polnisclie JudenlVagc ^'icIUle cl lîcilin, 1918 (1). SIderko (Adam). — Les Juifs et la question polonaise. Paris, 1919. — Les Israélites en Pologne. Paris, 1920. Teimenbaiwi (.Joseph) . — La question juive en Pologne/ Paris, 1919. Tharand [Jérôme etJean). — L'()nd)re de la Croix. Paris. 1917. \\ asinlynslci Rohdan. — Die jiidische BevOlkcrung in kônigreich Polen. Varsovie, 191 1. 1. M. Uosenfeld donne lie la iineslion juive eu Pologne une hibliograpliic très coniplète. 364 LA PROTECTION DES MINORITES b) Revues Juives En France. — « Le Peuple Juif »,leBulletin du Comité des Délégations juives, la Palestine nouvelle, lunivers Israélite... En Angleterre. — Le Jewish Chronicle, le Jewish World, la revue « Palestine»... En Allemagne. — Freistatt, der Jude, Neue jùdische Monatshefte, Jûdische Rundschau, Jùdische Zeitung. ■ Aux Etats-Unis. — L' « American Hebrew », la revue « Outlook »,la New Republic, der Tag, das Neue Leben. .. En Pologne et Lilhuanie. — Der jûdische Arbeiter (Lemberg), die jûdische Welt (Vilna), Zeitfragen (Vilna)... TABLE DES iMATIÈIlES Pages Introduction 7 PREMIÈRE PARTIE LES DONNÉES DU PROBLEME Chapitre premier. — La notion de minorité 17 A. — Minorités de race 18 R. — Minorités de langue M) C. — Minorités de religion 21 I . Les religions chrétiennes 21 II. Les Juifs 23 III . Chrétiens et Musulmans 27 D . — Les minorités de sentiment 3o Chapitre II. — Le problème des minorités 3i I . Droits de l'homme 32 H. Droit au maintien du caractère distinctif 34 III. Droit à l'autonomie 3; IV. Les objections de l'Etat 4^ Chapitre III. — Difficultés du problème (Les précédents autri- chiens. La fornuile de M. Renncr) 4-^ I. Personnalisme et territorialisme 4^ IL Le Congrès de Rrûnn 4" III. La « double commune » 49 IV. Adaptation de la fommlc de M. Renner 5i Chapitre IV. — La solution internationale 54 A. — Les principes 55 I. Le principe de non-intervention .55 II. Intervention religieuse et intervention nationale 57 m. Linlervenlion d'humanité 60 R. — Les conditions 63 I . Le texte préétabli t>4 II. Le contrôle 67 366 LA PHOTECÏIOiN DES MINÛUITÉS DEUXIÈME PARTIE Les minorités dans l'histoire Chapitre premier. — La protection des minorités religieuses dans V histoire du Droit des Gens "'i ]. Avant i8i5 7'3 A. — Les pays de chrétienté ^3 B. — Les pays hors chrétienté "j' IL — Les traités de i8i5 8i A . — Les catholiques belges b?. B. — Les catholiques de Savoie réunis à la République de Genève 82 C. — Les Juifs allemands 85 III. Les pays hors chrétienté depuis i8i5 89 a) La conférence de Londres ■ 90 b) Le traité de Paris 90 c) Le traité de Berlin 92 d) La conférence de Constantinople 96 Chapitre II. — La protection des minorités religieuses (suite) les Juifs roumains 98 I. Le traité de Paris et son application 99 II . De la Paix de Berlin aux Traités actuels lo/j Chapitre III. — Les minorités nationales et les grands Congrès du XIX' fiiècle Ii3 I. Le Congrès de Vienne : la Pologne ii4 II . Le Congrès de Berlin : Arménie et Bulgarie 118 Chapitre IV. — La protection internationale des Polonais {i8i5-j863) .\. • 122 I. La Révolution de i83o et la première intervention 124 II. La Révolution de i863 et la seconde intervention 128 Chapitre V. — La genèse d'une idée nouvelle i4i I. Les Académiciens de la paix durable 142 il . Le Socialisme 1 49 Chapitre VI. — La genèse d'une idée nouvelle (suite) (les Juifs et les Gouvernements) 169 A. -- Judaïsme officiel et sionisme 169 B. — L'attitude des (iouverncmcnts i63 I. Les Puissances alliées i63 II . L'Allemagne iG6 III . Les Etats-Unis 169 Chapitre VII . — La Conférence de la Paix. Les Traités 172 I. A la Conférence de la Paix ija TABLE UES MATIliHES 367 II. Les Traités de minorités i Traité avec la l'oloyiir ':: Traités de Sainl-Geniiain i^8 Traités avec la Bulf^arie, la Houinanie, la Hongrie i;<) Traité de Sèvres 180 Traités avec la Grèce cl TArraénie 181 Article 96 du Traité de Sèvres i8a Garantie de la Société des Nations i83 m. Extension de la protection des minorités depuis les Trai- tés iH.-; a) Les Etats nouveaux (Etats baltiqucs Caucasiens, Albanie) 184 b Territoires contestés (lies d'Aland, Haule-Silésie). . . i85 c) Les pays de mandat. .. . iS-^ d) Les Traités des Soviets (préliminaires de Riga) 189 Chapitre VIII. — Le principe de protection des minorités et les traités de ig ig-i gso igo TROISIK.ME PARTIE LES TRAITÉS ACTUELS HT l'a J'I'LICATION DES PRINCIPES Chapitre premier. — Les dispositions des traités de igig- igao ■ 20I CiiAriTRi; II . — Acquisition de la nationalité et émigration réciproque 206 A. — Acquisition de la nationalité 2o(J I . Jus soli 207 II . La naissance 209 III. Les lleimallosen 212 H. — L'émigration • . . . 21*3 I . L'option et les consécpiences de l'option ai'i II. L'émigration récij)ro(jue (le Traité gréco-bulgare).... 2i5 Chapitre 111. — Les droits individuels 220 A . — L'égalité . . 220 B — La liberté de conscience 22'3 C. — Le libio u.sage de la langue j-jj Chapitre IV. — Les droits indi\'iduels (suite). — La langue minoritaire devant les organes de l'Etat 229 I . La langue ollicielle 229 II. La langue minoritaire devant la justice et radministra- tion 232 Chapitre V. — Les droits culturels. . .'. a'ij 368 LA PROTECTION DES MliNORITES A. — Associations et écoles privées 2*38 I . Les institutions visées 238 II. Le droit égal 241 III. La situation des établissements privés r . . . . 244 B. — L'école publique 2^6 I. Cas d'application 247 II. Modes et difficultés d'application (loi tchécoslovaque du 3 avril 19 19) 249 C. — Répartition équitable des fonds publics • 253 I. Condition juridique et modalités d'application 204 II. Portée actuelle et extension possible de cette mesure. 266 Chapitre VI. — U autonomie 258 I . Minorités religieuses et nationales 260 a) Autonomie religieuse et scolaire : les Saxons de Tran- sylvanie 260 b) Autonomie des Ruthènes 264 II. Minorités chrétiennes et musulmanes 268 a) Communautés chrétiennes en Turquie 268 I. Autonomie religieuse 269 II. Autonomie scolaire 27 1 III. Prérogatives judiciaires 272 b) Les Musulmans dans les Etats chrétiens (Etat serbe- croatc-sIoVène, Grèce, Arménie) 274 Chapitre Vil . — Lois économiques et sociales 278 I . Position'du problème 278 IL Possibilités d'une solution internationale 281 Chapitre VIII. — La représentation proportionnelle 284 I. Le territoire des Ruthènes 285 II . Turquie, Grèce, Arménie 287 III. Territoire de Smyrne, ville d'Andrinople 288 IV. Autonomie et représentation proportionnelle 290 Chapitre IX. — Réparations 293 I. Les réparations dans le traité avec la Turquie 293 a) Conversions forcées 294 b) Mise en liberté des personnes 295 c) Restitution des biens 296 II . Généralisation possilile 3oi Chapitre X. — Les garanties d'exécution *. . . . 3o4 A. — Garantie constitutionnelle . . 3o4 H. — Garantie internationale 3o6 I . La garde des clauses 3o8 II . Le contrôle 3o8 a) Introduction de la procédure 3o9 Rapport de M. Tittoni 309 TABLE DES MATIÈRES 36W Résolution du a5 octobre 1920 '3i i Résolution du 27 juin 1921 'ii2 Etat actuel de la question *ii4 b) La procédure devant le Conseil "liô 111, Dillérends relatifs aux clauses. Traité de Rninn 3i6 C. — Appréciation des garanties des clauses de minorités. . . 'iig Conclusion. — La protection des minorités et le principe des nationalités 325 APPENDICES Appendice I. — Statistiques des nationalités dans les Etats successeurs de l'Empire austro-hongrois "331 1° Tchécoslovaquie 332 2» Etat serbe-croate-slovène 333 3o Roumanie 334 4° Autriche 335 Appendice II. — Les Juifs de Pologne 336 I. Nombre et répartition géographique 336 II. Situation économique et sociale 3i9 JII. Situation juridique et organisation des Juifs 345 IV. Conclusion : les aspirations actuelles 353 Bibliographie 35" EKUATA Page 3i, ligne 3. — Dans cliacun des grands cadres qu'ont tracés les traités. Page 34, lignes. — Toutes les législations ...ont pris des mesures de cet ordre. Page 3i, ligne 3o. — L'article ly (et non l'article 29) de la Constitution de 1867. Page .59, lignes 8-9. — Mancini, et non Manzini. Page 59, ligne 14 et note i. — Le titre exact de l'ouvrage de Gioherti est : Del Rinnovamento civile d'Italia. Page 61, ligue Q2. — Rolin-Jac(iuemyns, et non Rolin-Jacquenyns. Page 82. ligne 8 du paragraphe B. — La cession faite par le Roi de Sar- daigne à la Républicjue de Genève, à laquelle il est fait allusion ici, ne « désenclavait » i)as cette République. Cette « désenclave » résul- tait d'une autre cession inscrite également dans les Actes du Congrès de Vienne. Page 91, ligne 7. — Mémorandum. Page 91, ligne 21. — « Hutti-humayouni ». Page 112, ligne 10. — Ce gouvernement (le gouvernement des Etats-Unis). Page 128, note i, dernière ligne. — L'Em[>ereur désirerait. Page i34, ligne 16. — Ces convulsions sont le symptôme (et non le sys- tème) d'un mal invétéré. Page i35, ligne i. — i863, et non i663. Page 161, ligne 12. — Nordau, et non Nordeau. Page 164, ligne 10. — Jewish Chronicle, Jewisli World. Page i64, ligne 19. — Lionel de Rotschild. Page 190, note 2. — Les habitants de la Savoie cédés à Genève. Iiiipr .lOUVE et Cie, i5, rue Rarine, Paris. — 'l'iSt-ri ?^ ^/3^ JC 311 F6 19^2 Fouques Duparc, Jacques La protection des minorités PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY